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« Go Away,
Mr Tumor » : une comédie imaginative et attachante
par Brigitte
Duzan, 15 octobre 2015
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Go Away Mr Tumor,
affiche Imax avec un dessin de Xiong Dun |
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Quand « Go Away, Mr. Tumor » (《滚蛋吧!肿瘤君》)
est sorti sur les écrans chinois
le 13 août 2015, délogeant
« Monster
Hunt » (《捉妖记》)
qui caracolait en tête du box-office depuis près d’un mois
et engrangeant près de 30 millions de dollars le premier
week-end, cela avait beau être dans le
marché protégé du mois de juillet,
cela traduisait un accueil enthousiaste du public qui va au
cinéma aujourd’hui en Chine.
Ce n’est pas forcément une référence, mais le choix insolite
de cette comédie, début octobre, pour
représenter la Chine aux Oscars
en lieu et place du favori initialement sélectionné,
«
Wolf Totem » (《狼图腾》),
incitait à se pencher un peu plus sérieusement sur le sujet…
…et découvrir un film attachant, largement au-dessus de la
moyenne des comédies du même genre, et criant de vérité
malgré ses imperfections et ses excès. Un film dont le
réalisateur lui-même,
Han Yan (韩延),
est une surprise.
Une comédie hyperactive et imaginative
Un scénario bien fait
Les premières séquences font craindre une redite des
comédies du genre
« Love
is not Blind » (《失恋33天》),
et
du rôle qu’y interprète Bai Baihe (白百何),
qui est également l’interprète principale de
« Go Away Mr. Tumor ». Mais c’est juste une manière
de poser le personnage dans son cadre quotidien,
avec son boulot stressant et ses incartades et
bouffonneries en guise de défoulement. C’est surtout
la manière de donner au film le rythme et le ton qui
sont les siens jusqu’à la fin : c’est rapide, enjoué
et plein d’humour. |
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Bai Baihe et ses
copains |
L’histoire est pourtant de celles qui font des mélos : la
jeune Xiong Dun (熊顿)
a un malaise lors de sa fête d’anniversaire et se retrouve à
l’hôpital, avec un diagnostic fatal, un « lymphome non
hodgkinien », traduisez un cancer du système lymphatique.
Elle réalise peu à peu la gravité de son cas, mais garde une
attitude enjouée et humoristique face aux circonstances,
entraînant les gens autour d’elle par sa bonne

Le docteur Liang
(Daniel Wu) |
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humeur communicative, entourée avec amour par son
trio d’amis et amies indéfectibles, tous campés et
interprétés avec une justesse sans excès.
Le film emporte l’adhésion par une mise en scène
imaginative, avec des séquences pseudo-oniriques
évoquant les états d’âme de Xiong Dun, ses idées
loufoques, ses évasions constantes dans le rêve. Au
milieu des séquences du quotidien à l’hôpital sont
en effet inséréesdes scènes originales qui
traduisent en images l’inconscient de la jeune
malade, certaines pleines d’humour, d’autres
nostalgiques et poétiques – dont une superbe
séquence prémonitoire, vers la fin, où la jeune
fille détache un sac en plastique rouge qui s’est
accroché au bord de la terrasse de l’hôpital, et le
regarde s’envoler dans le ciel du soir comme un
léger ballon rouge, conférant au film une note de
poésie qui lui permet de s’élever au-dessus de la
simple comédie satirique, voire burlesque.
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Une petite dérive dans le mélo
Le film pêche certes par une tendance au mélo. Elle
est contrôlée dans les trois-quarts du film : un
petit cancéreux est traité avec une légèreté qui
souligne le caractère facétieux et candide de
l’enfant, sans accentuer la douleur du père venu le
chercher alors qu’on le sait perdu, et la voisine de
chambrée, frustrée et acariâtre au départ, devient
l’un des |
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Quand l’imagination
prend le relais |
personnages les plus attachants.
Le film dérape juste à la fin, dans un retour dans le giron
maternel malgré tout encore traité sans trop d’excès, mais
surtout dans une séquence de funérailles qui se veut
originale, mais est juste improbable. Le film aurait gagné à
être coupé : à plus de deux heures, il est trop long -
défaut courant mais c’est dommage.
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La chimio dans la joie |
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Le plus gros défaut du film, cependant, est le personnage du
médecin. Qu’une malade tombe amoureuse du chirurgien qui la
soigne est chose classique, que le médecin en vienne à
passer de longs moments intimes avec sa patiente et à
pleurer sur sa mort l’est beaucoup moins. Daniel Wu (吴彦祖)
n’est tout simplement pas crédible dans le rôle ; ce n’est
peut-être pas sa faute, mais c’est le seul dans ce cas. Le
reste du casting est impeccable.
Un film enlevé par le brio des acteurs

Xiong Dun (son fétiche
au cou) |
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Le trio de copains est interprété avec une grande
justesse dans la peinture des caractères qui
prennent un aspect de caractères-types : l’apprenti
boxeur Lao Zheng, joué par Cheng Yi, le métrosexuel
Xiao Xia incarné par Liu Ruilin et la workaholic
Emmy, interprétée par Zhang Zixuan – sans oublier la
voisine de chambrée à l’hôpital, Xia Meng,
subtilement interprétée par Li Yuan dans son passage
de frustrée atrabilaire à amie sensible. Autant de
jeunes acteurs et actrice dont on entendra
certainement parler dans les années qui viennent.
Mais la palme revient à
Bai Baihe (白百何),
actrice atypique hors des canons de beauté usuels,
qui confirme son talent, après son rôle semblable
dans
« Love is not Blind »
et celui qu’elle joue dans « Monster Hunt ».
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Bai Baihe
白百何
Xiong Dun
熊顿
Daniel Wu
吴彦祖
le docteur Liang
梁医生
Li Yuan 李媛
Xia Meng
夏梦
Liu Ruilin
刘芮麟
Xiao Xia
小夏
Cheng Yi
程伊 Lao
Zheng
Zhang Zixuan 张子萱
Emmy
Liu Lili
刘莉莉
la mère
Li Jianyi
李建义
le père
Le film doit beaucoup à l’interprétation de
Bai Baihe
car elle apparaît comme le véritable alter
ego de la jeune dessinatrice de manhua sur
laquelle le rôle est calqué, et dont le film reprend
et le caractère et l’histoire vraie et jusqu’au
nom : Xiong Dun (熊顿).
L’histoire de Xiong Dun
Le succès de la comédie tient finalement à son
authenticité… et à Xiong Dun, qui apparaît comme une
figure tragique, héroïne sacrifiée de la Chine
moderne et nouvelle icone d’une jeunesse qui semble
cacher son angoisse derrière les rires. Derrière le
succès du film, il y a d’abord le succès d’une bande
dessinée devenue bestseller.
Dessinatrice de manhua
De son véritable nom Xiang Yao (项瑶),
Xiong Dun estnée au Zhejiang en 1982. C’est une
dessinatrice de ces nombreux |
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Xiong Dun, Chronique
de la vie
d’une femme
indépendante |
manhua qui se multiplient aujourd’hui en Chine, en
réponse à la vogue des mangas japonais.

Xiong Dun,
autoportrait |
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Fin 2011, le quotidien de Chengdu Huaxi Metropolis (《华西都市报》)
a dressé une liste des auteurs les plus riches de
bandes dessinéesde langue chinoise, en se basant sur
les droits d’auteur perçus pendant la décennie
2001-2011. Sur les quinze de la liste, les deux
premiers sont taïwanais, les autres de Chine
continentale, le premier ayant cumulé des gains de
18,3 millions de yuans. C’est une manière de mesurer
la croissance et la vitalité du secteur.
Mais il y a loin de ces records à ce que peuvent
gagner des jeunes dessinateurs débutants. Le sort
tragique de Xiong Dun est là pour rappeler les
conditions de travail exténuantes qui sont les
leurs, pour tenter de percer et joindre les deux
bouts.
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Xiong Dun a publié plusieurs recueils, dont les
histoires étaient inspirées de sa vie personnelle,
sur des sujets typiques de sa classe d’âge : amours
d’ados, perte de poids, vie en solo, et même Michael
Jackson. Sa série de bandes dessinées de « la femme
indépendante » (熟女)
la rend célèbre (du « premier amour d’une femme
indépendante » -
《熟女恋爱事件》-
aux « habitudes de la femme indépendante » -《熟女养成日志》).
Ses amis l’incitent à aller à Pékin. Elle y déménage
en 2010.
La vie au temps du lymphoma
Elle tombe gravement malade en août 2011 et annonce
sur weibo le diagnostic terrible : lymphome
non-hodgkinien. Hémopathie maligne, elle laisse peu
d’espoirs de survie. Xiong Dun subit un traitement
très dur, et, pour tuer le temps à
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Le manhua Go Away Mr
Tumor |
l’hôpital, commence en même temps une chronique en bande
dessinée du quotidien et de l’évolution de la

Fuck off Tumour ! |
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maladie, dont le titre – celui repris par le film –
pourrait être traduit par « Fuck Off, Mr Tumor ! ».
Leçon d’optimisme pleine de détails humoristiques,
avec des dessins entre Hello Kitty et Naoko Takagi,
c’est devenu un bestseller ; il s’en est vendu plus
d’un million d’exemplaires, et le film va sans doute
booster encore les ventes.
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Mais Xiong Dun est morte en novembre 2012. A l’âge de trente
ans.

Xiang Yao (Xiong Dun)
et son trio
d’amies - 2ème à
partir de la dr.
(photo China.org.cn,
déc 2011) |
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Le film est un hommage, et vécu comme tel par tous
les amis, proches et fans venus au cinéma comme pour
s’u recueillir, et rire encore une fois avec elle
pour ne pas pleurer.
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Han Yan se
recueillant devant la tombe de Xiong Dun |
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Animation d’un dessin de Xiong Dun pour la promotion du
film :
http://movie.douban.com/trailer/180759/#content
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