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« Shanghai Dreams » : quand Wang Xiaoshuai jette un regard
sur le passé
par Brigitte
Duzan, 20 septembre
2011
On a
tendance à caractériser les réalisateurs de la ‘6ème
génération’, celle-là même dont
Wang Xiaoshuai est
l’un des représentants les plus éminents, comme une
génération « urbaine », essentiellement préoccupée
de la peinture de la réalité sociale au présent,
sans se soucier de revisiter le passé comme
l’avaient fait leurs prédécesseurs.
« Shanghai
Dreams » (《青红》)
est là pour prouver juste le contraire : c’est un
film ancré dans les souvenirs d’enfance du
réalisateur, ceux des années de la Révolution
culturelle et immédiatement après. En même temps,
c’est un film dans la continuité des deux
précédents,
« Beijing
Bicycle » et
« Drifters »,
en ce sens qu’il peint à nouveau les difficultés de
jeunes adolescents aux prises avec un monde en
changement auquel il leur faut s’adapter pour y
trouver leur place. |
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Affiche française |
Oubliés aux fins
fonds du Guizhou
Les protagonistes
des films précédents de
Wang Xiaoshuai étaient des
oubliés du développement économique, des laissés pour compte
d’une politique de croissance volontariste ; les personnages
de « Shanghai Dreams » sont d’autres oubliés.
Affiche chinoise |
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Ils ont été
enrôlés dans un rêve, l’illusion que l’on pouvait
accélérer la croissance des zones reculées du pays
en y transférant en masse usines et hommes, idée
doublée de considérations stratégiques, c’est-à-dire
le désir d’avoir une base industrielle qui puisse
être à l’abri de toute attaque. C’est ce qu’on a
appelé la politique de la « troisième ligne de
défense », appliquée à partir de 1964, et visant à
délocaliser des usines à vocation essentiellement
militaire vers l’ouest et le sud-ouest du pays, dans
des zones montagneuses difficiles à localiser et
attaquer.
A la fin
des années 1970 et au début des années 1980, après
le lancement de la politique de réforme et
d’ouverture, tous ces gens qui étaient partis dans
l’enthousiasme n’avaient plus qu’une envie, rentrer
chez eux. Or il leur fallait pour cela obtenir
l’autorisation des autorités centrales ; il leur
fallait en particulier un changement de hukou,
ce |
passeport
intérieur qui assigne un lieu de résidence à chacun, pour
pouvoir retrouver un hukou urbain. Faute de cela, ils
n’auraient pas eu existence légale dans leur ville
d’origine.
C’est exactement ce
qui se passe pour la famille qui est au centre de « Shanghai
Dreams », et qui, originaire de Shanghai, vit depuis une
quinzaine d’années dans une petite ville du Guizhou, en
travaillant dans une usine délocalisée : le titre anglais
reflète bien ce ‘rêve’ de retourner à Shanghai qui se fait
de plus en plus fort au fur et à mesure que passe le temps
et qu’échouent les tentatives d’obtenir le hukou
nécessaire, renforçant le sentiment d’avoir été victimes
d’une politique absurde et oubliés au bout du monde sans
possibilité de retour.
Ambivalence
affective et conflit de générations
Mais ce qui
est un rêve pour les parents n’en est pas un pour
les enfants qui sont nés au Guizhou, et dont les
souvenirs d’enfance sont liés à ce coin de terre et
non à Shanghai. Cette ambivalence est très nette
dans la famille de Qinghong (青红),
dont le prénom a été choisi comme titre du film en
chinois : les deux caractères signifient
littéralement bleu/vert et rouge, et évoquent
justement cette ambivalence qui crée toute la
tension du film ; qing représente le vert de
la soumission, et hong le rouge de la
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Qing Hong |
désobéissance, et
au-delà l’expression désigne plus généralement l’opposition
entre ce qui est vrai et ce qui est faux, ce qui est juste
et ce qui ne l’est pas, ceux qui ont raison et ceux qui ont
tort.
Le cas de Qinghong
(青红)
est d’autant plus difficile que son père est très
autoritaire et surveille étroitement sa fille. Ce contrôle
parental se fait encore plus pesant lorsqu’un jeune garçon
du coin, Xiao Gen (小根),
tombe
amoureux d’elle et qu’elle n’y est pas insensible. Son père
se met alors à la suivre. Cette situation rend Qinghong très
réticente envers Xiao Gen, qui le ressent comme une marque
de mépris et de rejet pour des raisons raciales et
culturelles ; lors d’une rencontre furtive, un soir, la
frustration du jeune garçon est telle qu’il finit par la
violer.
Travail de peintre sur
l’image |
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L’affaire
fait évidemment scandale, le jeune Xiao Gen est
arrêté et condamné à mort et Qinghong tente de se
suicider. Cela renforce la détermination du père de
Qinghong de quitter cet endroit maudit et de
repartir à Shanghai, même sans hukou. Les
dernières images montrent la famille quittant la
petite ville en voiture ; la caméra s’attarde sur le
visage en pleurs de Qinghong alors que parvient
étouffée la voix d’un haut parleur qui annonce
l’exécution du violeur… |
Un film
extraordinaire de vérité : une réussite
Wang Xiaoshuai a lui-même
passé une grande partie de sa jeunesse dans la province du
Guizhou, ses parents ayant répondu à l'appel du gouvernement
pour créer la "troisième ligne de défense", appel auquel on
ne pouvait que très difficilement s'opposer, sous peine de
représailles.
Interrogé au micro
de RCI sur la réalisation de « Shanghai dreams »,
Wang Xiaoshuai a déclaré :
« Cela fait des
années que j'avais envie de réaliser ce film. Au terme de
mes études universitaires, je voulais réaliser un film avec
Guiyang en toile de fond. Il s'agit d'un extrait de ma vie
personnelle ». ..
C'est donc avec un
naturel empreint de la plus grande authenticité que
Wang Xiaoshuai parvient à
recréer l'atmosphère de l’époque, dans ces régions pauvres,
mais aussi les attitudes d'une génération déphasée, dévorée
par le désir de retrouver ses origines, mais hésitant sur la
méthode à suivre pour le faire, et tentant jusqu’au dernier
moment de respecter les normes et règlements pour rester
dans la légalité.
Le problème du
déracinement imposé à toutes ces familles par une politique
absurde finalement abandonnée est le thème central du film,
mais le réalisateur le double de thèmes secondaires qui
viennent l’approfondir, tenant à la psychologie de ses
personnages, comme à la société dans laquelle ils vivent. On
se sent gagné par le sentiment d’impuissance qui fait
finalement choisir l’illégalité d’un retour non autorisé,
seul moyen de retrouver une lueur d’espoir dans l’avenir,
surtout pour les enfants.
Wang Xiaoshuai continue ici
sa réflexion antérieure sur les conflits, les contradictions
et les impuissances des gens ordinaires confrontés à une
période de bouleversements sociaux autant qu’économiques.
Parti de Pékin et du Fujian dans la Chine de la croissance
de la fin du millénaire, il revient sur une période qui lui
tient à cœur, et qui peut en être considérée comme les
prémices. Il n’y a pas de rupture, tout se tient.
Wang Xiaoshuai recrée pour
nous le monde des années 1970-80 : on suit des séances de
gymnastique à la radio, on regarde des films sur des écrans
à ciel ouvert, on porte des chemises à carreaux, on prépare
des briquettes de charbon en forme de nid d'abeilles. Les
jeunes aspirent comme partout à plus de liberté, symbolisée
par un rock rebelle qui rythme en cachette quelques unes de
leurs soirées.
La vision offerte
par le réalisateur est cependant assez subtile pour lui
avoir permis de passer la censure. Il nous donne l’image
d’une jeunesse qui n’est pas vraiment bridée dans ses
aspirations. Qinghong apparaît victime non du régime et de
sa politique, mais de son père…
A cette infime
nuance près, le film est remarquable. Il est d’ailleurs
unanimement reconnu comme tel, pour ses qualités formelles,
mais esthétiques aussi : le travail sur l’image est
admirable, digne du peintre que fut
Wang Xiaoshuai à ses
débuts.
« Shanghai dreams
»
a obtenu le Prix
du Jury à l'unanimité au festival de Cannes en 2005. Il a
même réussi à gagner cinq millions de yuans de recettes en
salles cette année-là (570 000 €), ce qui constitue un
succès non négligeable pour un film indépendant tourné avec
un budget relativement modeste.
Note :
Qinghong est
interprétée par Gao Yuanyuan (高圆圆),
et Xiao Gen par Li Bin (李滨),
deux des interprètes principaux de
« Beijing
Bicycle », ce qui
constitue un lien implicite avec ce film et une unité dans
la filmographie de
Wang Xiaoshuai.
Bande-annonce du film :
http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=18412814&cfilm=60586.html
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