« La
tisseuse » : petite déception dans la filmographie de Wang
Quan’an
par Brigitte Duzan,
25 février 2010,
révisé 10 février 2011
Sorti le 24 février 2010 sur les écrans français, le
quatrième film de
Wang Quan’an
(王全安),
« La tisseuse » (《纺织姑娘》),
arrivait avec un a priori favorable après
l’excellent « Voyage de Tuya » (《图雅的婚事》),
Ours d’Or mérité de la 57ème édition de la
Berlinale, en 2007. « La tisseuse » avait en outre
été primé au 33ème festival des films du
monde de Montréal, en septembre 2009, remportant le
prix des critiques de films et le grand prix spécial
du jury.
Venant à la
suite d’une filmographie jusque là sans faute, le
film a cependant déçu. Il poursuit bien dans la même
veine de réalisme sans pathos qui caractérise les
œuvres précédentes du cinéaste, mais avec ici
tellement de retenue que l’émotion finit par se
perdre.
Nouveau
portrait de femme
L’affiche française
Le film dépeint
une tranche de la vie d’une ouvrière d’une usine textile
(c’est le sens exact du titre), dans un monde en profond
changement. C’est une tranche de vie ordinaire, avec ses
peines et ses joies, comme l’illustrent à merveille les deux
affiches du film montrées au festival de Montréal : l’une
privilégie la tristesse, l’autre l’aspect joyeux du film.
Les deux affiches du
festival de Montréal
Wang Quan’an a
délaissé la campagne de ses films précédents pour la
ville, suivant en cela un mouvement assez général
chez les réalisateurs chinois de sa génération. Wang
Quan’an est surtout connu pour son troisième long
métrage, « Le mariage de Tuya » (《图呀的婚事》) :
il
était revenu pour ce film en Mongolie intérieure,
dans la région dont sa mère est originaire, dans
l’intention de filmer la vie des derniers bergers
locaux, forcés de quitter leurs terres en raison de
la progression de la sécheresse tout autant que de
l’industrialisation.
Il nous a peint en
fait l’histoire originale d’une femme dont le mari accidenté
ne peut plus travailler et qui cherche un époux de
substitution pour subvenir aux besoins de la famille, le
tout filmé sans états d’âme ni larmes superflues, avec le
sentiment tranquille de la loi inexorable du temps qui
passe.
Avec « La
tisseuse », il nous livre un autre portrait de femme, mais
beaucoup moins attachant ; c’est un mélodrame dont le point
de départ n’a rien d’original : une ouvrière est menacée de
licenciement en raison des problèmes rencontrés par l’usine
où elle travaille et on lui annonce, en outre, qu’elle a une
leucémie.
Réflexion
existentielle
Le
réalisateur a expliqué que les raisons profondes du
choix de son sujet remontent à ses souvenirs
d’enfance des ouvrières d’un groupe d’usines
textiles de la région de Xi’an, aujourd’hui fermées.
On pense beaucoup, entre autres, au « 24
City » (《二十四城记》)
de Jia Zhangke devant certaines scènes, y compris
celle de la chorale.
Il ne
s’agit pourtant pas d’un film sur les problèmes
sociaux de la Chine moderne, mais d’une réflexion
sur la vie et la mort, ou plus spécifiquement sur le
peu de chose qu’est la vie face à la mort. Le
scénario est ainsi axé sur le désarroi induit par
l’annonce de sa mort prochaine chez la jeune
ouvrière : elle prend brusquement conscience de la
futilité de son existence et en conçoit le désir de
vivre pleinement au moins les quelques mois qui lui
restent, en tentant de revenir vers un amour ancien.
Yu Nan en ouvrière
textile
Scènes du film
Ce genre
d’histoire sert souvent de prétexte non seulement à
l’analyse d’un personnage et de son entourage, mais
aussi des problèmes sociaux qui y sont liés. Ici ce
n’est pas le cas, ou du moins ce n’est pas
l’intention avouée du cinéaste : son dessein était
de dépeindre un drame intime, et qui pourrait être
universel. Les questions sociales sont donc à peine
esquissées, c’est tout juste une toile de fond.
Mais, comme le film est par ailleurs
tout en retenue
émotionnelle, on reste froid, dans une indifférence ponctuée
d’éclairs de plaisir devant certaines images, et ce malgré
l’excellente prestation de l’actrice, Yu Nan (余男),
celle du « Mariage de Tuya » : elle sauve le film quand il
aurait pu sombrer dans l’ennui, au détour de ses très longs
plans séquences.
Il vaut mieux
oublier « La tisseuse », on ne peut pas être génial en
permanence : c’est le parti qu’ont pris nombre de
biographies chinoises de Wang Quan’an.