(《透析》),
aborde deux thèmes croisés que l’on voit rarement
traités dans le cinéma chinois parce que ce sont des
sujets sensibles : le système judiciaire et le
système carcéral, avec comme sous thèmes la peine de
mort et les prélèvements d’organes sur les
condamnés.
C’est un
miracle que le film ait passé la censure, même si
c’est au prix de quelques remaniements dans le
scénario, mais c’est un autre miracle que, vu la
superposition à cette trame thématique de drames
personnels, le film ne sombre pas dans un pathos
larmoyant assez habituel dans le cinéma chinois. Il
faut admirer Liu Jie pour la retenue avec laquelle
tous ces sujets sont abordés et traités.
Un scénario
complexe liant plusieurs thèmes de société
Basé sur un
fait divers intervenu en 1997, le
Affiche
scénario fait le
portrait de trois hommes à un moment crucial de leur vie, en
tressant trois histoires intimement imbriquées, et liées à
des problèmes particuliers, mais emblématiques :
-celle d’un jeune
garçon qui, ayant volé deux voitures, se retrouve sous le
coup d’une condamnation à mort, ayant largement dépassé le
seuil minimum justifiant automatiquement et mécaniquement
d’une exécution ;
-celle du juge qui
doit prendre la décision, lui-même dans une situation
familiale et conjugale déliquescente à la suite de la mort
prétendument accidentelle de sa fille, mais peut-être due à
une revanche ; le fait qu’il traverse une crise personnelle
rend son personnage plus humain ;
-celle d’un pdg qui
a besoin d’une greffe de reins (d’où le titre chinois -
透析
tòuxī
– qui signifie ‘dialyse’), greffe que le jeune voleur
pourrait lui fournir, contre argent sonnant et trébuchant à
sa famille après l’exécution.
Liu Jie lors de la
remise du Lotus d’or, mars 2010
Liu Jie
a été très astucieux car il s’est placé à un moment
charnière de l’évolution du système judiciaire
chinois, l’année 1997, qui a vu, justement, le
système devenir plus humain et ne plus se borner à
juger en fonction des seuls critères quantitatifs,
c’est-à-dire le nombre d’actes criminels commis. Le
film constate donc une certaine amélioration, et
dresse en outre le tableau d’un juge intègre, même
si ses collègues ne le sont pas autant. De même, il
implique que le
prélèvement du
rein ne pourra se faire qu’avec l’accord préalable du
condamné, ce qui ne semble pas être toujours le cas.
Un film remarquable
à plusieurs égards
Avec ses
menus arrangements, le film a donc passé la censure
(1), mais les sujets graves sont abordés, et le sont
bien, ce qui est louable. Il vaut sans doute mieux
un film qui compose légèrement avec la censure qu’un
film au vitriol qui sera réservé à un petit nombre
d’initiés dans quelques festivals… Liu Jie est parti
d’un cas réel, qui s’est passé dans le Shaanxi, même
si son juge, dans le film, est un mélange de divers
juges d’affaires criminelles qu’il a connus. C’est
un film remarquable qui a pour lui d’être
authentique.
Scène de prison
L’interprète du
juge, Ni Dahong (倪大红),
sait donnerà
son personnage la profondeur humaine liée à la blessure
intime qui lui donne toute sa complexité.
« Judge »
est cependant remarquable à un autre égard : il va à
l’encontre du courant principal du cinéma chinois, à
l’heure actuelle, qui est, comme d’ailleurs en
littérature, de traiter des petites gens, des
faibles et des opprimés, les fameux laissés pour
compte du boom économique ; cela a été le thème
privilégié de la sixième génération. Liu Jie semble
ici indiquer une autre voie : une préoccupation pour
les classes formant le gros de la société, le
‘mainstream’ comme disent les Américains, pour
éviter le terme de classes moyennes, qui n’existent
guère encore. Or le système juridique, justement,
est un point
important qui les concerne particulièrement.
« Judge »
est donc, à maints points de vue, un film tout aussi
remarquable que
« Le
dernier voyage du juge Feng »
l’avait été trois ans auparavant. Remarqué à la
Biennale de Venise en septembre 2009, il a
certainement mérité le Lotus d’or que lui a décerné
le festival du cinéma asiatique de Deauville au
printemps 2010 et laissait augurer d’un brillant
avenir pour son réalisateur.
Il n’est
toujours pas sorti en France.
Le juge
Notes
(1) Il est à noter
que, dans le cas d’un film sur la justice, le visa de
censure n’est pas donné par le SARFT (l’administration
d’Etat du cinéma et de la télévision), mais par le
département de la justice : tous les détails sont
strictement contrôlés. L’avantage, dit Liu Jie en riant lors
d’une interview à Deauville, c’est que cela vous donne des
consultants privés gratis.