« Vengeance » : nouvelle épure de Johnnie To et hommage à
Melville
par Brigitte
Duzan, 26 avril 2012
Sorti le
20 mai 2009 en France, trois jours après sa
présentation en sélection officielle au Festival de
Cannes, « Vengeance » (《復仇》)apparaît
de prime abord comme inhabituel dans la filmographie
de
Johnnie To (杜琪峰),
avec pour acteur principal le chanteur français
Johnny Halliday.On
y retrouvepourtant
l’univers habituel du réalisateur, et même le
personnage interprété par Halliday en est partie
intégrante, un Halliday métamorphosé jusque dans le
timbre de sa voix.
Un vengeur
amnésique
Le
personnage principal, Costello, est un restaurateur
français dont la fille est partie vivre à Macao,
avec son mari chinois et leurs enfants. Un jour, ils
sont tous abattus par des tueurs sur ordre d’un chef
de la triade locale, sauf la fille de Costello.
Or celui-ci
est un ancien truand. Il part alors à
Vengeance
Macao pour venger
sa fille, mais il doit faire vite car il a une balle dans la
tête qui le rend peu à peu
Johnnie To au festival
de Cannes,
en mai 2009
amnésique.
Il embauche trois tueurs qui localisent très vite
les assassins, à Hong Kong. Sur place, une première
bataille révèle que les assassins ont été en fait
mandatés par le chef de la triade pour éliminer le
gendre de Costello, un comptable de la triade qui
était soupçonné de vouloir divulguer des
informations sur ses activités.
Costello
perd de plus en plus la mémoire, et continue sur sa
lancée sans plus trop savoir ce qu’il fait ni
pourquoi. Il note, code et classifie, se fait de
petites fiches pour garder en tête qui est qui et
qui fait quoi, et surtout ce que lui doit faire
quand la vengeance n’est devenue, dans son cerveau
en fuite, qu’une idée vide, abstraite, comme le film
que tourne Johnnie To qui tourne aussi à l’épure,
comme précédemment dans
« Sparrow »
(《文雀》).
Mais les
trois Chinois poursuivent sans faillir la mission
qui leur a été confiée…
L’univers de
Johnnie To
Tous les
éléments de l’univers de
Johnnie To sont là,
resurgis des films passés, et revisités : fusillades
nourries, courses poursuites et ballets de
parapluies sous des trombes d’eau… Les acteurs,
aussi, sont là, inchangés, comme insensibles au
passage du temps : Anthony Wong, Lam Ka-tung et Lam
Suet dans les rôles des tueurs à gages ; et Simon
Yam, cette fois, dans le rôle du méchant de
l’histoire.
La
silhouette noire de Johnny Halliday,
To dirigeant Halliday
avec son
imperméable sous la pluie de Hong Kong, est
parfaitement intégrée. Mais, bien plus, son amnésie
progressive rappelle d’autres personnages de films
antérieurs, du strip-teaseur ancien moine bouddhiste,
capable de voir le passé, dans « Running on
Karma » (《大只佬》),
en 2003, au
policier
Quête de nuit
schizophrène de « Mad Detective » (《神探》)et
ses hallucinations, en 2007.
Le
personnage interprété par Halliday s’appelle
Costello, comme le tueur à gages interprété par
Alain Delon dans « Le Samouraï » de Melville, en
1967. Or Costello meurt, à la fin du film de
Melville : le Costello de Johhnie To apparaît de
plus en plus, au fil de sa désintégration mémorielle
progressive, comme un fantôme en sursis, un zombie
revenu le temps d’un film, dans l’imagination de
Johnnie To.
La passion pour
Melville
Il s’agit
là d’un hommage à Melville auquel le réalisateur de
Hong Kong porte une admiration particulière. Il
était d’ailleurs prévu, au départ, que ce soit Alain
Delon lui-même qui interprète le rôle. C’est quand
il a refusé que les producteurs se sont tournés vers
Halliday et ont organisé une rencontre avec
Johnnie To, qui ne
savait même pas qu’il était un chanteur : il a été
séduit, dit-il, par son regard…
Cela fait
des années, par ailleurs, que
Le bleu Johnnie To
Johnnie To rumine le projet de faire un remake du
« Cercle rouge » (1), ce film culte de Melville, sorti en
1970, où le
directeur de la police déclare : «Les
hommes sont coupables. Ils viennent au monde innocents, mais
ça ne dure pas .... » Principe de base des films de
Johnnie To : personne n’est vraiment blanc.
Costello révisant ses
fiches
« Le
Cercle rouge » est
l'histoire d'un truand juste libéré de prison qui se
prend d'amitié pour un autre truand récemment évadé
qui s’était caché dans le coffre de sa voiture. Avec
un ancien flic alcoolique qui semble comme sorti de
l’univers de To (une sorte de « Mad Detective » joué
par Yves Montand), les deux hommes réussissent le
casse d'une bijouterie, mais ne parviennent pas à
ensuite écouler les bijoux et se font coffrer par un
policier méticuleux et persévérant (interprété par
Bourvil, qui
devait décéder quelques jours après la sortie en salles du
film).
Ce qui aurait
attiré To, c’est l’inspiration bouddhiste qui aurait guidé
Melville. Le titre est en effet expliqué par une citation
bouddhiste en exergue du film : « Quand
des hommes, même s'ils s'ignorent, doivent se retrouver un
jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux, et ils peuvent
suivre des chemins divergents. Au jour dit, inexorablement,
ils seront réunis dans le cercle rouge. »
Il semblerait en fait qu’elle ait été inventée de toutes
pièces par Melville. Quoi qu’il en soit,
Johnny To s’est intéressé à cet aspect du film,
et a déclaré vouloir le creuser, ce qui pourrait ménager des
surprises s’il arrive un jour à finaliser son projet.
(1)
Autre admirateur de Melville,
John Woo (吴宇森)
aussi avait, un temps, conçu le projet d’un remake du film,
qui aurait été produit par la Paramount. Mais ce projet a
été abandonné.
A lire en
complément
La critique de
Jean-Michel Frodon dans Les Cahiers du Cinéma, n°645, p.36-38