|
« Le Pavillon
aux pivoines » : adaptations cinématographiques
par Brigitte Duzan, 14 janvier 2020
Chef d’œuvre du théâtre chinois datant de la fin des Ming,
et bien que jouissant d’une grande notoriété, « Le Pavillon
aux pivoines » ou Mudanting
(《牡丹亭》)
de Tang Xianzu (汤显祖)
n’a pas été souvent adapté au cinéma.
S’agissant de l’histoire d’une jeune fille tombée éperdument
amoureuse au cours d’un rêve, morte des frustrations nées de
cet amour impossible, mais revenue à la vie par la force
même de cet amour, la pièce a suscité un engouement
passionné chez les jeunes filles du même âge que l’héroïne
quand elle a été publiée ; mais elle a du même coup provoqué
des oppositions tout aussi passionnées, en particulier en
raison de ses allusions érotiques à peine voilées. Mais si
les adaptations à l’écran ne sont pas nombreuses, c’est
surtout parce que les histoires de fantômes ont très vite
été interdites au cinéma en Chine.
Une histoire envoûtante interdite à l’écran
Lecture dangereuse pour jeunes filles rangées
On en a une idée en lisant « Le Rêve dans le
pavillon rouge » (Hongloumeng《红楼梦》)
publié un siècle après la publication du
Mudanting. Au chapitre 23, Cao Xueqin nous
dépeint l’émoi ressenti par la jeune Lin Daiyu (林黛玉)
qui vient d’entendre des chants du « Pavillon aux
pivoines » en passant dans l’une des cours de
l’immense demeure. Elle les associe au souvenir de
l’histoire de l’empereur Tang Xuangzong et de sa
malheureuse concubine Yang Yuhuan (楊玉環),
ou Yang Guifei (杨贵妃).
Au chapitre 34 ensuite, Daiyu est émue aux larmes en
lisant la description de la promenade dans le jardin
de la scène dix. |
|

Lin Daiyu écoutant «
Le Pavillon aux pivoines »,
gravure du Nouvel An
de 1992 |
Dans le roman, « Le Pavillon aux pivoines » est fréquemment
associé à la « Romance dans la Chambre de l’Ouest » (Xixiangji《西厢记》)
pour évoquer les émois sexuels des jeunes héroïnes de la
maison. La mater familias Jia Mu (贾母)
est parfaitement consciente du danger, et interdit la
lecture de la pièce à ses ouailles.
Histoire de fantôme interdite à l’écran
Les films de fantômes, et en général les films faisant appel
au surnaturel, ont été dès le début des années 1930 victimes
de la censure du Guomingdang : parce qu’ils véhiculaient des
superstitions et autres croyances dites féodales. La
première loi de censure date de novembre 1930 : elle était
destinée « à
protéger l’industrie nationale » et « prévenir toute
atteinte à la dignité nationale et à la morale
traditionnelle »
.
Tous les films, non seulement chinois mais aussi étrangers,
y étaient soumis. De toute façon, les années 1930 voient
l’avènement du cinéma de gauche dans un climat de guerre.
Le cinéma de la Chine maoïste a poursuivi dans le même sens
en interdisant tout reflet de superstitions d’un autre âge à
l’écran, et en particulier tout esprit démoniaque et
surnaturel – sauf les esprits maléfiques incarnés par les
ennemis de classe.
Le surnaturel
s’est alors réfugié dans le cinéma hongkongais, en puisant
dans les mythes et légendes et dans le répertoire du théâtre
et de l’opéra. L’« héroïne fantôme » revenant dans le monde
des humains pour prendre sa revanche et rendre justice est
devenue un thème récurrent, plongeant aux sources des
chuanqi des Tang
.
Trois adaptations à Hong Kong et Taiwan
La pièce de Tang Xianzu a été très peu représentée en raison
de sa longueur et de sa complexité, mais elle a fait l’objet
de nombreuses adaptations en opéra kunqu, avec des
livrets ne reprenant que les scènes les plus célèbres.
Certaines interprétations légendaires ont été filmées et
ainsi préservées, en particulier celle de Mei Lanfang (梅兰芳)
dans un film réalisé au studio de Pékin par Xu Ke (许珂)
en 1960.
Mais il s’agissait de rendre honneur à l’opéra, et à
l’art du kunqu, non à la pièce elle-même. On
ne connaît en fait que trois adaptations de la pièce
au cinéma, deux films réalisés à Hong Kong et un
troisième à Taiwan.
Première adaptation : 1956 à Hong Kong
Quatre ans avant le film réalisé par Xu Ke était
sorti à Hong Kong ce qui est considéré comme la
première adaptation au cinéma du « Pavillon aux
pivoines » :
« Un splendide
cadavre revenu à la vie » (《艳尸还魂记》),
film cantonais en noir et blanc, écrit et
réalisé par Lee Sun-fung (Li Chenfeng 李晨風) et sorti
en août 1956 à Hong Kong. |
|

Un splendide cadavre
revenu à la vie (affiche 1956) |
Deuxième adaptation : 1995 à Taiwan
« The
Peony Pavilion » (《我的美丽与哀愁》),
troisième film de Chen Kuo-fu (陈国冨),
est plutôt inspiré qu’adapté de la pièce, en brodant
sur le thème du rêve et en mêlant rêve ancien et
réalité d’aujourd’hui.
Troisième adaptation :
2001 à Hong Kong
« Le
Pavillon aux pivoines » (《游园惊梦》)
de
Yonfan (杨凡),
est aussi inspiré plutôt qu’adapté du Mudanting,
et plus exactement, comme l’indique le titre
chinois, de la scène du « rêve dans le jardin » ;
mais Yonfan est parti de la version en opéra
kunqu dont il est un passionné. Il a su recréer
avec la musique l’atmosphère de la pièce en la
resituant subtilement dans le contexte de la fin des
années 1920 en Chine et en construisant son scénario
autour de thématiques qui lui sont propres. C’est un
film aussi raffiné que l’opéra lui-même. |
|

Le Pavillon aux
pivoines, Yonfan |
|
|