|
« The
Knot » de Yin Li : grand succès en Chine
par Brigitte
Duzan, 23 janvier 2009, révisé 20 septembre 2012
« The
Knot »
(《云水谣》)
est une
romance triste qui se déroule sur une soixantaine
d’années, et le premier atout du film est son
scénario.
Un
scénario original
Le
scénario est signé Liu Heng (刘恒),
écrivain et scénariste renommé qui avait déjà
collaboré avec
Yin Li (1). Il a écrit ici une sorte
de romance déployée sur une soixantaine d’année, et
transformée en tragédie par la guerre, une guerre à
peine esquissée qui n’est là que comme ressort
dramatique. L’histoire n’est pas le sujet, même les
séquences du Tibet sont dénuées de toute allusion à
la situation historique. Le sujet, c’est le « nœud »
qui lie à jamais les deux personnages principaux.
Le titre
original -《云水谣》
yúnshuǐyáo
- signifie « la ballade de l’eau et des nuages »,
évocation poétique de l’amour très pur qui lie les
deux jeunes gens, et reste inchangé dans
|
|
The Knot |
le cœur d’une
Biyun âgée qui passe des heures dans la contemplation des
toiles qu’elle peint pour matérialiser son souvenir. C’est
aussi une allusion subtile à leurs deux prénoms, en
reprenant le dernier caractère de chacun. Le titre anglais,
beaucoup plus prosaïque, est une autre manière de désigner
tout simplement cet attachement indéfectible.
1. La première
partie de l’histoire se déroule dans les années 1940 à
Taipei. Le jeune Chen Qiushui (陈秋水)
est engagé comme précepteur du fils d’un riche dentiste. Il
tombe amoureux de la sœur du gamin, Wang Biyun (王碧云),
et ses sentiments sont partagés, ce qui n’est pas du goût
des parents de Biyun. Remercié, il reprend le chemin de son
village où vit encore sa mère et où le rejoint bientôt
Biyun.
2. Ils
sont sur le point de se fiancer lorsque, de retour à
Taipei, Qiushui est prévenu par ses camarades de
faculté qu’il est sur la liste des étudiants de
gauche recherchés par le Guomingdang qui règne sur
l’île d’une main de fer. Qiushui s’enfuit
précipitamment sur le continent pour échapper à ce
qui est connu comme le « massacre 228 », la terrible
répression de février 1947 (2). Les adieux sont
déchirants ; Biyun lui promet de l’attendre jusqu’à
ce qu’il revienne…
3.
Quelques années plus tard, pendant la
|
|
Qiushui et Biyun au
début du film |
guerre de
Corée, on retrouve Qiushui, devenu médecin militaire. Il
opère un jour une jeune militaire blessée, Wang Jindi (王金娣),
qui tombe amoureuse de lui et commence à le suivre partout.
Pendant ce temps, Biyun continue de l’attendre à Taipei, en
s’occupant de sa mère âgée et en refusant les avances d’un
prétendant transi qui, de son côté, ne cesse d’espérer
qu’elle changera un jour d’attitude à son égard.
4. Qiushui
se porte volontaire pour aller au Tibet. Jindi finit
par l’y rejoindre, lui annonçant qu’elle a changé
son nom pour celui de celle qu’il porte toujours
dans son cœur. Elle finit par avoir gain de cause,
et ils se marient. Mais ils meurent peu de temps
plus tard, emportés par une avalanche. Bien des
années plus tard, la fille adoptive de Biyun,
désormais établie à Los Angeles, part sur les traces
de son « oncle » pour tenter de faire le clair sur
le mystère de ses dernières années…
|
|
Une scène à la
campagne |
Accueil
enthousiaste en Chine…
Le film a d’autres
atouts que le scénario, qui expliquent le succès rencontré
en Chine.
D’excellents
interprètes
Qiushui et Jindi à la
guerre |
|
Tourné en
grande partie au Tibet et au Fujian, le film a des
photos très réussies. Mais il a surtout un générique
impressionnant : Chen Qiushui est interprété par
Chen Kun
(陈坤),
l’acteur principal découvert en Occident dans
« Balzac et la petite tailleuse chinoise », Wang
Jindi par Li Bingbing (李冰冰),
et Wang Biyun par la chanteuse taiwanaise Vivian
Hsu, ou Xu Ruoxuan (徐若瑄).
Les rôles secondaires sont tout aussi brillants. |
Vivian Hsu
s’acquitte avec profondeur du rôle difficile de celle qui
reste et, fidèle jusqu’au bout, continue d’attendre contre
tout espoir – le maquillage n’arrive cependant pas à la
rendre tout à fait crédible en Biyun âgée. Chen Kun, lui, a
le charme naturel qui convient à son rôle et Li Bingbing
sait passer de la gaieté primesautière d’une jeune militaire
communiste aux tourments d’une jeune femme amoureuse. Les
parents, aussi, sont parfaits, en particulier le vétéran Qin
Han (秦汉),
rappel nostalgique du cinéma taiwanais des années 70.
Des prix à foison
A sa
sortie fin 2006, l’accueil en Chine a été
enthousiaste, et côté box office et côté
récompenses. Il a reçu en 2007 le Coq d’or du
meilleur film et du meilleur acteur, le prix des
Cent Fleurs du meilleur réalisateur, meilleur film
de fiction et meilleur acteur, et le très officiel
Huabiao award dans un nombre impressionnant de
catégories. Le film a même été choisi pour
représenter la Chine dans la course aux Oscars, en
2008, de préférence au superbe film de Jiang Wen
« The sun also rises ».
… moins
enthousiaste hors de Chine
Pourtant,
alors que le film, première co-production
triangulaire Chine-Hong Kong-Taiwan, était diffusé
en même temps dans les trois pays, la réception hors
de Chine continentale a été plutôt froide. On peut
tenter une explication. |
|
Biyun âgée |
Les critiques
reprochent souvent au film une construction artificielle qui
procède par « flash back » à partir de la quête actuelle de
la fille adoptive de Biyun, interprétée par Isabella Leong,
une actrice encore peu connue, née à Macau. C’est pourtant
plutôt bienvenu et les séquences avec Isabelle sont
rafraîchissantes, sinon très convaincantes, dans
l’atmosphère pesante du reste du film.
C’est en
effet là le défaut majeur de « The Knot », et il
devient insupportable car le film est en plus très
long. Pratiquement tous les personnages, pas
seulement Biyun, sont prostrés dans une attente sans
espoir qui se traduit au mieux par une sorte de
mutisme pesant, au pire par des crises de larmes à
répétition. Biyun est accompagnée dans sa vaine
attente par son jeune prétendant, maladroit et
bégayant, qui continue imperturbablement à l’aimer
et à l’attendre, et pourrait être
|
|
Une scène du tournage,
avec Yin Li derrière la caméra |
attendrissant s’il
ne devenait à la longue une figure de vieil amoureux
pitoyable. Même le père finit de même, prostré dans sa
maison alors que sa femme est partie à Hong Kong, et
attendant, lui aussi, un départ incertain, en buvant pour se
consoler…
Et, comme s’il
fallait un symbole supplémentaire, les scènes à Taiwan se
passent en majeure partie sous des trombes d’eau qui
accentuent le caractère claustrophobe de personnages
enfermés à l’abri des intempéries comme ils sont enfermés en
eux-mêmes, par leurs propres obsessions bien plus que par
les aléas de l’histoire.
Un film qui reste
dans les schémas du cinéma chinois traditionnel
Il y a bien un
effort de modernisation des schémas traditionnels, qui se
retrouve dans la construction non linéaire du récit et
l’esthétique de la photo, ainsi que dans le traitement
négatif de l’activisme révolutionnaire.
Les trois acteurs
principaux et le réalisateur
présentant le film à
sa sortie |
|
Le
personnage de Jindi tranche par son attitude résolue
dans ce lot de malheurs. Elle reprend la figure
traditionnelle de la jeune communiste luttant contre
l’adversité, mais le mythe est revu et corrigé : si
elle réussit à sortir Qiushui du cercle vicieux de
l’attente et à lui insuffler une nouvelle vie, c’est
pour être emportée par l’avalanche qui leur coûte la
vie à tous les deux, comme si la nature se chargeait
de punir l’inconstance.
Finalement, le film ne sort pas d’un jeu
|
très appuyé et
d’un penchant à larmoyer qui sont typiques du cinéma chinois
traditionnel. « The Knot » a parfaitement sa place dans la
filmographie d’un réalisateur qui reste empreint d’une
touche « officielle »…
Notes
(1) Sur Liu Heng (刘恒),
voir
:
http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_LiuHeng.htm
(2) Après la
proclamation de la République de Chine, le 25 octobre 1945,
le jour même de la reddition des troupes japonaises, le
Guomingdang établit une période de répression qui entraîna
un mécontentement croissant au sein de la population, attisé
par la propagande communiste. La violence éclata le 28
février 1947, après une échauffourée au cours de laquelle un
passant fut tué. C’est à la suite de cet « incident » que
fut menée une politique répressive qui fit des milliers de
morts. L’incident porte, selon la tradition chinoise, la
date à laquelle il se produisit, en indiquant le mois
d’abord : 2.28.
|
|