Accueil Actualités Réalisation
Scénario
Films Acteurs Photo, Montage
Musique
Repères historiques Ressources documentaires
 
     
     
 

Films

 
 
 
     
 

« La Maison de thé », un film Xie Tian qui exalte la pièce de Lao She

par Brigitte Duzan, 23 novembre 2018

 

« La Maison de thé » (Chaguan《茶馆》) est une pièce de théâtre de Lao She (老舍) écrite en 1956 et initialement publiée dans la revue Shouhuo (《收获》) en juillet 1957 [1]. Tableau original de la société pékinoise sur un demi-siècle, de 1898 à 1948, la pièce est aujourd’hui considérée comme l’un des grands classiques du théâtre chinois moderne.

 

·         La pièce : un grand classique

 

Lao She lui-même a dit qu’une grande maison de thé représente un microcosme de la société (一个大茶馆就是一个小社会。). Sa pièce a donc pour cadre la maison de thé pékinoise Yutaide dachaguan (裕泰的大茶馆) et dépeint l’évolution de la société, des mentalités et de la situation politique du pays à travers leurs répercussions sur la vie du propriétaire de la maison de thé, Wang Lifa (王利发) [2], de ses clients et de leur entourage, une soixantaine de personnages au total.

 

La pièce

  

La pièce est divisée en trois actes, représentant autant d’époques différentes, toutes emblématiques : 1898 (période de la réforme avortée de la fin de l’empire), les années 1920 (la période des seigneurs de guerre) et les années suivant la fin de la guerre contre le Japon.

 

1er acte : 1898, fin de l’empire

 

L’époque est celle de la fin de la dynastie des Qing, après l’échec de la réforme dite des Cent jours, alors que, sur le trône, l’impératrice Cixi engage des dépenses somptuaires pour son propre plaisir [3]. Les clients du salon de thé, eux, poursuivent la vieille tradition du mépris des lettrés pour les riches marchands, et, excédés par la présence étrangère à Pékin, font assaut de xénophobie en dénonçant la misère du peuple, les paysans étant contraints de vendre leurs enfants pour survivre. Ainsi, Kang Liu (康六) est-il poussé par Liu Mazi (刘麻子) à vendre sa fille de quinze ans Kang Shunzi (康顺子) au vieil eunuque Pang (庞太监), richissime et influent à la cour.

 

2ème acte : années 1920, période chaotique

 

La Chine est une République depuis 1911, mais cela ne change rien à la misère des plus pauvres car le pays est plus divisé et plus chaotique que jamais. Le propriétaire de la maison de thé, a du mal à résister tandis que la plupart de ses concurrents ont un à un fermé boutique. Quant à Kang Shunzi, son mari est mort et elle peine à nourrir son fils adoptif Kang Dali (康大力) ; elle cherche donc à se faire embaucher par Wang Lifa. Ayant croisé Liu Mazi dans la maison de thé, elle décide de le tuer pour se venger. D’autres s’en chargeront pour elle car elle n’était pas la seule à avoir un compte à régler avec lui.

 

3ème acte : 1948, après-guerre

 

La guerre contre le Japon est finie, mais ce n’est pas la paix pour autant, la guerre continue entre nationalistes et communistes. Le Guomingdang tente de prendre le contrôle de Pékin. La population affamée se rebelle. Kang Dali prend la tête d’un mouvement clandestin qui organise des manifestations tandis que le fils de Liu Mazi cherche à venger son père en usant de ses contacts au sein du Guomingdang pour prendre possession de la maison de thé de Wang Lifa. La conclusion finale tombe comme un couperet, ou comme un clin d’œil…

 

Ce résumé rapide de la pièce ne donne qu’une vue sommaire de l’intrigue, autour des principaux personnages. La pièce foisonne en fait de personnages secondaires, tous aussi originaux les uns que les autres : un diseur de bonne aventure, un opiomane, des agents de la police secrète, etc. - autant de fils narratifs complémentaires qui donnent au total, à travers le microcosme de la clientèle de la maison de thé, une image extrêmement vivante de la société pékinoise aux prises avec des événements politiques qui la dépassent tout en influant sur la vie de tous les jours.

 

Tandis que le temps passe, les uns vieillissent, d’autres meurent, leurs fils poursuivent leurs rêves ou leurs vices, la vie continue, mais la situation ne s’améliore pas : si la maison de thé survit, c’est pour devenir la base d’un réseau de prostitution. On est en 1948, direz-vous. Mais on a l’impression de lire comme une préquelle des « Chroniques de Zhalie » (《炸裂志》) de Yan Lianke (阎连科) [4].

 

Microcosme de la société, avait dit Lao She qui semblait avoir voulu faire sienne la sage sentence affichée au mur de la maison de Wang Lifa, « Ne parlons pas des affaires de l’Etat », c’est-à-dire de politique (莫谈国事"). Mais, dans un article publié en mai 1958 dans la revue Juben (《剧本》杂志), intitulé « Pour répondre à quelques questions concernant "La maison de thé" » (《答复有关〈茶馆〉的几个问题》), il déclarait :

 

这出戏虽只有三幕,可是写了50来年的变迁。在这些变迁里,没法子躲开政治问题。可是,我不熟悉政治舞台上的高官大人,没法子正面描写他们的促进与促退。我也不十分懂政治。我只认识一些小人物,这些人物是经常下茶馆的。那么,我要是把他们集合到一个茶馆里,用他们生活上的变迁反映社会的变迁,不就侧面地透露出一些政治消息么?这样,我就决定了去写《茶馆》。

Bien que ma pièce n’ait que trois actes, elle reflète malgré tout cinquante ans de bouleversements. Et de tous ces bouleversements il est impossible d’exclure les problèmes politiques. Mais je ne suis pas familier des grands personnages de la scène politique, il m’est donc impossible d’en faire un tableau, positif ou non. En outre, je ne comprends rien à la politique. Je ne connais que quelques personnages sans importance, ceux qui viennent régulièrement dans les maisons de thé. Pourtant, si je les réunis dans une même maison de thé pour refléter les changements de la société, ne vais-je pas par là-même indirectement délivrer un message politique ? C’est ainsi que j’ai conçu « La maison de thé ».

 

C’est bien ce qu’en a retenu le gouvernement chinois qui a attaqué la pièce dès les prémices de la Révolution culturelle. Ce n’étaient pourtant pas les communistes qui étaient directement en cause, dans la pièce, mais bien plutôt le Guomingdang. Le succès de la pièce dès ses premières représentations montrait cependant que la critique allait bien plus loin.

 

·         Mises en scène et représentations

 

La première représentation de la pièce a eu lieu le 29 mars 1958, au théâtre des arts du peuple, à Pékin (北京人民艺术剧院, ou 北京人艺), dans une mise en scène de Jiao Juyin (焦菊隐) et Xia Chun (夏淳), reprise en mai 1963.

 

La mise en scène de 1958, avec présentation des acteurs dans leurs divers rôles

https://www.bilibili.com/video/av9118015/

 

La pièce a été de nouveau représentée, dans la même mise en scène, à partir de février 1979, au même théâtre des arts du peuple de Pékin, et a connu un succès immédiat. La troupe est ensuite partie en tournée en Europe de septembre à novembre 1980, pour des représentations en France, en Suisse et en Allemagne. C’est alors que Xie Tian (谢添) a décidé de l’adapter au cinéma, à partir de cette mise en scène et avec les mêmes acteurs.

 

Cette mise en scène a été reprise le 16 juillet 1992, pour le 40e anniversaire de la fondation du théâtre ; c’était sa 374e représentation, et en même temps ses adieux à la scène. Sept

 

Affiche de la pièce, mise en scène 2005

ans plus tard, en octobre 1999, une nouvelle mise en scène, par Lin Zhaohua (林兆华), a été donnée, avec de nouveaux acteurs. En mai 2004, le théâtre a fêté la 500e représentation. En juin 2005, la version de Jiao Juyin a été reprise, pour le 100e anniversaire de la naissance du metteur en scène (né en décembre 1905 et mort d’un cancer en février 1975), puis encore en août 2008 dans le cadre des manifestations liées aux Jeux olympiques. 

 

Reprise 2005 https://www.bilibili.com/video/av10679264/

  

Ce n’est en juillet 2017 qu’une nouvelle mise en scène a vu le jour, la première depuis celle de Lin Zhaohua. Elle était signée d’un jeune metteur en scène d’avant-garde, Wang Chong (王翀) [5], et était représentée dans un vieux collège de Pékin, par 44 acteurs, en reprenant le texte original de Lao She, mais dans une interprétation très post-moderne.

 

·         Adaptation au cinéma

 

Le film a été réalisé en 1982, au studio de Pékin.

 

Xie Tian avait commencé sa carrière à l’âge de 17 ans comme acteur de théâtre, et même quand il est passé au cinéma, ce fut pour jouer dans des films qui restaient très proches du théâtre. « La maison de thé » montre sa profonde connaissance de ces deux arts de la représentation.

 

Le film

 

Il voulait rester fidèle à la pièce originale tout en évitant de faire de son film un simple enregistrement de la représentation. Le film a été élaboré au cours de réunions de travail entre les interprètes de la pièce et l’équipe du film. Avec son chef opérateur, Xie Tian s’est attaché à utiliser les potentialités spécifiques du cinéma, en mettant en relief certaines scènes et les sentiments des personnages grâce à des gros plans sur les visages que le théâtre ne permet pas. Cela donne un sentiment de proximité qui ajoute à l’intensité des situations, le tout de manière très théâtrale malgré tout, les visages prenant parfois l’expressivité des masques d’opéra.

 

Le baladin, au début du film

 

La fin de l’empire

 

Quelques images restent en mémoire, comme le visage grimaçant et lubrique du vieil eunuque apercevant la jeune Kang Shunzi qui lui a été promise, et qui s’évanouit en le voyant, suscitant aussitôt l’empathie du spectateur.

 

La scène la plus « cinématographique », cependant, est sans doute celle, vers la fin de la pièce, où les trois vieillards jettent du papier monnaie en l’air comme pour anticiper leurs funérailles, devant la vieille maison de thé qui va devenir une maison close ; dans le film, la scène est filmée en grand-angle, en contre-plongée, comme si les papiers allaient recouvrir les trois personnages et les enterrer. Image marquante, de la fin d’un monde.

 

Jeu d’échecs

 

La fin d’un monde

 

Certaines critiques – et celle de l’acteur qui interprète le rôle de Wang Lifa, Yu Shizhi (于是之), en particulier - ont cependant regretté que le film ne montre pas mieux la prospérité initiale de la maison de thé, ce qui aurait permis de mieux souligner le contraste avec son déclin par la suite. Et il est vrai que la même couleur bleue est prévalente du début à la fin, noyant le passage du temps dans la même teinte. Seul tranche le fils de Liu Mazi avec sa veste à carreaux, presque agressive dans le contexte. Mais elle figure bien l’intrusion d’un temps différent, plus violent et encore plus corrompu.

 

Dernier acte, fin de partie

 

On ne parle pas de politique

 

« La maison de thé » reste l’un des grands films chinois des années 1980, un film qui perpétue la mémoire d’une pièce fondamentale du théâtre chinois moderne de la période postérieure à 1949, en commençant par une introduction en voix off en hommage à Lao She.

 

Le film de Xie Tian (non sous-titré)

 

 


 


[1] C’était pour le lancement de la revue, voir :

http://www.chinese-shortstories.com/Actualites_164.htm

[2] Un Mandchou, comme Lao She.

[3] Sur le sujet, voir le film de Zhu Shilin « L’histoire secrète de la cour des Qing »

http://www.chinesemovies.com.fr/films_Zhu_Shilin_hist_secrete_cour_des_Qing.htm

[5] Né en janvier 1982, disciple de Lin Zhaohua et de Robert Wilson, Wang Chong est le créateur, en 2008, du groupe du Théâtre du Rêve expérimental (薪传实验剧团). Il est connu pour ses nouvelles mises en scène de pièces du répertoire, qu’il intitule « 2.0 ». Sa Maison de thé est donc la « Maison de thé 2.0 » (《茶馆2.0).

 

 

     

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Qui sommes-nous ? - Objectifs et mode d’emploi - Contactez-nous - Liens

 

© ChineseMovies.com.fr. Tous droits réservés.

Conception et réalisation : ZHANG Xiaoqiu