par Brigitte
Duzan, 15 septembre 2013, actualisé 24 janvier 2019
Ning Hao (宁浩)
a
connu une soudaine célébrité en 2006 quand est sorti
« Crazy Stone » (《疯狂的石头》) ;
il n’avait même pas trente ans, mais son film,
pourtant réalisé avec un tout petit budget, a
engrangé six millions de yuans au bout d’une semaine
d’exploitation, bien mieux que les grosses
productions sorties à peu près en même temps.
« Crazy
Stone » est devenu un modèle, un symbole et une
référence, au point d’enfermer son auteur dans le
même genre de comédie sophistiquée sur fond de
suspense pseudo-policier. Genre pour lequel on ne
l’aurait pas pensé forcément prédisposé au départ.
Metteur en
scène par hasard
Né en
septembre 1977 à Taiyuan, dans le Shanxi (山西太原),
Ning Hao (宁浩)
est
d’origine modeste : son père était ouvrier dans une
aciérie.
Ning Hao
Etudes en trois
étapes
Il a commencé ses
études dans un lycée technique avant de poursuivre, à
l’Université normale de Pékin, des études de directeur
artistique dans le département des beaux-arts. En 2003, il a
ensuite parachevé sa formation par un diplôme de
photographie à l’Institut du cinéma de Pékin.
Il a expliqué qu’il
n’avait aucune envie de continuer des études universitaires,
et qu’il a hésité un an avant de se décider à entrer à
l’université à Pékin. S’il l’a fait, c’était surtout parce
que cela lui donnait une excuse pour aller s’établir dans
la capitale. Il considère ainsi son cursus comme un « triple
saut en longueur » (“三级跳远”).
En fait, il s’est
intéressé à l’art tout petit, et d’abord au dessin et à la
peinture. A l’âge de trois ou quatre ans, il est tombé
malade et a été hospitalisé ; à l’hôpital, il se souvient
avoir regardé des bandes dessinées pour enfants avec une
petite fille qui était hospitalisée en même temps que lui.
Il s’est mis à les copier ; ses parents l’ont félicité pour
ses dessins, et son père a commencé à lui enseigner la
peinture traditionnelle chinoise. Il n’avait jamais appris,
mais, dit Ning Hao, il était très doué de ses dix doigts.
Plus tard, Ning Hao
s’est aussi beaucoup intéressé à la musique ; cela se sent
dans ses films.
Deux films de fin
d’étude
Thursday, Wednesday
C’est
presque par hasard qu’il est devenu réalisateur ; il
pensait au départ devenir plutôt directeur
artistique. En 2001, il a tourné un premier petit
film en vidéo numérique comme travail de fin
d’études à l’Université normale : « Thursday,
Wednesday » (《星期四,星期三》).
C’est une histoire complexe, qui est bâtie comme
« Crazy Stone » sur trois lignes narratives croisées
et a les mêmes ingrédients de comédie loufoque.
Il avait
mis son film dans un tiroir sans y accorder trop
d’importance, mais il prit alors un appartement en
colocation avec le réalisateur Fang Gangliang (方刚亮) ;
celui-ci tomba par hasard sur le film, le trouva
très intéressant et lui dit qu’il fallait qu’il
devienne metteur en scène. C’est alors que Ning Hao
décida de se présenter à l’Institut du cinéma de
Pékin.
En 2003,
son film de fin d’études, « Incense » (《香火》),
est une peinture satirique de la société dans un
petit village chinois. Nous sommes en hiver, il fait
froid, les villageois s’apprêtent à tuer des moutons
en préparation de la fête du Nouvel An, tandis que
passe un moine à la robe sale et aux sandales usées.
Ce moine vit dans un temple délabré dont la
principale statue, celle de Bouddha, s’est
effondrée, victime de l’usure du temps.
A travers
les tribulations du moine, le film
Incense
montre une société
gangrenée par la corruption
et la déchéance morale, seules les prostituées lui
Li Quang dans Incense
offrent de
l’argent sans arrière pensée. On n’est même pas sûr
que le moine ait finalement atteint sa propre
élévation spirituelle : la fin est ouverte, malgré
l’apparence de conclusion heureuse que représente la
restauration de la statue.
Première notoriété
Présenté au
festival de Locarno, « Incense » a apporté un début
de notoriété à Ning Hao, mais c’est grâce à « Mongolian
Ping Pong », présenté en 2004 au festival de
Berlin, où il a obtenu le prix du public, puis à
ceux de Hong Kong et Shanghai, qu’il est apparu
comme l’un des jeunes espoirs du cinéma chinois.
Le film est
une chronique sobre mais subtile de la vie
quotidienne en Mongolie
intérieure vue par le biais d’un portrait d’enfant -
un enfant qui avec sa famille dans
une yourte sans eau ni électricité, mais où trône le
portrait de Gengis Khan, et qui trouve un jour par
hasard une petite balle blanche pleine de mystère.
Ning Hao offre là une vision nuancée de cette région
et de ses habitants, très proche du documentaire.
Le film va
lancer la carrière de Ning Hao. En effet, le célèbre
Mongolian Ping Pong
acteur et chanteur
de Hong Kong Andy Lau (刘德华)
venait de créer une nouvelle société de production
pan-asiatique, Focus First Cuts, dont l’objet était de
promouvoir les films de jeunes réalisateurs asiatiques
prometteurs, les futures stars de demain. Or, après avoir vu
« Mongolian Ping Pong », il a invité Ning Hao à participer à
son premier projet. L'initiative réunissait six réalisateurs
de la diaspora chinoise afin de produire six films en HD en
chinois, pour un budget de 500 000 dollars par film.
« Crazy
Stone » n’a rien à voir avec « Mongolian Ping
Pong ». C’est un ovni dans le paysage
cinématographique chinois. Il est plutôt à
rapprocher du premier film de fin d’étude de Ning
Hao, dans la structure du scénario.
« Crazy
Stone » est d’abord une histoire complexe
construite à partir de plusieurs lignes narratives
autour de personnages qui sont des anti-héros ou des
crapules, donnant une vision désabusée de la société
chinoise moderne. Mais, comme le film est une
comédie burlesque aux ressorts inattendus, cette
vision est réjouissante.
Non
seulement Ning Hao nous sert un scénario totalement
original, mais il le fait en outre dans un style qui
l’est tout autant, avec des techniques de
split-screen et de montage qui intensifient encore
l’impression de rythme haletant du début à la fin.
« Crazy
Stone » est un tournant dans la carrière de
Ning Hao. Il le propulse au rang de réalisateur
vedette, et de narrateur par vocation, comique avant
tout – ce qui est d’ailleurs étonnant car il est
lui-même sérieux et plutôt introverti de nature.
Un Crazy
bis
Le film
suivant, en effet, est « Crazy Racer » (《
疯狂的赛车》),
en 2009, qui reprend la manière de
« Crazy
Stone », avec un effet de rappel du titre et,
dans le rôle principal,
Huang Bo (黄渤)
repris du précédent, et devenu acteur fétiche,
inséparable de Ning Hao. Il ne s’agit plus de mettre
la main sur une pierre, mais de gagner des courses,
mais le principe est le même : le parcours est semé
d’embûches, et c’est drôle.
Crazy Racer
Comme dans toute
bonne promotion, le public s’est vu convié à voir le second
film s’il avait aimé le premier. Et cela a marché : le film
a gagné quelque cent millions de yuans, soit près de 16
millions de dollars.
Le film
Reconversion ratée
No Man Land
Ning Hao a
ensuite tenté de changer de style en réalisant un
film dans les paysages désertiques du Xinjiang, dans
un genre proche des westerns américains ou
italiens : c’est « No Man Land » (《无人区》)
que l’on trouve aussi parfois sous le titre
« Western Sunshine ».
Le film
aurait dû sortir en 2010, malheureusement il n’a pas
obtenu le visa de censure. Quelles qu’en soient les
raisons, c’est bien dommage pour Ning Hao qui est
revenu ensuite vers un sujet plus classique.
Sorti en
Chine en avril 2012, « Guns N’Roses » (《黄金大劫案》) est une histoire, comme l’indique le titre chinois, d’attaque à main
armée. L’original est qu’il s’agit de fonds convoyés
par les Japonais dans le Mandchoukuo, l’Etat
fantoche créé après leur invasion du Nord-Est de la
Chine ; cet or devait leur servir à acheter des
armes. Ce sont des jeunes qui sont les auteurs de
cet exploit, devenant ainsi des héros chez eux.
Les coffres
de la banque étaient évidemment bien protégés et
surveillés ; la manière dont l’or a finalement été
volé est imaginative. Comme d’habitude chez Ning
Hao, le suspense est doublé d’effets comiques. On y
retrouve sa tribu d’acteurs,
Huang Bo en tête, et il
joue lui-même un petit rôle d’agent de police.
La
photographie est signée du chef opérateur de
Jiang Wen
Guns N’Roses
pour son grand
succès « Let the Bullets Fly » (《让子弹飞》) :
Zhao Fei (赵非).
Et les combats sont chorégraphiés par le Sud-Coréen Yang
Gil-yeong qui a signé ceux du film de gangsters taïwanais
« Monga » (艋舺),
autre grand succès au box office.
Le film a rapporté
24 millions de dollars. Ning Hao n’a plus de problèmes pour
financer ses films.
Bande annonce
Breakup Buddies
Sorti en
première mondiale au festival de Toronto 2014 puis
en Chine le 30 septembre suivant, « Breakup
Buddies » (《心花路放》)
a été un autre énorme succès commercial.
Le film est
un road movie sur trois mille kilomètres entre Pékin
et Dali, où Hao Yi (郝义)
entraîne son meilleur ami Geng Hao (耿浩)
pour l’aider à se remettre de son divorce avec Kang
Xiaoyu (康小雨).
Or, des années auparavant, c’est au bout de cette
même route que celle-ci avait rencontré son futur
mari….
Malgré une
armada de six scénaristes, le film est
essentiellement une suite de séquences à bâtons
rompus dont l’objectif principal est de fournir
l’occasion de ce qui reste essentiellement des
sketches. Le comique est fondé sur des dialogues qui
font mouche auprès du public chinois, mais surtout
sur les prestations des acteurs, dont les deux
Breakup Buddies
principaux :
Huang Bo (黄渤)
dans le rôle de Geng Hao et Xu Zheng (徐铮) dans
celui de Hao Yi.
Pastiche de Avatar
Leur
apparition conjointe à l’écran, depuis
« Lost
in Thailand » (《泰囧》),
semble être suffisante pour attirer les foules
(chinoises) et générer des millions de RMB. Mais les
actrices ne sont pas en reste, dont, entre autres,
une Zhou Dongyu (周冬雨)
méconnaissable, aux antipodes de la pureté de
« l’aubépine »
[1]…
Ning Hao a
déclaré qu’il avait voulu rendre l’absurdité de la
vie quotidienne en Chine ; mais il s’est bien gardé
de le faire dans une approche nihiliste, ce qui a
valu trois ans d’interdiction à
« No Man’s Land ».
Il le fait au contraire dans un style qui tient
essentiellement du pastiche, ou plutôt
de
pastiches, au pluriel, de genres populaires,
aisément identifiables : road movie bien sûr, films
hollywoodiens, mais aussi films de gangsters
hongkongais, allant jusqu’à une séquence parodique
avec un Geng Hao ivre et dialogue en cantonais.
C’est l’une
des séquences très réussies, car il y en a, et c’est
aussi ce qui a fait le succès du film en Chine. Il
ne faut pas chercher plus dans ce film, dont la
philosophie générale se résume à la phrase énoncée
par Hao yi pour remonter le moral de son copain :
« Pour l’instant, tu es dans l’ombre, dans ta vie.
Mais rappelle-toi que l’ombre n’est pas tout… »
Pastiche de … Zhou
Dongyu
Crazy Alien
Le 5
février 2019, pour la fête du Nouvel An, sort en
Chine le troisième volet de la série des « Crazy » :
« Crazy Alien » (《疯狂的外星人》).
Pour ce
troisième film, le scénario a emprunté à la
science-fiction : il est adapté d’une nouvelle de
Liu Cixin (刘慈欣)
publiée en 2001, « Instituteur de village » (《乡村教师》)
[2]. Dans le
film, deux frères interprétés par
Huang Bo (黄渤)
et Shen Teng (沈腾),
tentent de faire fortune en profitant de l’arrivée
inopinée d’un alien dans leur village…
Court métrage publicitaire de 29’
réalisé pour la société chinoise Th9 (第九城市),
pour la promotion du jeu vidéo éponyme développé par
la société coréenne Webzen dont Th9 a acheté les
droits pour la Chine.
Soul of the Ultimate
Nation
One 2008th
2009 One
2008th 《2008分之1》
Un court
métrage de Ning Hao parmi les douze de ce film,
réalisés par de grands réalisateurs chinois.