|
« Lost
on Journey » : une comédie de fin d’année bien enlevée
par Brigitte Duzan, 29 janvier
2012
« Lost on
Journey » (《人在囧途》)
(1) est un
road movie qui tient du conte de fées et semble
vouloir prouver que les inégalités sociales
finissent par tomber quand l’adversité pousse à
coopérer. C’est surtout un divertissement de fin
d’année qui a été un gros succès au box office en
Chine en 2010, en grande partie grâce à son duo
d’acteurs.
Un voyage
de fin d’année qui tourne mal
« Lost on
Journey » est un divertissement de fin d’année dont
le thème est précisément le grand chassé-croisé
annuel qui, tous les ans en Chine, au moment de la
Fête du Printemps, jette sur les routes une grande
partie de la population, la tradition voulant que
chacun rentre dans sa famille pour les fêtes. C’est
ce qu’on appelle le ‘grand déplacement du printemps’
ou chunyun (春运).
On dit aussi que c’est la plus grande migration dans
le monde. |
|
Lost on Journey |
Le duo Xu Zheng/Wang
Baoqiang |
|
C’est tous
les ans un périple pénible pour tous les Chinois qui
travaillent en ville et doivent rentrer dans leur
campagne, mais c’est encore pire quand la météo s’en
mêle et bouleverse les transports. C’est ce qui se
passe dans le film, et rapproche deux voyageurs que
rien ne destinait a priori à se rencontrer : le
fortuné patron d’une usine de jouets, Li Chenggong (李成功),
et
un campagnard, modeste employé d’une laiterie, Niu
Geng (牛耿).
|
Chacun a
les problèmes qui correspondent à son statut
social : l’un a des ennuis avec sa petite amie qui
veut qu’il divorce, l’autre des soucis financiers
parce que son salaire ne lui a pas été payé. Mais
tous deux ont un objectif commun à court terme :
parvenir dans leurs familles respectives pour fêter
le Nouvel An. Ce qui les met également dans la même
panade lorsque leur avion est renvoyé à son point de
départ par une météo adverse : une tourmente de
|
|
Course |
neige à Changsha,
leur lieu de destination commun.
Ils se
retrouvent alors réduits aux mêmes expédients,
partageant les modes de transports les plus divers,
se heurtant aux combinaisons d’obstacles les plus
improbables (un affaissement de la voie de chemin de
fer, un accident de voiture, une route bloquée,
etc…), et finissant par devoir passer ensemble une
nuit à la belle étoile. La bonne humeur inaltérable
du brave Niu Geng finit par dérider son compagnon
d’infortune, et lui faire voir les choses comme il
ne les avait jamais vues, la société et la vie en
particulier. |
|
Accident |
Une fable des temps
(chinois) modernes
Nuit à la belle étoile |
|
« Lost on
Journey » rappelle vaguement, par son argument, le
film américain « Planes, Trains and Automobiles »,
comédie de 1987 de John Hughes, dans lequel deux
individus a priori incompatibles se retrouvaient
compagnon de voyage alors qu’ils rentraient dans
leurs familles fêter Thanksgiving.
Le film
chinois transforme Thanksgiving en Fête du Printemps
et le vendeur d’anneaux de rideaux de douche en
|
employé de
laiterie, mais le film n’a en fait pas grand-chose à
voir avec l’original, à part l’idée de départ. C’est
une comédie typiquement chinoise, d’un humour qui
fait une large part à l’éloge de la débrouillardise
des plus démunis et à une satire de la société
chinoise actuelle, écartelée entre des aspects
modernistes extrêmes et un côté pays émergent dès
qu’on sort des grandes villes et des grands axes.
Le rythme
faiblit dans le seconde partie, il est vrai, et on a
du mal à avaler la morale naïvement optimiste de la
fable – on se serre les coudes quand on est dans le
besoin, et les humbles sont tellement sympas que les
inégalités sociales disparaissent face à
l’adversité. Cela tient du rêve volontariste et du
discours officiel. On connaît des films qui
déclinent le sujet de manière plus subtile. Mais
« Lost on Journey » est enlevé dans une telle bonne
humeur qu’on se sent mal avisé de pinailler sur les
détails. |
|
Xu Zheng |
Il faut
dire que les acteurs enlèvent la mise, et si le film
a eu le succès qu’il a connu, c’est d’abord grâce à
eux : Xu Zheng (徐峥),
célèbre
depuis 2006 et le
« Crazy
Stone » (《疯狂的石头》)
de
Ning Hao (宁浩),
mais
sutout
Wang Baoqiang (王宝强)
qui offre
ici une nouvelle variation de son personnage
habituel de campagnard innocent mais plein de
ressources, habité d’un inaltérable et contagieux
élan vital.
Le film est
de
Ye
Weimin/Yip Waiman (叶伟民),
auteur de déjà dix-huit films depuis 1995, pour la
plupart des comédies légères, mais co-réalisateur
avec Peter Chan de « The Warlords » (ou « Les
seigneurs de la guerre ») en 2007. Yip Waiman est
un autre réalisateur de Hong Kong qui a changé son
fusil d’épaule et qui, comme Peter Chan d’ailleurs,
a décidé d’aller glaner sa part du box office du
continent. Il s’attaque là au marché juteux des
films de fin d’année. |
|
Wang Baoqiang |
Yip Wai-man |
|
|
(1) Note sur le
titre : le caractère 囧 jiǒng est peu courant ;
dans un premier sens, en langue classique, écrit
aussi 冏, il signifie ‘brillant’ car il représentait
à l’origine la lumière perçant à travers les vitres
d’une fenêtre. Ce n’est évidemment pas le sens à
retenir ici, mais bien plutôt le contraire. En effet,
le caractère a été repris et modernisé par les
internautes qui y ont vu l’expression d’un visage
triste ou amusé selon les cas, et en ont fait un
emoticon exprimant la tristesse, la frustration, le
choc autant que l’amusement. On le trouve même
aujourd’hui sur des t-shirts ou des sacs*.
L’emoticon de la culture internet est une nouvelle
forme de pictogramme.
Le 囧 jiǒng du titre du film signifie donc quelque
chose comme fouareux, merdique, mais avec une
référence à la culture internet, ce qui est ajoute
une note ironique et déjantée au film.
* Voir « Niubi, the Real Chinese You Were Never
Taught in School », d’Eveline Chao, Plume Book,
Penguin 2009, p. 167, 168. |
|
L’emoticon
囧
Autre exemple |
|
|