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« Shanghai Rumba » : hommage de Peng Xiaolian au cinéma de Shanghai

par Brigitte Duzan, 27 janvier 2013

 

« Shanghai Rumba » (《上海伦巴》) représente le troisième volet de la « trilogie de Shanghai » de la réalisatrice shanghaienne Peng Xiaolian (彭小莲)

 

Réalisé pour le centenaire du cinéma chinois, en 2005 (mais sorti en 2006), « Shanghai Rumba » est un film plein de sensibilité et de nostalgie sur le cinéma de Shanghai, et plus particulièrement ce qui apparaît comme son « second âge d’or » : la fin des années 1940, entre la victoire sur le Japon et l’avènement du régime communiste.

 

Il a pour thème le tournage de l’un des grands classiques de la période : « Corbeaux et moineaux » (《乌鸦与麻雀》), de Zheng Junli (郑君里), sorti, après bien des péripéties, en septembre 1949. Le scénario est centré plus précisément sur l’histoire d’amour intervenue sur le tournage entre les deux principaux acteurs, et c’est à travers ce sujet original que Peng Xiaolian revient avec une nostalgie palpable sur 

 

Shanghai Rumba

une période qui a marqué la fin du rayonnementde Shanghai en tant que capitale du cinéma chinois.

 

Le scénario

 

Le scénario est l’œuvre de Peng Xiaolian elle-même, qui est aussi écrivain. Il est structuré en trois grandes parties qui suivent l’évolution des relations entre les deux principaux interprètes, parallèlement au processus du tournage de « Corbeaux et moineaux », présenté comme un film dans le film.

 

1. La réalisatrice présente d’abord l’actrice, Wanyu (婉玉) : jeune femme mariée au rejeton d’une riche famille shanghaienne qui étouffe dans l’étroit cocon familial et rêve de devenir actrice. Après accord de son mari et audition réussie, bravant l’opposition de ses beaux-parents, elle est acceptée sur le tournage d’un film qui a pour interprète principal l’un des plus célèbres acteurs de l’époque, nommé Ah Chuan (阿川) dans le film.

 

2. Cet Ah Chuan est un acteur brillant qui

 

Wanyu dansant la rumba

ne fait aucune démarcation entre sa vie et ses rôles, allant jusqu’à les étudier en s’exerçant dans la rue,

cause de quiproquos et problèmes récurrents. Dès sa rencontre sur le plateau avec Wanyu s’installe

 

Wanyu et son mari

 

entre eux une douce complicité qui ne fait que croître avec le temps.

 

Invitée un jour chez lui, Wanyu découvre qu’il mène en fait une vie misérable, élevant seul ses deux enfants : il lui raconte qu’il a été emprisonné cinq ans au Xinjiang, et que, quand il est revenu, sa femme s’était remariée… Ce sont deux sensibilités à fleur de peau qui se côtoient ainsi sans oser s’engager plus avant, chacun pour des raisons qui lui sont propres, où se mêlent antécédents douloureux et situation familiale.

 

3. Nous sommes à une période charnière de la fin des années 1940, à un moment où le Parti communiste remporte victoire sur victoire sur son adversaire nationaliste de plus en plus affaibli. C’est un moment aussi où la censure se resserre pour compenser la perte de légitimité du Guomingdang. Peng Xiaolian reprend ici la vérité historique : un scénario tronqué du film a été présenté à la censure qui l’a approuvé ; mais les autorités finissent par s’en rendre compte, et le film est interdit.

 

Xia Yu dans le rôle d’Ah Chuan

 

Scène de manifestation contre le Guomingdang

dans les rues de Shanghai

 

C’est une catastrophe financière pour le studio et le réalisateur qui y a investi tout son argent. L’équipe est dispersée. Mais Wanyu et Ah Chuan se retrouvent sur le tournage d’un autre film, une histoire d’amour dont les dialogues leur semblent bien fades. Dans une ultime et sublime scène, ils en improvisent de nouveaux, qui sont leurs propres paroles, affirmant in fine leur amour réciproque. Le film laisse cependant ouverte la question concrète de ce que sera leur vie par la suite…

 

Hommage à la fin d’une époque, à son cinéma et à ceux qui l’ont fait

 

« Shanghai Rumba » est, malgré quelques défauts, une superbe construction en abyme, avec un film dans le film qui brouille tout écart entre la vie et son double sur scène. Ce n’est pas un documentaire sur la réalisation d’un film célèbre, c’est beaucoup mieux que cela : c’est une vision nostalgique d’un art à son apogée et d’un cercle d’artistes et techniciens qui ne vivaient que pour lui – avec, en contrepoint, un parallèle subliminal avec la situation d’aujourd’hui.

 

Les deux acteurs dans l’avant-dernière scène

 

Evocation d’un cinéma en sursis

 

Peng Xiaolian a construit son film sur la réalité historique du tournage de « Corbeaux et moineaux », dont le tournage a commencé en 1948, alors que l’armée du Guomingdang subissait défaite sur défaite. Les autorités surveillaient alors particulièrement les studios de Shanghai que l’on savait ouverts aux idées de gauche.

 

Scène finale

 

Le réalisateur, Zheng Junli (郑君里), n’obtint l’autorisation de tournage que parce que le scénario présenté aux autorités de censure ne comportait pas les attaques contre le régime prévues dans le scénario authentique (1). Quand l’affaire fut découverte, le film fut interdit et le tournage interrompu ; il ne sortit qu’en septembre 1949, avec un scénario plus virulent encore que le premier.

 

Ce que rajoute Peng Xiaolian, c’est le

personnage du traître, ce jeune technicien de plateau qui a vendu la mèche aux autorités parce qu’il avait besoin d’argent pour nourrir sa famille et acheter des médicaments pour son père, traître de classe aussi qui nourrit une haine viscérale contre ces artistes qui ne se préoccupent pas, selon lui, du sort des pauvres comme lui. Il s’attire en retour une semonce pleine d’émotion où il lui est expliqué que ces artistes, en fait, sont pauvres comme job, et dépensent le peu d’argent qu’ils ont pour financer leurs films, en défense de leurs idées…

 

L’atmosphère du plateau est superbement rendue, y compris dans les détails techniques : décors en noir et blanc dans l’esprit des films de l’époque, superposition des scènes réelles, colorées, et de leur rendu en noir et blanc lumineux à l’écran, reconstitution des paniers d’osier qui permettaient de lever les caméras au niveau requis dans les décors sur plusieurs étages… autant de détails qui montrent la pauvreté des moyens techniques dont a souffert le cinéma chinois depuis ses débuts, mais tout particulièrement dans les

 

Tournage du film dans le film

(avec le panier pour monter la caméra)

quelques années postérieures à la guerre pendant laquelle une bonne partie des studios et du matériel avait été détruite.

 

Pauvreté matérielle qui n’a pourtant pas empêché ce cinéma d’atteindre une beauté qu’il ne retrouvera pas, sinon, brièvement, dans les quelques années d’ouverture après la fin du Grand Bond en avant, autre période de danse au-dessus du vide, avant la Révolution culturelle.

 

Hommage ému aux artistes

 

Huang Zongying

 

« Shanghai Rumba » est aussi un hommage ému, et émouvant, aux grands artistes qui ont fait ce cinéma : grâce à  l’astucieuse mise en abyme du film dans le film, il met en scène des acteurs qui joue le rôle des acteurs célèbres du film ancien, de même que c’est un vrai réalisateur des studios de Shanghai, Hu Xueyang (胡雪杨), qui interprète le rôle de Zheng Junli et que les techniciens sont interprétés par de vrai techniciens des studios.

 

Mais tout le film tourne autour des deux interprètes principaux et de l’histoire vraie qui fut la leur : ils sont tombés amoureux sur le plateau de « Corbeaux et moineaux », beaucoup plus vite même que ne le montre Peng Xiaolian pour les besoins de son propre film.

 

L’actrice principale de « Corbeaux et moineaux » était

Huang Zongying (黄宗英), qui devint l’épouse à la ville du grand acteur Zhao Dan (赵丹), acteur principal du film. C’était un acteur venu du théâtre, un monstre de scène extrêmement populaire, devenu

emblématique du cinéma des années 1930 et 1940. Ce que l’on sait moins, c’est que, sous ses dehors flamboyants, il menait en fait une existence misérable, comme le montre « Shanghai Rumba », toute sa vie étant consacrée à son art. Vient évidemment aussitôt à l’esprit le parallèle avec la période actuelle où tout acteur se mesure à l’aune des cachets auxquels il peut prétendre…

 

Si Yuan Quan (袁泉), l’actrice interprétant Huang Zongying, est relativement peu connue, le jeune acteur qui interprète le rôle de Zhao Dan est très intéressant ; c’est un excellent acteur nommé Xia Yu (夏雨) , qui a une vague ressemblance avec Zhao Dan, mais qui a aussi un faux air de Jiang Wen (姜文), grand acteur passé à la réalisation en 1994 ; or, pour son premier film « In the Heat of the Sun » (《阳光灿烂的日子》), Jiang Wen avait besoin d’un jeune acteur lui ressemblant car l’histoire est autobiographique : ce fut  Xia Yu. Il y a donc là

 

 

Zhao Dan

tout un jeu de miroir sur acteurs et cinéastes et le passage de relais des uns aux autres et d’une époque à l’autre.

 

Evocation d’une époque par la musique

 

Couverture du CD de Yao Lee

 

Le film présente quelques erreurs historiques qui ont été relevées par des critiques shanghaiens, qui reprochent également à la réalisatrice, pourtant shanghaienne, un manque d’authenticité dans l’accent de Shanghai, en particulier celui de Zhao Dan, mal rendu par Xia Yu.

 

Mais ces défauts sont compensés par un excellent travail sur la musique, dont les airs et chansons sont choisis comme emblèmes de l’époque, dans une Shanghai métropolite où se croisaient diverses influences, en particulier dans la concession française où résidaient la plupart des artistes : rumba espagnole des années

1920-30 qui ouvre et clôt le film, chanson célèbre enregistrée au début des années 1940 chez Pathé par la chanteuse Yao Lee, « Rose Rose, I love you » (玫瑰、玫瑰我爱你), ou encore « Vous êtes si jolie », chanson de Tino Rossi qui accompagne la séquence finale…

 

 

La chanson 玫瑰、玫瑰我爱你 interprétée par Yao Lee (avec les paroles)

 

 

Bande annonce (ss titres anglais)

 

 

Note

(1) Lors de la rencontre avec le public qui suivit la projection du film au Forum des Images, le 25 janvier 2012, Peng Xiaolian a dit en riant que c’est ce qu’elle fait encore aujourd’hui. Et c’est effectivement un procédé répandu, qui explique pourquoi certains films sont interdits à leur sortie, malgré l’autorisation de tournage initiale.

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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