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« All about women » de Tsui Hark : déception
3 avril 2009,
révisé 27 décembre 2011
Le 11
décembre 2008 est sorti simultanément en Chine et à
Hong Kong un film de
Tsui Hark (徐克)
intitulé
« All about women » (en chinois《女人不坏》
ce qui signifie « les femmes ne sont pas
mauvaises »). Il s’agit d’une comédie classée en
Chine parmi les « comédies romantiques », dont le
générique avait a priori tous les atouts pour faire
du film un succès au box office.
Trois actrices, un scénariste, quatre atouts
prometteurs
« All about women » est une comédie au féminin qui
reprend, sous une forme différente et résolument
moderne, la formule qui avait contribué au succès
de
« Peking Opera Blues » (《刀马旦》)
en 1986,
c’est-à-dire un habile mélange d’action, de farce et
de satire sociopolitique. Ce film relatait les
aventures, pendant les années 1910 à Pékin, de trois
héroïnes que rien ne rapprochait au
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All About Women |
départ : une
rebelle patriote, fille de général, habillée en homme, une
voleuse à la recherche d’une boîte à bijoux et la fille du
directeur d’un théâtre de l’opéra de Pékin. C’est un film
qui reprenait certains éléments de l’opéra de Pékin comme
toile de fond et lieu de l’intrigue ; mais c’est en fait
surtout le trio d’actrices interprétant ces trois rôles
(Brigitte Lin, Cherie Chung et Sally Yeh) qui a déterminé le
succès du film auprès du public.
« All about
women » reprend donc une formule similaire, mais avec un
scénario basé sur les histoires burlesques et déjantées de
trois femmes aux destins croisés, interprétées par trois
actrices qui trouvent là des rôles totalement différents de
ceux auxquels elles nous ont habitués :
- Zhou
Xun (周迅)joue
le rôle de Fanfan, 27 ans, une jeune femme employée
dans une clinique, affligée non seulement d’une
myopie invalidante qui l’oblige à porter d’épais
verres correcteurs, mais en outre d’une phobie des
hommes qui la paralyse. Elle développe donc dans son
labo un patch aux phéromones qui doit lui permettre
de séduire la gent masculine.
-
Kitty Zhang (张雨绮)interprète
Tang Lu, une femme d’affaires fortunée et glamour
d’une trentaine d’années, dont
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Les trois actrices |
le seul
intérêt dans la vie est la chasse aux contrats lucratifs, ce
qui l’amène à s’intéresser aux fameux patches de Fanfan…
Kitty Zhang avait en fait dix ans de moins que son
personnage dans le film ; elle avait encore très peu tourné
et était jusque là surtout connue pour son rôle secondaire
dans le film de Stephen Chow « CJ7 » (《长江七号》).
- Kwai Lun-mei
(ou Gui Lunmei
桂纶镁)
est une actrice taiwanaise née en 1983 dont la notoriété
vient du (gentil) rôle principal qu’elle jouait dans
« Secret » (《不能说的秘密》),
le film qui
marqua, en 2007, les
En couverture de Elle |
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débuts en
tant que réalisateur du chanteur et acteur taiwanais
Jay Chou
(周杰伦).
Dans « All about women », elle interprète le rôle
farfelu d’une boxeuse de 19 ans qui est aussi à la
fois chanteuse punk et romancière sur internet, et
entretient un amour imaginaire avec un boyfriend
japonais (1).
Il fallait
lier ces trois histoires en un scénario qui tienne
la route : il est signé
Kwak Jae-young
(郭在容),
le réalisateur coréen auteur de la comédie
romantique « My Sassy Girl » qui a été un incroyable
succès dans toute l’Asie en 2001. Ou plutôt co-signé
car le scénario a été revu par Tsui Hark avant
d’être remanié par Kwak et d’aboutir à sa version
définitive, elle-même d’ailleurs constamment revue
et corrigée au fur et à mesure du tournage.
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Si
l’on ajoute le talent de Tsui Hark, tous les ingrédients
étaient réunis pour faire de
« All about
women » un film original et réussi. Le résultat n’est
pourtant pas totalement probant.
Et
malgré tout la sauce ne prend pas
Original, le
film l’est certainement. Mais l’on peine à suivre une
histoire décousue, et menée, en outre, à un rythme d’enfer,
dont les trois éléments s’intègrent difficilement. Les
histoires des trois femmes sont poursuivies quasiment en
parallèle, sans beaucoup d’interactions entre elles, et
celles qui sont créées le sont artificiellement. Du coup, le
film repose presque uniquement sur les numéros d’acteurs, et
essentiellement d’actrices car les rôles masculins sont
réduits à des marionnettes sans intérêt autre que de
susciter parmi les femmes une compétition qui permette de
faire avancer l’action.
Or, le jeu
des actrices, volontairement choisies à contre
emploi, est exagéré. Loin d’en rire, on déplore en
particulier ce que Tsui Hark a fait de Zhou Xun :
une godiche insupportablement maladroite et
bigleuse, dont on se demande comment, même avec le
fameux patch, elle peut bien réussir à séduire qui
que ce soit. Son personnage est traité comme une
sorte de Calamity Jane de bande dessinée qui fait
regretter, dans un registre semblable, la finesse
des gags de la Panthère rose. |
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Zhou Xun dans le film |
La seule qui sorte
gagnante de l’épreuve est Kitty Zhang qui se révèle ici
comme une très bonne actrice et donc la carrière devrait
s’en trouver propulsée.
Tsui
Hark a des problèmes de scénario
On est d’autant plus
déçu que
Tsui Hark s’est montré capable de marquer de sa
griffe pratiquement tous les genres, en restant toujours
fidèle aux origines, c’est-à-dire à la culture chinoise.
Sa dernière réussite
était « Seven Swords », fresque médiévale tournée dans le
Xinjiang qui avait fait l’ouverture de la Mostra de Venise
en 1995. Cependant, le film accusait déjà, outre les
habituels dépassements de budget, certaines incohérences,
dues, dit-on, à des remaniements répétés en cours de
tournage.
Les deux films suivants
confirmèrent cette tendance. On ne peut trop accuser
« Triangle » (《铁三角》)
en 2007. C’était en effet un film en trois parties d’environ
trente minutes chacune :
Tsui Hark n’en signa que la
première partie, les deux autres étant réalisées par Ringo
Lam et Johnny To. Mais ce fut la grosse déception du
soixantième festival de Cannes où le film fut présenté hors
compétition : il apparut comme une simple récréation de
trois cinéastes réputés jouant avec leurs acteurs favoris,
sans trop se soucier de la cohérence de leur récit.
« Missing »
(《深海寻人》),
en 2008, fut en revanche une franche catastrophe. Le film
s’annonçait comme une tentative de renouvellement tant
narratif que stylistique, allant chercher dans le genre du
polar fantastique la source de son inspiration, en
l’occurrence les mystères d’une Atlantide sous-marine
découverte en 1985 au large d’Okinawa. Le film a été tourné
sur le site, avec une pléiade d’acteurs célèbres, le
scénario mêlant ruines inquiétantes et disparition
inexpliquée, faisant de « Missing » un
film à suspense, à la fois
« romantique, fantastique et aquatique ». Ce fut un
flop complet, sauf pour quelques aficionados
inconditionnels.
Avec « All about
women », c’est une nouvelle déception que nous valait
Tsui
Hark. Peut-être est-il plus difficile qu’il ne semble pour
un réalisateur hongkongais très attaché à ses origines de
renouveler son style. Il semble cependant que le succès ne
peut venir seulement d’une poignée d’acteurs aussi doués et
célèbres soient-ils. Une attention particulière devrait être
portée aux scénarios.(2)
Notes
(1) On la retrouve dans
un rôle tout aussi original, et également aux côtés de Zhou
Xun, dans le film en 3D de Tsui Hark sorti fin 2011,
« Flying Swords of Dragon Gate »
(《龙门飞甲》)
(2) En 2010, « Détective
Dee : le mystère de la flamme fantôme »
(《狄仁杰之通天帝国》)
n’a fait qu’accentuer le problème.
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