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« Judge », de Liu Jie : lotus d’or du festival de Deauville 2010

par Brigitte Duzan, 26 septembre 2011

 

Deuxième film de Liu Jie (刘杰), « Judge »

(《透析》), aborde deux thèmes croisés que l’on voit rarement traités dans le cinéma chinois parce que ce sont des sujets sensibles : le système judiciaire et le système carcéral, avec comme sous thèmes la peine de mort et les prélèvements d’organes sur les condamnés.

 

C’est un miracle que le film ait passé la censure, même si c’est au prix de quelques remaniements dans le scénario, mais c’est un autre miracle que, vu la superposition à cette trame thématique de drames personnels, le film ne sombre pas dans un pathos larmoyant assez habituel dans le cinéma chinois. Il faut admirer Liu Jie pour la retenue avec laquelle tous ces sujets sont abordés et traités.

 

Un scénario complexe liant plusieurs thèmes de société

 

Basé sur un fait divers intervenu en 1997, le

 

Affiche

scénario fait le portrait de trois hommes à un moment crucial de leur vie, en tressant trois histoires intimement imbriquées, et liées à des problèmes particuliers, mais emblématiques :

-          celle d’un jeune garçon qui, ayant volé deux voitures, se retrouve sous le coup d’une condamnation à mort, ayant largement dépassé le seuil minimum justifiant automatiquement et mécaniquement d’une exécution  ;

-          celle du juge qui doit prendre la décision, lui-même dans une situation familiale et conjugale déliquescente à la suite de la mort prétendument accidentelle de sa fille, mais peut-être due à une revanche ; le fait qu’il traverse une crise personnelle rend son personnage plus humain ;

-          celle d’un pdg qui a besoin d’une greffe de reins (d’où le titre chinois - 透析 tòuxī – qui signifie ‘dialyse’), greffe que le jeune voleur pourrait lui fournir, contre argent sonnant et trébuchant à sa famille après l’exécution.

 

Liu Jie lors de la remise du Lotus d’or, mars 2010

 

Liu Jie a été très astucieux car il s’est placé à un moment charnière de l’évolution du système judiciaire chinois, l’année 1997, qui a vu, justement, le système devenir plus humain et ne plus se borner à juger en fonction des seuls critères quantitatifs, c’est-à-dire le nombre d’actes criminels commis. Le film constate donc une certaine amélioration, et dresse en outre le tableau d’un juge intègre, même si ses collègues ne le sont pas autant. De même, il implique que le

prélèvement du rein ne pourra se faire qu’avec l’accord préalable du condamné, ce qui ne semble pas être toujours le cas.

 

Un film remarquable à plusieurs égards

 

Avec ses menus arrangements, le film a donc passé la censure (1), mais les sujets graves sont abordés, et le sont bien, ce qui est louable. Il vaut sans doute mieux un film qui compose légèrement avec la censure qu’un film au vitriol qui sera réservé à un petit nombre d’initiés dans quelques festivals… Liu Jie est parti d’un cas réel, qui s’est passé dans le Shaanxi, même si son juge, dans le film, est un mélange de divers juges d’affaires criminelles qu’il a connus. C’est un film remarquable qui a pour lui d’être authentique.

 

 

Scène de prison

L’interprète du juge, Ni Dahong (倪大红), sait donnerà son personnage la profondeur humaine liée à la blessure intime qui lui donne toute sa complexité.

 

« Judge » est cependant remarquable à un autre égard : il va à l’encontre du courant principal du cinéma chinois, à l’heure actuelle, qui est, comme d’ailleurs en littérature, de traiter des petites gens, des faibles et des opprimés, les fameux laissés pour compte du boom économique ; cela a été le thème privilégié de la sixième génération. Liu Jie semble ici indiquer une autre voie : une préoccupation pour les classes formant le gros de la société, le ‘mainstream’ comme disent les Américains, pour éviter le terme de classes moyennes, qui n’existent guère encore. Or le système juridique, justement, est un point important qui les concerne particulièrement.

 

« Judge » est donc, à maints points de vue, un film tout aussi remarquable que « Le dernier voyage du juge Feng » l’avait été trois ans auparavant. Remarqué à la Biennale de Venise en septembre 2009, il a certainement mérité le Lotus d’or que lui a décerné le festival du cinéma asiatique de Deauville au printemps 2010 et laissait augurer d’un brillant avenir pour son réalisateur.

 

Il n’est toujours pas sorti en France.

 

Le juge

 

Notes

(1) Il est à noter que, dans le cas d’un film sur la justice, le visa de censure n’est pas donné par le SARFT (l’administration d’Etat du cinéma et de la télévision), mais par le département de la justice : tous les détails sont strictement contrôlés. L’avantage, dit Liu Jie en riant lors d’une interview à Deauville, c’est que cela vous donne des consultants privés gratis.

 

 

Bande annonce

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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