« Pétition, la cour des plaignants » : un documentaire
devenu un grand classique
par Brigitte Duzan,
22 janvier
2011, révisé 6 décembre 2011
« Pétition : La cour des plaignants » (《上访》)
est un documentaire de
Zhao Liang
(赵亮)
qui a beaucoup fait parler de lui depuis sa sortie,
en 2008.
En France,
co-production INA-Arte, il a fait partie de la
sélection officielle du festival de Cannes 2009,
dans la section ‘hors compétition’, et été présenté,
hors compétition également, au 31ème
festival des Trois Continents, à Nantes, en novembre
de la même année. Il est connu dans le monde entier,
et en Chine aussi, même s’il y est interdit (1). Il
est devenu un grand classique du documentaire engagé
moderne, dans la Chine du nouveau millénaire.
Le titre chinois (《上访》 shàngfǎng)
signifie « en appeler aux hautes autorités pour
obtenir justice » ; c’est une vieille tradition en
Chine, c’est également prévu par la République
populaire, et c’est donc ce que tentent de faire les
pétitionnaires que
Affiche du festival de
Cannes
Zhao Liang a
filmés, en un stupéfiant voyage immobile, comme l’a très
bien dit le Monde lorsque le film a été présenté au festival
de Cannes.
Pétitionnaire
Ils sont
plus nombreux qu’on ne pense, ceux qui réussissent à
venir jusqu’à Pékin porter
plainte contre les abus, injustices et intimidations
dont ils sont victimes de la part des autorités
locales qui n’hésitent pas à les pourchasser pour
les intimider, voire les envoyer en hôpital
psychiatrique.
Zhao Liang les a filmés pendant plus
de dix ans, de 1996 à 2008, rassemblés près du
bureau en charge de recueillir les plaintes (émanation
du Conseil des affaires d'Etat de la République
populaire),
vivant dans des conditions précaires, dans des abris
de
fortune, et attendant là des mois, voire des années.
Zhao
Liang s’est attaché à quelques cas particuliers, mais
emblématiques, des sortes de fanatiques acharnés à prétendre
à un semblant de justice, et à en faire une question de
principe. La durée est remarquablement bien rendue : elle
est à la fois sensible dans la maturation du réalisateur
lui-même, et dans le vieillissement des sujets filmés. Ainsi une femme a emmenée sa fille avec elle ; au
bout de plusieurs mois passés à accompagner sa mère,
celle-ci se lasse, repart en laissant sa mère, et, à la fin
du film, revient, un bébé dans les bras, en quête de sa mère
qui en est au même point de ses démarches ; mais c’est
devenu le but ultime de sa vie. Une brève incursion au
village montre que tout le monde la considère folle.
Il y a des séquences atroces dans leur crudité,
comme celle qui montre une femme qui marchait le
long de la voie ferrée happée par un train ; ses
camarades d’infortune refont le chemin en collectant
au passage les os de son crâne éclaté en menus
morceaux et autres infimes fragments pour tenter de
reconstituer un semblant de squelette et lui rendre
un dernier hommage. La dignité humaine passe par là.
Et c’est ce dont il est question dans tout le film,
finalement : la dignité humaine. Celle de voir ses
droits fondamentaux reconnus.
Mère et fille
Le film
est sorti symboliquement juste après les Jeux olympiques de
Pékin (2), soulignant le décalage entre la misère des uns et
la puissance économique affichée du pays. Il s’achève sur la
démolition du village de fortune des pétitionnaires pour
faire place nette et ville propre avant les Jeux, ce qui n’a
pas stoppé le mouvement, bien sûr, mais pointé ironiquement
le fossé existant entre la façade légaliste et la réalité
concrète d’un pays qui veut afficher sa grandeur retrouvée.
Début (sous-titré français)
Extrait (sous-titré
français)
Le film entier (non
sous-titré)
Le film entier
(sous-titré
chinois et anglais)
Notes
(1) Il est passé
entre autres au festival du cinéma indépendant de Nankin en
2009.
(2) Il est sorti
dans sa forme courte, soit 124 minutes.
La version longue dure cinq
heures, en trois parties : 1. Le village des plaignants (《上访村》);
2. Mère et
fille (《母女》);
3. La gare
Sud de Pékin (《北京南站》).