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Cheng Bugao 程步高

1898-1966

Présentation

par Brigitte Duzan, 22 novembre 2011

 

Cheng Bugao (程步高) est né en 1898 à Pinghu, district de la ville de Jiaxing, dans le Zhejiang (浙江嘉兴平湖人).

 

Il fait partie de la première génération des réalisateurs chinois qui, dans des conditions matérielles difficiles, ont créé ex nihilo une cinématographie riche et originale et nous ont laissé les chefs d’œuvre des deux « âges d’or » du cinéma chinois.

 

Cinéaste par vocation : de la théorie à la pratique

 

Cheng Bugao a d’abord étudié dans des écoles privées, avant d’être admis à l’université jésuite l’Aurore (震旦大学), à Shanghai, pour étudier le journalisme. C’est pendant qu’il y était étudiant qu’il a commencé à s’intéresser au cinéma, en écrivant des critiques de films pour le supplément d’un

 

Cheng Bugao jeune

journal progressiste de l’époque, à Shanghai, le Nouveau journal de l’actualité (《时事新报》副刊) ; il traduit aussi des articles de journaux occidentaux traitant des nouvelles techniques cinématographiques. Il acquiert ainsi une première formation toute théorique.

 

Le Nouveau journal de l’actualité

 

Il quitte l’université sans obtenir son diplôme et retourne dans son Pinghu natal enseigner à l’école primaire jusqu’en 1922. Il revient alors à Shanghai dans l’intention de faire carrière dans le cinéma. D’après ses mémoires, c’est la faible qualité des films chinois de l’époque qui l’aurait incité à se lancer dans l’aventure. Après avoir rassemblé le financement nécessaire, il crée un nouveau studio, la compagnie Dalu (大陆影片公司).

 

Cheng Bugao y fait ses débuts de réalisateur deux ans plus tard, en 1924, avec le chef opérateur (et réalisateur) Zhang Weitao (张伟涛), l’auteur de

la photographie du film qui ‘sauva’ la Mingxing en 1923, « L’orphelin sauve son grand’père » (《孤儿救祖记》) (1). Il tourne alors deux documentaires et un premier film de fiction, intitulé « Malheureux canards mandarins » (《水火鸳鸯》shuǐhuǒ yuānyāng), dans le but de les utiliser ensuite comme référence pour tenter d’entrer dans un studio plus important.

 

Le premier documentaire, « Wu Peifu » (《吴佩孚》), était un portrait de Wu Peifu, le « maréchal de jade » (玉帥) de la Clique du Zhili, grand stratège, personnage cultivé, calligraphe et peintre à ses heures, mais impitoyable, qui, en 1923, avait cassé une grève du chemin de fer Hankou-Pékin en envoyant des troupes pour éliminer les grévistes, tuant trente-cinq ouvriers et en blessant beaucoup plus. L’autre documentaire, intitulé « Paysage de Luoyang » (《洛阳风景》),  est l’un des premiers films chinois dits ‘de paysage’ (风景).

 

A la Dalu encore, Cheng Bugao écrit le scénario d’un film tourné par un autre réalisateur, Liu Guangming (刘兆明), et sorti en janvier 1926 : « La jeune paysanne » (《乡姑娘》).

 

Il réalise ensuite quelques films dans des genres populaires

 

Wu Peifu vers 1925

lancés l’année précédente par la nouvelle compagnie Tianyi (天一影片公司) (1) : « Une femme vertueuse » (《空门贤媳》), scénario adapté en 1926 d’une histoire popularisée par un opéra huáijù (淮剧) de la région de Shanghai/Huai’an, et un film d’arts martiaux sorti début 1928, « L’héroïne à l’épée volante » (《飞剑女侠》).

 

1928 : entrée à la Mingxing

 

C’est grâce à l’expérience ainsi acquise qu’il parvient, en 1928, à entrer dans le plus grand studio de l’époque à Shanghai, la compagnie Mingxing (明星影片公司), où il trouve les moyens qui vont lui permettre de réaliser une quarantaine de films en une dizaine d’années (dont plus de vingt dans les quatre premières), jusqu’à l’occupation de Shanghai par les Japonais fin 1937.

 

Il y travaille avec les grands scénaristes de l’époque, en particulier Tian Han (田汉), Hong Shen (洪深) et Xia Yan (夏衍), aussi bons scénaristes que dramaturges.

 

Ses trois premiers films à la Mingxing témoignent de son intérêt, partagé avec ses amis scénaristes, pour les thèmes sociaux capables de toucher un vaste public, et ce avant même la naissance du mouvement du cinéma de gauche. En 1928, il écrit d’abord le scénario de « Divorce » (《离婚》), réalisé par le fondateur et directeur de la Mingxing, Zhang Shichuan (张石川), puis tourne deux films sur la vie des classes aisées. En 1931, il réalise son dernier film muet, comme « Divorce » un mélodrame sur la misère de la condition féminine : « Pas de chance de naître femme » (《不幸生为女儿身》).

 

Cheng Bugao est alors à l’avant-garde des techniques du cinéma sonore à ses débuts, censé redonner du tonus à un marché cinématographique au bord de la crise, en raison de la censure qui interdit les films d’arts martiaux mais aussi de l’évolution des goûts du public. Il est en particulier l’un des premiers réalisateurs chinois à avoir utilisé la technique d’enregistrement du son sur disques de cire pour la sonorisation des premiers films (蜡盘配音到胶片录音). Il est l’assistant de Zhang Shichuan lorsque celui-ci tourne le premier film sonore chinois, sur un scénario de Hong Shen,  « La chanteuse Pivoine rouge » (歌女红牡丹), sorti en 1931.

 

Au début de 1932, au moment de l’attaque japonaise sur Shanghai, encore appelée « première bataille de Shanghai » (2), il va sur le front avec un photographe et en rapporte un documentaire intitulé « La bataille de Shanghai » (《上海之战》).

 

En février 1933, marque de sa place dans la profession, il devient membre de l’Association pour la culture cinématographique nouvellement créée  (中国电影文化协会), emblème et moteur d’un cinéma chinois "émergent" ("新兴电影"). Même s’il n’en fait pas nommément partie, Cheng Bugao se range alors dans un cinéma "de gauche", influencé par les idées communistes diffusées par les scénaristes, mais aussi par le réalisme révolutionnaire du cinéma soviétique, un cinéma orienté en outre par le désir de promouvoir l’union nationale contre l’envahisseur japonais.

 

C’est dans ce cadre  que, entre 1933 et 1937, il tourne ses meilleurs films, et les plus célèbres, tous grands classiques de la période.

 

1933-1937 : Les grands classiques

 

Il réalise en moyenne deux films par an pendant cette période, dont six figurent parmi les plus célèbres.

 

- En 1933, « Le torrent sauvage » (《狂流》) et « Les vers à soie du printemps » (《春蚕》) sont tous deux sur un scénario de Xia Yan (夏衍), le second adapté de la nouvelle éponyme de Mao Dun (茅盾).

 

 « Les vers à soie du printemps » est sans doute le plus célèbre : Mao Dun venait juste de publier sa nouvelle, et c’est la première tentative en Chine de porter une œuvre littéraire contemporaine à l’écran. Le scénario reprend l’analyse de la situation des petits

 

Les vers à soie du printemps

producteurs de soie de la région du Bas Yangzi ruinés par la crise internationale, la concurrence qui lamine les prix et les conséquences de la guerre.

 

Torrent sauvage

 

Tourné au rythme de l’éclosion des vers à soie, le film a un côté documentaire un rien didactique. Mais surtout, Cheng Bugao y réalise des innovations techniques inspirées des mouvements de caméra qu’il avait admirés dans « L’aurore » de Murnau : il fit glisser le trépied de la caméra sur le plancher pour suivre l’action au plus près, sans être limité par les rails.

 

C’est cependant « Le torrent sauvage » qui fit le plus de bruit à sa sortie, et c’est ce film qui marqua véritablement le début du mouvement du cinéma de gauche. Il est d’autant plus

intéressant qu’il a sa source dans un documentaire, et mêle, bien avant Jia Zhangke et ses émules, le réel du documentaire et l’imaginaire de la fiction.

 

L’histoire se passe en mai 1931 : une crue catastrophique du Yangzi partie de la région de Wuhan a inondé seize provinces. Cheng Bugao est allé filmer un documentaire avec deux cameramen ; il montre un contraste saisissant entre les victimes qui se battent pour survivre et les riches nantis qui contemplent la scène de leur balcon. A son retour, Xia Yan s’empare du documentaire et, sous le choc des images, conçoit un scénario qui les transcrit en les mêlant à la fiction qu’il imagine.

 

Cheng Bugao a ensuite visualisé ce scénario pour faire ressortir le conflit social entre pauvres anéantis par l’inondation et familles aisées se livrant à leurs loisirs habituels, l’alternance entre scènes de fiction et

 

 

Torrent sauvage : scènes du film

 

Le grand chef opérateur Don Keyi

 

séquences documentaires estompant la limite entre réalité et fiction. La qualité de l’interprétation, avec en particulier Hu Die dans le rôle féminin principal, contribua à renforcer l’impact du film sur le public. C’est aussi un film qui révéla le plus grand chef opérateur de l’époque : Dong Keyi (董克毅).

 

Le résultat fut une première, le 5 mars 1933, particulièrement agitée et une réaction immédiate du gouvernement établissant des listes noires de films interdits, suscitant des raids de ses « Chemises bleues » sur les studios suspects, et procédant à des arrestations.

 

En 1934, les thèmes choisis par Cheng Bugao sont donc plus « consensuels » : la mise en valeur du territoire et la lutte contre l’envahisseur, donnant « Allons au Nord-Ouest » (《到西北去》) sur un scénario de Zheng Boqi (郑伯奇)  et « L’ennemi commun » (《同仇》), à nouveau sur un

scénario de Xia Yan, ainsi qu’un sketch du film « Un classique pour les femmes » (《女儿经》).

 

En 1936, « La petite Lingzi » (《小玲子》), sur un scénario de Ouyang Yuqian (欧阳予倩), ainsi que « Shanghai d’hier et d’aujourd’hui » (《新旧上海》), sur un scénario de Hong Shen (洪深), reviennent à des thèmes sociaux, mais sur un ton suffisamment neutre pour ne pas susciter de controverse.

 

Pendant la guerre, ensuite, Cheng Bugao rejoint Wuhan où il réalise des courts métrages pour le divertissement des soldats.

 

L’ennemi commun

 

Après la guerre : cinéaste à Hong Kong

 

Cheng Bugao à la fin de sa vie,

à Hong Kong

 

Après la guerre, en 1947, il part à Hong Kong où, de 1949 à 1961, il réalise plus d’une vingtaine de films pour le studio Yonghua (永华影片公司) et, à partir de 1952, le studio Changcheng (长城影片公司), le studio de Shanghai qui a été transféré à Hong Kong.

 

Les plus célèbres de la période sont sans doute « Une joyeuse réunion » (《欢喜冤家》), en 1954, comédie familiale typique du cinéma de Hong Kong de l’époque, « Ming Feng » (《鸣凤》), en 1957, adapté du roman de Ba Jin (巴金) « Famille » (《家》), ou encore « La nature du printemps » (《有女怀春》), en 1958, sur un scénario de ... Louis Cha (金庸). On est loin du cinéma de gauche et de l’atmosphère qui règne sur le continent, où, au même moment, est lancé le Grand Bond en avant !

 

Il se retire du cinéma après un dernier film, en 1961, passant les années qui lui restent à vivre à écrire ses

mémoires : « Souvenirs du monde du cinéma » (《影坛忆旧》). Elles ont été publiées à titre posthume en 1983 aux Editions du cinéma, à Pékin (中国电影出版社), et un fac-simile de l’édition originale a récemment été réédité.

 

Cheng Bugao est décédé à Hong Kong le 20 juin 1966, en laissant au total une soixantaine de films à la postérité.

 

 

Notes

(1) Voir Repères historiques (1920-1930)

(2) Ce que les Chinois appellent « l’incident du 28 janvier » et qui représente la première tentative japonaise d’annexer Shanghai, à un moment où les Japonais avaient déjà établi le Manchoukouo et tentaient d’élargir leur mainmise sur le territoire chinois. Le prétexte à l’ « incident » fut l’attaque de cinq moines japonais d’une secte nationaliste, le 18 janvier, dont un mourut de ses blessures. Les combats durèrent jusqu’au 3 mars, le cessez-

 

 

Fac-simile de l’édition 1983

de ses mémoires

le-feu étant intervenu sur pression de la SDN qui conduisit ensuite les négociations, forçant les Japonais à se retirer et instaurant une zone démilitarisée à Shanghai et ses abords immédiats.

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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