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« Grand Frère » de Liang Ming

par Louise Goyette

Le 18 août 2020

  

« Le ciel bleu, l’air frais, la vie lente et facile… » C’est ainsi que Liang Ming, réalisateur de « Grand Frère » 日光之下 》),  se souvient de son enfance passée dans la province du Heilongjiang durant les années 1960. Trente ans plus tard, cependant, la région est en net déclin ; les gens éprouvent de la difficulté à s’adapter aux réformes structurelles et à la transition d’une économie planifiée vers une économie de marché. Le prix des maisons augmente et les emplois sont difficiles à trouver. La région des années 1990 constitue la toile de fond de « Grand Frère », un drame de passage à l'âge adulte dans lequel Liang explore une relation frère-sœur sous un angle inattendu.

 

Guxi (Lu Xingchen 吕星辰 ) et son frère Gulian (Wu Xiaoliang 吴晓亮 ) vivent dans une cabane de fortune à Donggang, une ville côtière de la province du Liaoning. Ils mènent une existence frugale et veillent l’un sur l’autre émotionnellement et financièrement.  Guxi travaille comme femme de chambre dans un hôtel et son frère gagne sa vie comme pêcheur. Leur destin sombre tout à coup dans l’incertitude quand une marée noire menace les moyens de subsistance de Gulian et qu’il se joint à une bande de truands.

 

Une première scène filmée dans un bain public laisse le spectateur perplexe : les gestes de Gulian lavant tendrement le dos de sa sœur dépassent certes les limites de l’intimité fraternelle.  C’est là d’ailleurs qu’ils rencontrent Qingchang (Wang Jiajia 王佳佳), une jeune femme flamboyante et charismatique. Inconsciemment, ils s’enfoncent peu à peu dans un étrange triangle amoureux tordu.  Les sentiments sexuels éprouvés par Guxi à l’égard de son frère finissent par faire surface.  C'est là que le réalisateur opère le mieux. Il illustre habilement les changements subtils de perception du monde de Guxi à mesure qu'elle approche l'âge adulte. L’affection et le flirt se transforment en amour et en découvertes sexuelles avec la transition des saisons :  l’été paisible du début, l’automne orageux des passages et le dénouement majestueux avec les paysages enneigés de l’hiver. La photographie de He Shan (何山) capte habilement les paysages du nord-est tandis que la partition de Ding Ke(丁可) marie passion et tristesse dans ce drame psychologique.

 

« Grand Frère » évoque le récent long métrage de Derek Tsang « Better Days » (2019) où le regard du protagoniste est capturé par un viseur intime alors que des facettes complexes de sa personnalité commencent à émerger. Bien que certaines similitudes puissent être exposées sur la façon dont les deux films traitent le passage brutal de la jeunesse à l’âge adulte, le scénario de Liang est beaucoup plus mature, tout comme son portrait des émotions et de la sensualité. Des mélodramatiques dans le style de « Better Days » ne lui sont pas nécessaires pour exprimer la passion des sentiments : Liang utilise une approche plus sophistiquée. Selon Liang Ming, il a subi l’influence du réalisateur Lou Ye (娄烨) ,  celui-ci accordant une attention spéciale aux relations humaines et aux émotions. Il a d’ailleurs fait son apprentissage comme acteur et assistant réalisateur dans les films de Lou Ye « Suzhou River » (2000), « Spring Fever » (2009) et « Love and Bruises » (2011).

 

Le souci du détail dans les scènes filmées dans les bars et les discos confère au film un attrait authentique : des salles remplies de fumée, des lecteurs de cassettes portables et d'autres souvenirs d'une époque révolue. Mais surtout, son casting et la performance des acteurs est irréprochable.  Lu Xingchen et Wu Xiaoliang brillent tous les deux dans leurs incarnations des principaux protagonistes (Wu a remporté le prix du meilleur acteur au Festival international du film de Macao).  Wang Jia Jia dans le rôle de Qingchang est une bouffée d'air frais dans un environnement industriel terne. Sa mère, est née en Corée du Sud, fait partie d’un groupe ethnique coréen important vivant dans le Heilongjiang et dans la province du Liaoning.  Comme beaucoup d’entre eux, sa famille y est retournée afin de trouver du travail.  Ce voyage a permis à Qingchang de rapporter des vêtements modernes qu’elle partage avec Guxi. Mais par-dessus tout, l’expérience du « pays lointain » la couronne de sophistication et d’exotisme, ce qui aguiche les garçons du village.

 

De longues séquences oniriques destinées vers une autre dimension émotionnelle de Guxi semblent s’extraire du scénario pour nous distraire mais auraient bénéficié d’un montage plus serré.  Il y a également une sous-intrigue impliquant la découverte d'un cadavre et une conversation compromettante enregistrée sur cassette : celle-ci est insuffisamment exploitée, laissant quelques lacunes dans le dénouement de l’histoire.  Une dent de sagesse qui perce les gencives de Guxi, un ruban de cassette qui se déroule dans la neige; Liang Ming explore le pouvoir poétique des images et des métaphores sans être toujours convaincant.

 

Pour Liang, l’ambition de créer « Grand Frère » résulte en partie de sa nostalgie du nord-est de la Chine des années 90 mais aussi du désir de témoigner son inquiétude envers les conditions de vie des gens dont il se souvient affectueusement depuis son enfance. Son succès réside non seulement dans son méticuleux soucis du détail mais aussi dans sa profonde compréhension de la psyché des personnages du film.

 

N.B. Une version antérieure de cette critique a été publiée sur VCinemashow.com

  

 

 

     

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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