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« Mid-afternoon barks » de Zhang Yuedong : entre Borges et
David Lynch…
par Brigitte Duzan,
18 octobre 2008,
révisé 07 février 2011
Voilà un
film qui reste l’un des plus originaux que le cinéma
chinois nous ait donné à voir ces dix dernières
années. A la fois onirique et aussi savamment
construit que déconstruit, c’est un film fascinant
qui a été remarqué dès sa sortie, au 32ème
festival de Hong Kong au printemps 2007 ; en octobre
de la même année, il a obtenu le « Dragons & Tigers
Award for young cinema » au 26ème
festival de Vancouver ; après quoi il a été présent
dans bon nombre de festivals internationaux, avec
toujours le même succès.
Un titre
absurde pour un triptyque au sens obscur
Son titre,
déjà, est une énigme. Un titre chinois a souvent un
sens profond qui éclaire et annonce le contenu d’une
œuvre. Or le titre chinois,
《下午狗叫》,
aussi bien que sa traduction anglaise
« Mid-afternoon barks », (littéralement : des
aboiements dans
l’après-midi) tient du non-sens : le
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Affiche |
réalisateur a
expliqué que les aboiements sont ceux que l’on entend à un
moment dans la bande-son, et l’après-midi était l’heure à
laquelle l’équipe du tournage se réveillait souvent. Mais le
fait même que le titre n’ait aucun sens a priori est,
justement, significatif en soi : il porte dès l’abord une
part de mystère, celui qui entoure le film, sorte de conte
surréaliste à la Borges dont
Zhang
Yuedong (张跃东)
se dit d’ailleurs un admirateur.
Photo |
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« Mid-afternoon barks » se présente comme un
triptyque, la partie centrale étant sur fond urbain,
les deux volets latéraux dans un cadre campagnard.
Zhang Yuedong a été étudiant en peinture, c’est une
construction typique d’un peintre. Un peintre qui,
comme le veut l’usage, a donné un titre à chacun de
ses tableaux :
1. Le
village et l’inconnu – ou les inconnus (《村子和陌生人》),
2. La
ville, le morceau de bois, les |
réparateurs (《城市、木头、修理工》),
3. Les pastèques
et le paysan (《西瓜与农夫》).
Des titres ambigus
à souhait, construits eux aussi en triptyque, le premier et
le second binaires, le titre central ternaire. Le sens est à
nouveau marginal, ou du moins il faudrait toute une analyse
plan par plan pour le reconstruire : tout n’est finalement
ici que jeu de l’esprit.
Une histoire de
berger parti se promener en ville, ou de berger qui a rêvé…
Quant à
l’histoire, puisqu’il en faut une, on pourrait dire
que c’est celle d’un type qui garde des moutons ; un
jour, il en a marre et décide d’aller faire un tour
en ville. Là-bas, il est un peu paumé, rencontre un
pêcheur à la ligne, des ouvriers qui réparent des
lignes électriques, il perd son chemin, revient chez
lui et, tellement frappé par son périple, rêve qu’il
voit des poteaux électriques partout.
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Zhang Yuedong sur le
tournage |
C’est une façon de
voir les choses, on pourrait le raconter de mille manières
différentes, il suffit de faire un petit tour sur internet
pour en trouver autant qu’on en veut. Car
Zhang Yuedong
s’est appliqué à brouiller les pistes : il a brillamment
déconstruit une histoire que l’on ne perçoit que par bribes,
apparemment sans grand rapport les unes avec les autres,
comme lorsqu’on se réveille et que l’on essaie de se
souvenir d’un rêve que l’on vient de faire sans parvenir à
en saisir le sens.
Le muscien Xiao He |
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Tout est
fait pour accentuer cette impression : les dialogues
loufoques, mais qui ne le sont que parce qu’ils sont
hors contexte ; les couleurs, en particulier celles
des scènes nocturnes avec leur côté fantasmatique,
voire expressionniste, un peu comme du Murnau en
couleur ; sans oublier la musique, de Xiao He (1),
primée au festival de Hong Kong, avec voix et
instruments subtilement travaillés pour donner un
sentiment d’irréalité.
Les courts
plans-séquences utilisés, surtout,
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viennent renforcer
le fractionnement du récit. On pense commencer à comprendre,
et brusquement la séquence s’arrête, on passe à une autre,
qui n’a rien à voir ; par moment, on pense avoir trouvé un
lien, tel ce morceau de bois jeté à l’eau dans une séquence
et qui dérive au fil du courant dans une autre : l’un des
personnages qui sont là au bord de l’eau, sans but évident,
essaie de l’attraper, il y arrive presque, mais retentit
alors comme un coup de fusil et il abandonne sa tentative.
Nous sommes exactement dans la même situation, à essayer de
saisir un sens qui nous échappe continuellement.
De l’onirisme de
Borges à la pensée de Zhuangzi
C’est un jeu qui
peut en lasser beaucoup ; le film ne peut certainement pas
rivaliser avec « Avatar » pour les chiffres du box office
(mais il n’a coûté que 200 000 yuans, c’est plus facile à
amortir). C’est cependant une œuvre extrêmement subtile qui
mérite un détour. Comme chez David Lynch, les événements
relatés ne sont pas liés, ou s’ils le sont, c’est souvent
trompeur, voire ironique ; tout est fait avant tout pour
créer une atmosphère, un environnement onirique
incompréhensible qui déroute et rend perplexe.
Mais, au-delà de
cet aspect, le plus intéressant est sans doute ailleurs : il
y a là une tentative originale de rendre l’absurdité du
monde actuel, de traduire le non-sens que représente notre
civilisation urbanisée aux yeux d’un campagnard, et aux
nôtres si l’on y réfléchit un tant soit peu. Et ce jeu
subtil sur le réel et son ombre nous ramène finalement au
plus profond de la philosophie chinoise : à Zhuangzi…
Extrait (20 mn)
Extrait suivant (5
mn)
(1) Xiao He (小河)
– ou He
Guofeng (何国峰)
- est né en 1975, à Handan
(邯郸),
dans la
province du Hebei.. Il est arrivé à Pékin en 1995, et y a
fondé le groupe de musique expérimentale « Pharmacy »
(美好药店乐队),
nom parfaitement adapté à un groupe de musiciens si l’on
pense au rôle dévolu par le confucianisme à la musique dans
la société. D’ailleurs il a déclaré : « je suis persuadé que
la musique n’est pas un art égoïste ; je fais de la musique
pour que, ensemble, nous soyons heureux… ».
Au cinéma, il a
signé les bandes sons de deux autres films : en 2006, le
« Luxury car » (《江城夏日》),
de
Wang
Chao
(王超),
et, en 2007, la comédie
« The Case »
(《箱子》),
de l’ex-actrice
Wang Fen
(王分).
Egalement acteur, il interprète le rôle du vendeur de
pastèques dans
« Mid-afternoon
barks ».
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