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« S He »,
l’’animation selon Zhou Shengwei : imagination et créativité
débridées
par Brigitte
Duzan, 7 mars 2019
Zhou Shengwei (周圣崴)
a mis six ans à réaliser
« S He » (《女他》),
qui est son premier long métrage. C’est une somme de
travail minutieux et de créativité explosive dont
l’inventivité nourrit chaque instant de cette
aventure insensée, où le moindre bouton, la moindre
capsule de soda prend vie, se transforme, compose
avec d’autres des tableaux imprévus et fantasques.
Chez Zhou Shengwei, Ubu est roi, et c’est toujours
immensément divertissant.
Sauf qu’on est souvent un peu perdu devant tant
d’inventions débridées ; on a envie de crier
« pouce », le temps de réfléchir et reprendre
souffle. « S He » mérite
une petite explication préalable.
Une mère à la recherche de sa fille
« S He »
est une sorte de fable dystopique, sans paroles.
L’histoire se déroule dans un monde où règne une
dictature de chaussures |
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Un monde fantastique |
masculines, qui enferment les chaussures-femmes dans des
vêtements-prisons pour leur subtiliser leurs bébés à la
naissance, en transformant les filles en garçons pour les
faire travailler dans une usine de cigarettes. L’intrigue
nous permet de suivre une chaussure à talons, rouge, qui se
rebelle pour sauver sa fille sur le point d’être transformée
en mocassin. Pour ce faire, elle se déguise en chaussure
d’homme pour pénétrer dans le saint des saints…

La chaussure rouge |
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A partir de là, le monde de chaussures se détraque,
la nature reprend ses droits sur l’usine, une
végétation luxuriante accompagne les mutations de la
chaussure rouge, comme si la féminité était liée aux
forces de la nature. La femme, ici, est la mère,
celle qui, toujours et partout en Chine, a défendu
la famille, lutté pour ses enfants, les élevant
contre vents et marée en se sacrifiant pour eux.
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Film muet, en stop motion
« S He » est
filmé en animation image par image (ou « stop
motion »), ce qui fut l’une des techniques
d’animation des
Studios d’art de Shanghai
au temps de leur splendeur, en l’occurrence
les poupées animées dont les deux experts furent
You Lei (尤磊)
et (Mme) Lü Heng (吕衡).
Cependant, c’est du cinéma d’animation tchèque,
l’œuvre de
Jiri Trnka ou celle
de Jan Švankmajer,
que se réclame Zhou Shengwei – Švankmajer
qui, comme You Lei et Mme Lü Heng, était au départ
un spécialiste du théâtre de marionnettes.
« S He » est
un film d’une inventivité prodigieuse, où le moindre
objet est transformé en être étrange sorti des
fantasmes d’un esprit torturé, dans un univers
fantastique qui tient de l’Alice au pays
des merveilles de Tim Burton… sauf que le monde
de Zhou Shengwei est autrement inquiétant et
dangereux.
C’est un film muet, certes, mais où le bruitage et
la musique |
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Hiver |
contribuent à créer un espace sonore qui donne à l’image une
vie intense, inquiétante à souhait, un espace où se déroule
comme une cérémonie secrète au fil des saisons, jusqu’à ce
que la vie reprenne après l’hiver, que la chaussure rouge
retrouve sa force vitale sous sa chevelure végétale et
reparte à l’assaut de la mafia du clan des cigarettes…

Dans la luxuriance de
l’été |
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C’est réjouissant et haletant, éblouissant et
pervers, on y perd son latin comme son chinois, et
on en sort un peu sonné, sidéré par ce film
incroyable où tout semble sublimement déréglé, les
couleurs, les sons, les mouvements, le sens que l’on
ne cherche plus et le non-sens qui séduit bien plus,
car c’est ce dérèglement même, dans son
foisonnement, qui fait cette œuvre d’art. |
S He, scène finale
https://www.bilibili.com/video/av23582175/
A lire en complément
Les articles tout aussi enthousiastes de Malo Jacquemin et
Alexis Gaubert,
à l’occasion de la projection du film lors de la 2ème
édition du Festival du cinéma d’auteur chinois
https://www.allersretoursasso.fr/2019/03/01/she-zhou-shengwei-critique/
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