|
« Bachelor Mountain » : l’une des plus belles révélations du
Cinéma du Réel 2012
par Brigitte
Duzan, 01 avril 2012
Remarqué au
35ème festival international de Hong
Kong, en mars 2011, « Bachelor Mountain » (《光棍》)
est le troisième documentaire d’une trilogie de
Yu Guangyi (于广义)
sur la vie dans les forêts des montagnes du Grand
Nord de la Chine. C’est une œuvre très personnelle,
que le festival de Séoul a présentée comme étant :
“一个未曾学过电影,甚至很少看电影的人,他用他的视觉带给我们一个未知世界”。
… l’œuvre
d’un homme qui n’a jamais étudié le cinéma, et
n’avait même jusque là jamais vu de film, mais qui
nous offre sa vision d’un monde jusque là inconnu.
La vie
dans les forêts du Grand Nord
Ce monde
est celui des forêts inhospitalières des contrées
septentrionales de la Chine, où quelques rares
groupes humains vivent de l’abattage des arbres. Ou
du moins en vivaient : en effet, la forêt a été
victime de |
|
Bachelor Mountain |
coupes brutales
depuis un demi-siècle, et le gouvernement chinois, dans un
souci de préservation écologique, a maintenant réglementé
les coupes.
Yu Guangyi |
|
Cette
mesure a directement affecté le mode de vie de
populations qui avaient déjà une vie difficile dans
ces régions où le climat est très dur. Les hommes se
sont retrouvés au chômage, les femmes sont, pour la
plupart, parties travailler en ville. Les hommes qui
restent sont réduits à des petits boulots de survie
et à la solitude, d’où le titre chinois :
光棍
guānggùn
célibataire (1).
C’est le
cas du personnage principal de « Bachelor
Mountain » : San Liangzi (三梁子) ;
c’est un homme solitaire d’environ quarante cinq
ans, divorcé depuis une douzaine d’années après
avoir été réduit au chômage, et qui vit dans une
petite maison qui tient de la cahute, de terre
battue et aux murs lépreux, constamment enfumée par
le foyer central nourri de bois jamais vraiment sec.
|
La séquence
introductive nous le montre peinant dans une pente
enneigée, au milieu de la forêt, chargé d’un immense
tronc porté sur l’épaule : frêle présence humaine
dans ce vaste paysage enseveli sous la neige.
Homme
frustre et peu disert, San Liangzi cache en réalité
une personnalité douce et sensible que révèle
subtilement la suite du documentaire.
Un portrait
humain délicat et subtil
San Liangzi
(三梁子)
est discrètement amoureux depuis dix ans d’une jeune
fille du village, la seule à ne pas être mariée.
Elle vit avec ses parents et, entreprenante et
travailleuse, a transformé leur maison en auberge de
tourisme « vert ». Sa journée de travail terminée,
San Liangzi vient tous les soirs l’aider à ranger et
nettoyer, sans être rémunéré ni même y être
ouvertement convié. |
|
L’abri dans la
forêt |
Les femmes qui ne sont
pas parties |
|
C’est une
sorte de vie commune basée sur le partage des tâches
quotidiennes. San Liangzi vit son amour comme un
sacerdoce, refusant les offres d’emploi en ville
comme les incitations à visiter les prostituées,
voulant se garder pur et sans tache pour ne pas
compromettre des chances pourtant bien illusoires.
La caméra
s’attarde sur les parents de la jeune fille : ils
voudraient bien sûr qu’elle se marie, qu’elle fonde
un foyer, mais elle affirme son indépendance, son
désir d’améliorer son existence sans se soucier des
pressions familiales et sociales.
Les amis
tentent en vain de convaincre San Liangzi qu’il perd
son temps, elle n’aime pas les hommes, lui
disent-ils. Mais lui balaie les racontars d’un
revers de la main, avec la même constante
gentillesse et assurance : vous parlez sans savoir…
|
Le soir,
pourtant, quand il rentre chez lui, légèrement
enivré, divaguant seul sur la route enneigée, la
caméra le prend à monologuer en chemin, et à maudire
le sort qui le réduit à cette attente de toute
évidence sans issue. Sa tranquille assurance vole en
miettes.
Avec
ce troisième documentaire, en étroite
symbiose avec cette nature sauvage et l’humanité qui
tente d’y survivre,
Yu
Guangyi a dressé le portrait délicat et
profondément humain d’un homme qui se confond avec
celui de la forêt et de cette contrée si peu amène
qui est aussi la sienne.
(1) Un
terme qui a le double sens de vieux garçon et de
mauvais garçon ; mais, si ce double sens s’entend
dans le cas du premier film de
Hao Jie (郝杰)
« Single Man » (《光棍儿》),
ce n’est pas le cas ici – le vocable est plutôt
affectueux. |
|
San Liangzi chez lui |
|
|