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« La
môme Xiao » : débuts prometteurs pour Peng Tao
par Brigitte
Duzan,
7 août 2008,
révisé 15 septembre 2011
Ce premier
long métrage de
Peng Tao (彭韬)
fut
une heureuse surprise quand on le découvrit à sa
sortie en 2008 (1). Il a d’ailleurs été couronné du
Silver Digital award
au 32ème festival du cinéma de Hong Kong,
en mars cette année-là ; de façon symbolique, c’est
Wang Xiaoshuai (王小帅)
qui a
remis le prix à son jeune collègue, comme on passe
un flambeau.
Un monde
qui a oublié les sentiments humains
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Wang Xiaoshuai
remettant son prix
à Peng Tao (à droite)
au festival de Hong Kong |
Le sujet traité
pouvait pourtant a priori faire attendre le pire : une
petite fille menacée de paralysie par une maladie du sang,
dont la mère est morte et le père alcoolique, est achetée
par un couple qui compte rentabiliser son investissement en
s’en servant comme objet de compassion pour mendier dans la
rue. Et ce n’est pas tout : le couple est entouré d’une
mafia qui pratique le trafic d’enfants et la vente
d’organes.
Peng Tao filme la campagne chinoise comme un
repaire de brigands assoiffés par l’appât du gain, et
dépourvus de tout scrupule. De ce côté-là, on ne peut
s’empêcher de penser que le scénario a quand même quelque
peu noirci le tableau.
Affiche du film |
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Mais la
peinture des relations entre la petite fille et son
entourage est d’une grande finesse. La fillette a
besoin d’un traitement médical d’urgence si elle
veut éviter de perdre totalement l’usage de ses
jambes, et de mourir à terme. Personne ne semble
s’en soucier.
Son « père
adoptif », en particulier, sans aucun sens moral,
veille sur elle comme sur un investissement qui doit
rapporter. Sa femme, cependant, Gui Hua (桂花),
s’attache à la fillette avec un sursaut d’instinct
maternel et décide, en cachette, de la soigner, avec
les dérisoires moyens du bord, bien sûr, mais
l’intention est là.
Rencontré
au hasard de leurs pérégrinations, cependant, un
autre enfant mendiant, qui, lui, a perdu un bras,
trouve en la fillette une camarade d’infortune et,
ne pouvant plus supporter cette vie misérable,
s’enfuit avec elle, en la |
portant sur son
dos. Ils sont alors repérés par une femme d’apparence aisée
qui, en manque d’enfant, décide d’adopter la petite fille et
l’emmène chez elle. Après l’avoir lavée, peignée, pomponnée,
elle l’emmène en consultation à l’hôpital, et découvre alors
que sa maladie lui coûterait une fortune en soins médicaux.
Le verdict est en effet sans appel : la maladie est trop
avancée, les médecins ne peuvent plus sauver l’enfant qu’en
l’amputant. Coût de l’opération : 100 000 yuan plus les
frais d’hospitalisation.
La passion de la
femme retombe aussitôt : son intérêt pour l’enfant apparaît
finalement aussi égoïste que celui des trafiquants. Elle
charge son ayi de rapporter l’enfant désormais
indésirable d’où elle vient : dans la rue. La gamine est
déposée sur un pont, et priée gentiment et hyprocritement
d’attendre qu’on revienne la chercher. Le film s’achève sur
l’image de la fillette adossée au parapet du pont, qui reste
là comme Godot, à attendre un sauveur tout aussi improbable…
Une heureuse
surprise
Si le film est une
heureuse surprise, c’est pour plusieurs raisons.
Pas de
sentimentalisme
La
première est qu’il refuse tout sentimentalisme, et
que les acteurs, tous amateurs et plus vrais que
nature, n’en rajoutent à aucun moment. Pas une larme
n’est versée ; la petite fille, en particulier, a le
regard vide et la passivité des gens qui ont
abandonné tout espoir : privée de ses jambes, elle
se laisse porter, dans tous les sens du terme. Ses
« nouveaux parents » l’ont rebaptisée "petit
papillon"
(小蛾子,
Xiao’ézi),
mais c’est
un petit papillon aux ailes brisées, que l’on
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Séance de mendicité
dans la rue |
pose sur un
trottoir pour attirer la compassion des passants. Et ça
marche : l’achat de l’enfant est vite ‘rentabilisé’.
Le film est
évidemment très dur envers la politique actuelle du
gouvernement chinois, ce qui n’a pas été, évidemment, sans
poser des problèmes au réalisateur. Il y a, dans le film,
une petite phrase assassine révélatrice qui n’a certainement
pas été du goût des autorités. Quand le couple arrive à « la
ville » pour commencer à mendier avec l’enfant, il se
retrouve dans un réseau mafieux qui s’est partagé le
territoire et demande des comptes aux nouveaux venus. L’un
d’eux aborde le mari en lui demandant – ironiquement - s’il
aide le gouvernement à « surmonter ses difficultés ».
L’autre ne comprend pas : cela signifie tout simplement
qu’il aide l’administration à remplir la tache, qui devrait
être la sienne, de subvenir aux besoins des nécessiteux.
Mais ce qui glace
encore plus, ce sont les commentaires laissés sur les forums
internet, qui témoignent crûment de cette même réalité
glacée que le film dépeint et montre bien qu’il n’a rien
inventé. Témoin celui-ci :
“如果承受不起别人生命之重,不如装作漠不关心”
Si l’on ne peut
pas assumer la charge du sort des autres, il vaut mieux
afficher l’indifférence.
Les trafiquants |
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Peng Tao,
cependant, s’est défendu d’un pessimisme excessif.
Il y a, au milieu de tant de misère et de
décrépitude, des lueurs d’humanité, même et surtout
parmi les plus démunis. Gui Hua se prend d’affection
pour elle et finit par la traiter comme sa propre
fille, et lui prépare avec soin les médicaments
achetés à l’hôpital local.
La seule
véritable lueur d’espoir, dans ce film, tient
finalement au personnage de Gui |
Hua. Misérable,
maltraitée par son mari, traînant une vie de soumission au
malheur, c’est la seule qui témoigne un véritable
attachement envers la fillette, la seule qui s’en occupe
avec désintéressement, la seule qui s’en soucie encore quand
elle a disparu avec le jeune manchot et qui continue, contre
vents et marées, à la rechercher.
Gui Hua, c’est la
figure de la mère, une sorte de Guanyin des pauvres,
boddhisattva égaré dans la fange des villes chinoises de la
croissance à tout va. Tant qu’il y aura des femmes comme
elle, semble dire
Peng Tao, il y aura toujours de l’espoir.
Grande économie de
moyens
Le film est aussi
une surprise sur le plan de la réalisation et des choix
techniques et esthétiques : ils s’accordent parfaitement
avec le sujet.
Le film a
été réalisé en numérique et filmé caméra à l’épaule.
Les acteurs sont tous amateurs. Il tient à certains
moments du documentaire, avec de nombreuses scènes
manifestement tournées “à l’arrache” dans les rues,
les passants ne sachant visiblement que penser du
spectacle bien que la plupart ne se soient rendu
compte de rien. C’est un filmage qui sent
l’économie, l’action étant découpée le moins
possible et présentée en plans souvent très longs.
Bresson est derrière |
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Image finale sur le
pont… |
tout cela, pas
seulement dans ces gros plans répétés sur les pieds, mais
dans le choix délibéré d’un style sans ornement et d’un film
quasiment sans dialogues : aucun pathos, les rares
sentiments qui affleurent en sont magnifiés.
On pense à Bresson
notant, dans ses « Notes sur le cinématographe », les
commentaires d’une lettre de Mozart à propos de quelques un
de ses concertos : « Ils sont brillants… mais ils manquent
de pauvreté. »
Peng Tao a retenu la leçon, son style est un
choix délibéré :
« … c'est la
méthode qui convenait le mieux pour raconter mon histoire.
Ce que je vise dans ce film, c'est la réalité... Même si
j'avais eu davantage d'argent, j'aurais conservé ce choix
technique : j'aurais juste bénéficié d'un équipement plus
performant... »
Il est vrai que
l’image bouge beaucoup, et qu’elle n’est pas toujours de la
meilleure qualité. On ne peut que souhaiter que les prix
glanés par ce premier film dans les divers festivals où il a
été présenté aient attiré l’attention de producteurs
désireux de dépenser un peu plus sur le prochain film de
Peng Tao. On se souviendra du nom en attendant
(2).
Notes :
(1) Le titre en
chinois est
《血蝉》xuèchán.
Terme
difficile à trouver dans un dictionnaire, c’est le nom de la
maladie de l’enfant, une sorte d’infection du sang qui
provoque peu à peu la paralysie des membres inférieurs.
Le
film est sorti
en
France sous le titre « La môme Xiao » qui reprend le premier
caractère du surnom donné à l’enfant : petit papillon ou
Xiao’ézi
(小蛾子).
C’est aussi ce surnom qui a inspiré le titre anglais :
« Little Moth » (ou moth n’a justement pas la
légèreté de butterfly).
(2)
Peng Tao a réalisé depuis lors
un second long métrage, « Floating in Memory » (《流离》), qui a
reçu le soutien du Sundance Institute Feature Film Program
et du fonds Hubert Bals et a été présenté au festival
international du film de Rotterdam en 2009.
Extrait du film :
http://www.zootropefilms.fr/lamomexiao/extrait.htm
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