par Brigitte
Duzan, 19 février 2013, actualisé 19 février 2019
Lou Ye est
le cinéaste d’une œuvre de référence :
« Suzhou
River » (《苏州河》). Ses films
suivants, cependant, n’ont fait que renforcer les
faiblesses déjà latentes dans ce film et les
précédents, au niveau de la ligne narrative et de la
peinture de caractères.
Aujourd’hui
rentré dans son pays, après cinq ans d’exil et
d’interdiction de tourner chez lui, il signe un
nouveau film qui est le premier autorisé dans son
pays depuis 2003 et qui est sorti en première
mondiale au festival de Cannes en mai 2012.
Etudes de
cinéma à Shanghai puis à Pékin
Lou Ye (娄烨)est né en
1965 à Shanghai.
Fils
d’acteurs de théâtre, il a passé son enfance dans
les loges avec ses parents, et dans les coulisses
avec les
Lou Ye
acteurs. En 1983,
il termine des études de production de films d’animation à
l’Institut des Beaux-Arts de Shanghai, et entre alors au
studio de Shanghai où il participe à la production de deux
films d’animation.
Mais, en 1985, il
entre à l’Institut du cinéma de Pékin pour poursuivre des
études de mise en scène et, en 1987, réalise un premier
court métrage de 16 minutes en noir et blanc : « Conduite
sans permis » (《无照行驶》).
Pour son diplôme de fin d’étude, en 1989, il réalise ensuite
un second court métrage de 16 minutes, mais en couleurs :
« Ecouteurs » (《耳机》).
Camarade de
promotion d’une nouvelle vague de cinéastes comme
Zhang Yuan (张元),
dont il partage au départ pas mal de thèmes et d’idées, Lou
Ye est l’un des premiers réalisateurs de la « sixième
génération »,
1990-2006 : Une auréole de
cinéaste bravant les interdictions
1. Il
commence à préparer son premier film dès 1990 : « Week-end
lover » (《周末情人》)
suit les vies déjantées d’un groupe de jeunes paumés
dans la Shanghai de la fin des années 80 , reprenant
le style typique des débuts de la sixième
génération, Zhang Yuan et ses « Beijing Bastards »
en tête. L’équipe de production, des copains de
promotion, est restée dans les annales comme la plus
jeune de l’histoire du cinéma chinois.
Terminé en 1993, le film est cependant interdit
pendant deux ans avant de pouvoir sortir, en 1995.
Après le succès controversé de ce premier film,
cependant, Lou Ye a du mal à trouver le financement
de son film suivant et se tourne alors vers la
télévision, produisant une série intitulée « Super
City » dont les films, confiés à ses camarades,
transposent à la télévision l’univers urbain
déliquescent des films de la sixième génération.
Week-end Lover
Sa propre
réalisation dans la série, « Don’t be young », est diffusée
en 1995. C’est un « psycho-mystère », dans un style
expressionniste non narratif. Il se lance ensuite, en 1997,
dans un projet de film numérique qui restera à l’état de
projet.
2. En
1998, toujours confronté aux problèmes de
production, il finit par créer sa propre société,
l’une des premières sociétés de production
indépendantes chinoises, Dream Factory, qui lui
permet, en association avec Philippe Bober et sa
compagnie Essential Films, de produire « Suzhou
River » (《苏州河》).
Sorti
en 2000, le film est unanimement salué comme un film
exceptionnel, et devient tout de suite une sorte de
film culte, une référence et un classique, couronné
d’un Tiger award au 29ème festival de
Rotterdam.
Centré
sur un personnage féminin à l’identité ambiguë,
finement interprété par Zhou Xun (周迅),
le film suit quatre personnages vivant, à nouveau,
des existences en marge ; mais la facture est ici
novatrice, jouant sur les symboles et les références
cinématographiques, et adoptant un style
Suzhou River
totalement
original, elliptique et mouvant, parfaitement adapté à une
intrigue dont l’énigme reste entière jusqu’au bout.
C’est ce film
qui élève Lou Ye au rang des jeunes cinéastes chinois les
plus prometteurs de sa génération. Mais, comme il avait été
présenté au festival de Rotterdam sans l’autorisation des
autorités chinoises, Lou Ye a été interdit de tournage
pendant deux ans.
Séquence
introductive
3. On
attendait la suite, avec curiosité. Lou Ye surprend
alors tout le monde, en abordant le genre du film
historique, sujet totalement inattendu de la part
d’un réalisateur de sa génération : c’est « Purple
Butterfly » (《紫蝴蝶》),
un film sorti en 2003, très inégal mais porté par
l’interprétation de Zhang Ziyi (章子怡).
L’histoire
commence en Mandchourie en 1927. Un jeune Japonais
est amoureux d’une jolie Chinoise mais leur bonheur
est de courte durée : il doit rentrer chez lui pour
faire son service militaire. En rentrant de la gare
où elle est allée lui dire adieu, la jeune femme est
témoin du meurtre de son frère par des Japonais.
Trois ans plus tard, alors que la Chine est envahie,
on la retrouve à Shanghai travaillant pour un groupe
de résistance, Purple Butterfly, qui projette
d’assassiner le chef des services secrets japonais…
Purple Butterfly
Quelque peu
académique, le film se rachète par la force de sa séquence
finale qui replace les histoires individuelles décrites dans
le contexte historique réel, avec des photos exhumées des
archives. Mais le film montre aussi la grande faiblesse de
Lou Ye, déjà présente dans ses deux films précédents, y
compris dans « Suzhou River » mais sans que cela ait la même
importance dans ce film car l’intérêt était ailleurs.
Le plus gros
de ces défauts est la faiblesse, dans le scénario, de
l’intrigue et de la caractérisation des personnages.
Jusqu’ici, la richesse stylistique était telle que, ébloui,
on en oubliait le fond pour glorifier la forme. Dans
« Purple Butterfly », cependant, le style repris des œuvres
précédentes n’était plus adapté : Lou Ye a filmé, comme à
son habitude, la caméra sur l’épaule, et il y a trop de gros
plans très longs sur les visages : comme la caméra bouge,
cela empêche d’étudier vraiment les expressions, et en même
temps cela induit la frustration constante de ne pas voir ce
qui se passe par ailleurs ; cela aurait pu être voulu et
utilisé, mais n’est ici qu’accidentel.
Au final, « Purple
Butterfly »ne supporte
pas la comparaison avec d’autres films qui traitent de la
même période.La
faiblesse du scénario et de la peinture des caractères va
rester le talon d’Achille de Lou Ye.
4.
Dans ces conditions, il était logique de voir Lou Ye
abandonner les gros budgets et revenir au stylisme
qui avait fait la force de ses débuts.
En
2006, « Une jeunesse chinoise », ou « Summer
palace » (《颐和园》)
a été, en ce sens, une grosse déception. Lou Ye
revient bien, dans ce film, aux thèmes qui lui sont
chers depuis son premier film, et en particulier
celui de la liberté sexuelle ; pour renforcer son
argument, il a rajouté une touche politique, sur les
événements de Tian’anmen de 1989, l’un des sujets
les plus tabous en Chine. Il voulait en effet
transmettre les impressions qu’il a gardées de ces
événements, vécus alors qu’il terminait ses études à
Pékin : impressions d’une période de liberté tous
azimuts, et de fin d’adolescence.
Mais
il en a oublié le style. Comme le fond est toujours
aussi confus, le film est provoquant, mais raté,
quoi qu’on en
Summer Palace
dise. On est
très loin des promesses de « Suzhou River ».
« Une
jeunesse chinoise » ne pouvait qu’être interdit, et il le
fut : le film a valu à Lou Ye, et à sa productrice, cinq ans
d’interdiction de tournage en Chine. Ce fut le début d’une
longue descente aux enfers … D’interdiction en interdiction
et de défi en défi, Lou Ye a fini par faire de son attitude
rimbaldienne une image de marque, continuant de tourner
malgré les interdits, pour faire valoir la liberté
inconditionnelle d’expression artistique.
2009-2011 : Le
salut par l’étranger
Cette
liberté passait dès lors par l’étranger. Les deux
films suivants de Lou Ye sont des coproductions
soutenues et financées par des producteurs et
financiers occidentaux, orientées vers le public
occidental.
Le premier,
« Nuits
d’ivresse printanière » (《春风沉醉的晚上》),
est sorti en mai 2009 au festival de Cannes, mais
n’a pas fait l’unanimité de la critique ni suscité
l’enthousiasme du public.
Le
second, « Love and Bruises » (《花》),
est sans conteste son plus mauvais film à cette
heure ; celui qui porte ses faiblesses à leur point
culminant. Inspiré d’un roman qui dépeint de façon
très superficielle les déconvenues d’une jeune
étudiante chinoise nommée Fleur (花)
entraînée dans une histoire d’amour improbable avec
un jeune ouvrier beur
Nuits d’ivresse
printanière
de la banlieue parisienne, le film est confus et
caricatural.
Lou Yepeine à
maîtriser un scénario mal ficelé ; connaissant mal la
banlieue, il s’y enlise, comme s’y enlise sa malheureuse
étudiante dont on se demande, comme chez Molière, ce qu’elle
est allée faire dans cette galère.
Le
seul intérêt de « Love and Bruises » est la
photographie de la ville, par
Yu Lik-wai (余力为),
le chef opérateur, entre autres, de
Jia Zhangke, dès
« Xiao Wu » (《小武》).
Autant on le sent mal à l’aise pour filmer des
scènes de sexe mises en scène de manière répétitive
et invariablement filmées de dos, autant il a
superbement photographié la ville, celle de Paris
comme celle de Pékin, et surtout la transition de
l’une à l’autre, ou plutôt l’absence de transition,
de démarcation nette entre l’une et l’autre. Si le
film mérite le thème que lui assigne Le Monde –
l’amour au temps de la mondialisation – c’est grâce
à cette photographie superbe qui gomme toute
différence entre les mondes urbains.
Mais
Lou Ye est très conscient de l’insuffisance de cette
réalisation. Il a avoué lors d’un entretien qu’il
n’aurait jamais fait ce film s’il n’avait été
interdit de tournage en Chine. C’est un film par
défaut, en quelque sorte.
Love and Bruises
2012 : Retour en
Chine
Après cette
transition forcée, sa période d’interdiction de tournage
étant terminée, Lou Ye est revenu en Chine, avec un scénario
dans l’air du temps qui, dans un premier temps, a passé la
censure avec très peu de modifications.
Mystery
« Mystery » (《浮城谜事》)
a été présenté en sélection officielle au festival
de Cannes en mai 2012, dans la section
Un certain regard.
Inspiré de trois histoires trouvées sur internet,
dont le journal d’une femme trompée, le
film raconte la désintégration d'un couple après la
révélation de l'infidélité du mari. C’est à la fois
une étude de la société chinoise actuelle, avec ses
dérives multiples, et un film policier avec enquête
sur un possible meurtre, genre àla mode en
ce moment en Chine. On y
retrouve l’actrice
principale de « Une jeunesse chinoise » et l’un des acteurs
de
« Nuits d’ivresse printanière », comme pour bien marquer
la continuité de l’œuvre.
Le
scénario a bien été autorisé avant le tournage, au bout d’un
long processus de cinq mois, mais, après le festival de
Cannes et peu de temps avant la sortie en Chine, en octobre
2012, les autorités de contrôle ont rompu l’accord de
coproduction qui les liait à la productrice française, et
sont revenues sur l’autorisation donnée. Finalement, le film
n’a pu sortir en Chine qu’avec des coupures et des fondus au
noir. Lou Ye semble ne pas avoir totalement suivi le
scénario soumis… mais c’est assez général.
Le
film aura, comme souvent, une version chinoise et une
version occidentale.
Bande annonce
Après
« Blind
Massage » (《推拿》) en 2014, Lou Ye a réalisé un film policier qui a
est sorti en première mondiale au festival du Golden
Horse à Taipei fin 2018 : « The Shadow Play » (《风中有朵雨做的云》)
ou, littéralement, « Il y a dans le vent un nuage
fait de pluie ». Il a encore figuré dans la
sélection de la section Panorama à la
69ème
Berlinale en février 2019.
Un flic
nommé Yang Jiadong (杨家栋)
est témoin de l’apparent suicide du chef du comité
de construction local, tombé du haut d’un immeuble.
Il commence aussitôt son enquête mais est aussitôt
démis de ses fonctions, et poursuivi par des
inconnus. Mais il réussit à s’enfuir à Hong Kong où
il rencontre la fille de la victime. Grâce à elle,
il continue son enquête, mais il est pris dans un
autre traquenard : celui de l’amour…
Le film est
interprété par une pléiade de bons acteurs, à
commencer par Jing Boran (井柏然)
dans le rôle de Yang Jiadong.