« A First
Farewell » : un premier film très poétique de la jeune
réalisatrice Wang Lina
par Brigitte Duzan, 23 septembre 2019
« A First Farewell » (《第一次的离别》)
est un premier film très réussi : il a obtenu le
prix du meilleur film dans la section Asian Future
au 31ème festival de Tokyo, en novembre
2018, puis l’Ours de cristal à la Berlinale dans la
section Generation Kplus en février 2019.
Trois enfants au bord du désert
Son film, la réalisatrice,
Wang Lina (王丽娜),
l’a dédié à son village natal : Shayar (沙雅),
à l’ouest du Xinjiang, où elle est née en 1987.
Cela pourrait être un sujet risqué dans les
circonstances actuelles, il reste sensible, mais il
est traité avec tellement de délicatesse et de
poésie, par les yeux d’un enfant, que Wang Lina a
même réussi à obtenir le visa de censure.
On pourrait dire que c’est l’histoire de trois
enfants et d’un mouton, en bordure du bassin du
Tarim, aux confins du désert. Mais c’est surtout
l’histoire d’Isa, fils cadet d’un éleveur
A First Farewell
de moutons, dont les deux tâches principales sont de
surveiller les moutons en l’absence de son père, et surtout
sa mère, restée sourde-muette et un peu anormale après une
méningite. Le quotidien d’Isa est scandé par l’école et
égayé par les visites de sa petite voisine Kalbinur et de
son frère, et la joie de voir grandir le petit mouton qu’il
a élevé au biberon.
Shayar, au sud de
Kucha, en bordure du bassin du tarim
Le film se déroule au fil du temps qui passe, très
lentement, au gré des saisons, mais en apportant
inexorablement son lot de soucis et de peines. Les soucis
sont ceux que causent la mère, que le père veut confier à
une maison de santé parce qu’elle demande une surveillance
constante, mais aussi les problèmes scolaires ; Wang Lina
évoque en demi-teinte la pression exercée sur les parents
comme sur les enfants pour que ceux-ci apprennent assidûment
le chinois.
Trois enfants dans le
désert
Finalement, la petite voisine qui a de trop
mauvaises notes est envoyée dans une école chinoise
à Kucha, c’est le premier « au revoir » pour Isa,
après le départ de son frère parti lui aussi
poursuivre ses études en ville. Les enfants
grandissent au gré des pertes affectives qu’ils
doivent subir, séparation de la mère, séparation des
amis d’enfance, perte du cocon familial et de
l’environnement chaleureux de la nature et des
proches. Isa finit même par perdre son mouton….
Une splendeur visuelle et musicale
Les interprètes (non professionnels) sont d’un grand
naturel, les enfants en particulier ; on les sent
chez eux dans ce paysage semi-désertique, où la
culture du coton et l’élevage des moutons fournit à
peine de quoi survivre, d’où la pression exercée sur
eux pour qu’ils étudient, au risque de devoir
abandonner leur maison et leur village, et tôt ou
tard de perdre leur culture et leur langue.
Isa Yasan dans le rôle
d’Isa
Kalbinur Rahmati dans
le rôle de Kalbinur
Tout est évoqué à mots couverts, sans trop appuyer,
mais le risque est posé dès l’une des premières
séquences, par un dialogue en marge de l’action
principale, entre deux personnages assis à côté d’un
étal de galettes, au bord de la route : un fils qui
déclare vouloir partir étudier, et un vieux père qui
s’y oppose car il a peur de rester seul.
Wang Lina est l’une de ces jeunes qui sont partis en
ville faire des études. Il y a un fond d’inspiration
autobiographique
dans ce premier film, que Wang Lina a reconnue, mais elle a
dit avoir aussi été influencée par la saga poétique de
l’écrivain kirghiz Chingiz Aitmatov, « Le bateau blanc »,
qui décrit de même la vie d’un enfant dans un village, dans
une approche pure et poétique, proche de la nature. Par
ailleurs, la beauté lente et méditative de « First
Farewell » rappelle les films iraniens, ceux de Kiarostami,
par exemple, en particulier « Où est la maison de mon
ami ? ».
Outre la subtilité du scénario et la qualité des
acteurs, cependant, la réussite du film tient
beaucoup à la qualité de l’image et de la musique.
« A First Farewell » est un poème narratif où les
changements de saison marquant le passage du temps
sont rendus par des tableaux impressionnistes, comme
dans les films chinois traditionnels, de
Xie Fei (谢飞)
par exemple – on pense entre autres à
« La
jeune fille Xiao Xiao » (《湘女萧萧》),
qui est construit de manière semblable. Ici, le
Le Tarim comme peint
par Corot
montage est signé Matthieu Laclau qui semble revisiter ses
maîtres.
Wang Lina à la
Berlinale avec
le directeur de la
photo Li Yong à g
et le compositeur Wen
Zi à dr.
De vastes panoramiques du désert alternent avec des
séquences dans les champs de coton et dans une
vieille forêt de peupliers aux troncs noueux ; les
scènes d’intérieur apportent une certaine touche
locale, renforcée par les dialogues en ouïghour. La
photographie est dès la séquence introductive d’une
beauté très étudiée, sans tomber dans le cliché.
Elle est signée Li Yong (李勇),
qui a été le maître de Wang Lina. Il nous donne une
idée du caractère immémorial de ce paysage et de la
vie qui continue là, en harmonie avec lui.
Quant à la musique, elle est du compositeur Wen Zi (文子)
et se substitue parfois aux dialogues, en apportant
une profondeur et une émotion supplémentaires. C’est
un chant qui définit le personnage du père de
Kalbinur, c’en est encore un autre qui conclut le
film, comme si Wang Lina nous laissait ce dernier
chant pour nous accompagner plus longtemps.