Présenté en clôture du 20ème
festival de Busan, le 10 octobre 2015, « Mountain
Cry » (《喊·山》)
est le cinquième long métrage de
Larry Yang (杨子),
seulement quatre ans après le premier. Mais c’est le
premier qui se démarque de la production chinoise
courante, en approchant de ce qui pourrait être un
film d’auteur.
Un scénario bien travaillé pour commencer
Adaptation d'une nouvelle doublement primée
Depuis 2012, Larry Yang écrit ses scénarios, et
celui-ci n’est pas une exception. Il est
adapté d'une nouvelle de la romancière Ge Shuiping (葛水平)
qui a été
couronnée du prix Lu Xun et du prix Littérature du
peuple en 2005
[1].
C’est trois ans plus tard, en 2008, que le
réalisateur l’a lue, y a trouvé des affinités avec sa
propre histoire, et a décidé de l’adapter. Mais la
première version du scénario n’a
Mountain Cry – affiche
pour la sortie du film en Chine
convaincu aucun producteur et a
été rejetée plusieurs fois. Larry Yang l’a donc mise dans un
tiroir et l’y a oubliée.
Mountain Cry – affiche
2
Mais, quatre ans plus tard, il a été embauché comme
directeur contractuel par le coproducteur de son
film précédent, le groupe chinois Hairun Pictures.
Larry Yang a alors repris et révisé son scénario
pour le présenter au Pitch & Catch du 4ème festival
de Pékin, et il y a été retenu. Il se trouve que la
productrice Ellen Eliasoph de Village
Roadshow Productions Asia
[2]
faisait partie du jury, et, un mois plus tard,
elle s’est jointe au projet, en coproduction avec
Hairun Pictures.
Elle est devenue le mentor de Larry Yang, et le film
lui doit beaucoup, pas seulement les personnalités
qu’elle a amenées : Patrick Murguia pour la photo,
et le malaisien Jeffrey Kong pour la direction
artistique. Elle est certainement pour beaucoup,
également, dans la qualité et la construction
narrative du film qui, tout en restant un mélodrame,
s’éloigne suffisamment des schémas traditionnels
pour émouvoir sans excès.
La complexité de
l'intrigue vient de la nouvelle
de Ge Shuiping.
Une intrigue complexe
Le récit a été inspiré à la romancière par une
histoire vraie qui s’est passée quand elle était
jeune, dans les monts Taihang (太行山).
Cette chaîne de montagnes s’étend sur 400 kilomètres
du nord au sud, dans les provinces du Henan, du
Shanxi et du Hebei, et jusqu’en bordure du Shandong,
mais le film a été tourné principalement dans le
Shanxi.
Larry Yang présentant
Mountain Cry avec Ellen Eliasoph
Avec Patrick Murguia
sur le tournage
L’histoire se passe en 1984, dans une petite
bourgade de ces montagnes dont le calme est rompu
par un accident : le villageois La Hong (腊宏)
marche sur un piège à blaireaux et succombe à sa
blessure peu de temps après en laissant une veuve
muette, Hong Xia (红霞)
et deux petites filles. Pour éviter un scandale, le
chef de village conclut l’affaire à l’amiable : le
responsable, celui qui a posé le piège, Han Chong (韩冲),
devra s’occuper de la veuve et des enfants, jusqu’à
ce qu’elles aient été adéquatement dédommagées de
leur perte.
Mais la perte en question n’est pas si facile à
évaluer que ce que l’on pourrait penser. Des
séquences en flashback montrent que La Hong est en
fait un arrivant relativement récent au village,
dans des conditions restées mystérieuses, et qu’il
n’était sans doute ni très honorable ni très bon
mari. Hong Xia conclut un arrangement tacite avec
Han Chong, il l’aide financièrement avec l’argent
qu’il gagne comme meunier et elle fait la cuisine
pour lui. Le quotidien panse les plaies, et les deux
se rapprochent peu à peu.
Wang Ziyi dans le rôle
de Han Chong
Lang Yueting dans le
rôle de Hong Xia
Le film semble donc se diriger doucement vers une
fin heureuse comme le veulent les règles du mélo
chinois, mais les circonstances de la mort de La
Hong, son passéet la vindicte des autres villageois
ne les laissent pas en paix…
Une belle réalisation
Le film bénéficie d’abord d’une superbe
interprétation, en particulier des deux interprètes
principaux : l’actrice Lang Yueting (郎月婷)
dans le rôle de Hong Xia (红霞)
et Wang Ziyi (王紫逸)
dans celui de Han Chong (韩冲).
Ils ont une autre profondeur dans ce film que dans
« Office » (华丽上班族)
de
Johnnie To (杜琪峯)
où ils jouent aussi tous les deux : Wang Ziyi dans
le rôle de la jeune recrue encore idéaliste
Lee Seung (李想),
et Lang
Cheng Taishen, le père
de Han Chong
Yueting dans celui de Kat Ho (何琪琪).
Autres interprètes :
Cheng Taishen
成泰燊le
père de Han Chong
韩父
Yu Ailei
余皑磊
La Hong
腊宏
Guo Jin 郭金
Qin Hua
琴花
Xu Caigen
徐才根
le chef de village Qi Liu
村长
Zhao Chendong
赵晨东
le comptable Wang
王会计
Une fable réaliste
Yu Ailei dans le rôle
de La Hong
Le film a une teneur de fable, mais contée sur un
mode réaliste : c’est un drame qui se déroule
presque en huis clos, dans l’atmosphère étouffante
du village où rien ne passe inaperçu, et où, si bien
des choses sont enfouies dans les arcanes du passé
(et toujours, bien sûr, la Révolution culturelle,
qui plane sur ce petit groupe humain replié sur
lui-même, dans ses montagnes), elles continuent à
hanter les esprits et façonner les mentalités.
Le travail sur les lointains brumeux de Patrick
Murguia est aussi évocateur que les rues du village
soignées par Jeffrey Kong – jusque dans les moindres
détails de fabrication de la farine ; dans son cadre
montagneux, le village semble presque hors du monde,
fermé sur ses rancœurs et ses vindictes.