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Dong Kena 董克娜

1930-2016

Présentation

par Brigitte Duzan, 29 décembre 2022  

 

 

Dong Kena 

 

 

Dong Kena est l’une des trois grandes réalisatrices chinoises des années 1950-1960, avec Wang Ping (王萍) et Wang Shaoyan (王少岩) [1], mais elle a continué sa carrière dans les années 1980. Réalisatrice aussi originale que prolifique, en un peu plus de trente ans elle a réalisé une vingtaine de films qui constituent une galerie de personnages féminins aux caractères très affirmés, et finement dépeints.  

 

Débuts de réalisatrice au Studio de Pékin

 

-  1957-1960 : premiers pas

 

Née en décembre 1930 dans le Shandong, elle est entrée dans la Troupe artistique de la région militaire de l’Est de la Chine à l’âge de seize ans, c’est-à-dire après la fin de la guerre contre le Japon. Trois ans plus tard, en 1949, elle est admise comme actrice aux Studios de Shanghai. En 1951, elle remporte un premier succès dans le film « Women Train Drivers » (《女司机》) [2] de Xian Qun (冼群). Néanmoins, en raison d’un accident chirurgical, elle a les cordes vocales abîmées et doit arrêter de jouer [3].

 

Elle quitte alors Shanghai et va à Pékin suivre des cours de mise en scène à l’Ecole du cinéma, le futur Institut du cinéma de Pékin. En 1957, elle entre au Studio de Changchun comme assistante réalisatrice ; elle est l’assistante de Yuan Naichen (袁乃晨) pour le film « Cliff » (《悬崖》) sorti en 1958.

 

En 1960, elle obtient son transfert au Studio de Pékin et y tourne un premier film avec Li Bingzhong (李秉忠) : le film musical « Red Flowers Everywhere » (《红花遍地开》) sorti en 1960. Le film commence par un éloge en voice over de la politique du grand timonier Mao Zedong, introduction suivie d’un immense chœur chantant, dans le Palais du peuple, les brillantes réalisations du Parti. C’est un film typique de cette année 1960 visant à redorer le blason de Mao alors que l’on commence à réaliser l’ampleur du désastre causé par le Grand Bond en avant.

 

Red Flowers Everywhere

 

-  1962 : première œuvre personnelle

 

Ce n’est évidemment pas une œuvre personnelle. Dong Kena réalise enfin son premier film l’année suivante : en 1961, elle se voit confier par le directeur du studio l’adaptation d’une nouvelle de Wang Zongyuan (王宗元) intitulée « La belle-sœur Hui » (Hui Sao《惠嫂》) parue dans le Quotidien du peuple cette année-là. Intitulé « Une herbe sur le mont Kunlun » (《昆仑山上一棵草》), le film reflète un talent original. Bien que sous étroit contrôle, Dong Kena réussit à insuffler dans son film des idées à elle, tant du point de vue du style que de la psychologie féminine :  les deux personnages féminins ne sont plus figés dans une rigoureuse image d’héroïnes déterminées par l’idéologie et la lutte des classes, mais des femmes dont la vie répond à des motivations intimes authentiques.

 

Sorti en 1962, dans une période de relative ouverture, le film a connu un succès mitigé, mais il est resté l’un des meilleurs films de ce début des années 1960 en Chine. Film rare, en noir et blanc, il reste isolé et méconnu.

 

Le film (en vo non sous-titrée) https://www.bilibili.com/video/BV1YL4y187zv/?from=seopage

 

-  1964-1966 : coréalisations

 

En 1964, elle coréalise avec Ling Zifeng (凌子风) « L’aigle de la prairie » (《草原雄鹰》) adapté d’une pièce de théâtre : l’histoire de jeunes kazakhs qui ont fait des études de médecine vétérinaire, plus spécialement orientées vers l’élevage de chevaux.

 

En 1965, elle réalise seule « Un nouveau au dépôt de charbon » ou « A New Coaler » (煤店新工人), un film musical sur un scénario écrit par la troupe de chant et de danse populaire de Tianjin (天津人民歌舞剧院).

 

Dong Kena en tourne encore un autre en 1966, en coréalisation avec le vétéran Cheng Yin (成荫) : « Femmes pilotes » (《女飞行员》). Avec ce film, elle revient à ses sujets féminins, mais avec une image un peu stéréotypée d’héroïnes du travail, capables de s’affirmer professionnellement dans un domaine jusque-là réservé aux hommes. Les femmes incarnent l’esprit révolutionnaire et la victoire de la pensée de Mao Zedong pour surmonter les difficultés.

 

Mais ces trois derniers films sont des films de commande où elle ne peut guère s’exprimer. Ce sont les derniers avant la Révolution culturelle et la fermeture des studios, pour de longues années.

 

Retour derrière la caméra en 1975

 

-  1975-1978 : deux films mainstream

 

Dong Kena ne se voit confier la réalisation d’un nouveau film qu’à la toute fin de la Révolution culturelle, en 1975, alors que la production cinématographique a repris depuis deux ans au studio de Pékin [4].  C’est « Un enfant dans le feu de la guerre » (Fenghuo shaonian《烽火少年》), un film en noir et blanc qui se passe pendant la guerre, pendant l’hiver 1943. C’est l’un de ces nombreux films tournés à l’époque dont le cœur de l’intrigue est l’histoire d’un enfant recueilli par l’armée, ici la 8ème Armée de route, qui devient la mascotte du bataillon.

 

Fenghuo shaonian

 

Après la mort de Mao, en 1978, elle coréalise avec Que Wen (阙文) un autre film mainstream du Studio de Pékin : « Enormes vagues » (Ju lan《巨澜》), sur la lutte contre les inondations à l’automne 1950, dans un contexte de lutte des classes.

 

Ju lan

 

Cependant, avec la politique d’ouverture, elle peut ensuite revenir vers les sujets qui lui sont personnels : ceux dont l’intrigue est centrée sur des personnages féminins aux caractères bien marqués qui constituent peu à peu toute une galerie de portraits hauts en couleur.

 

-  1980-1992 : l’âge d’or de Dong Kena

 

Les films tournés par Dong Kena pendant cette période des années 1980 s’inscrivent dans un contexte de très beaux mélodrames réalisés par les grands réalisateurs comme Xie Jin (谢晋) ou Xie Fei (谢飞) dont on retrouve chez elle des thèmes et une esthétique proches.

 

1. Elle commence avec « La seconde poignée de mains » (《第二次握手》) sorti en 1980. Le film commence à l’automne de 1956, mais avec un flashback sur la fin des années 1920. La physicienne Ding Jieqiong (丁洁琼) était alors étudiante, et amoureuse de son camarade Su Guanlan (苏冠兰) qui l’avait sauvée alors qu’elle était en train de se noyer ; ils ont continué à étudier ensemble jusqu’à ce que la vie les sépare, Ding Jieqiong ayant décroché une bourse pour aller étudier aux Etats-Unis. Trompé par son père qui lui a fait croire qu’elle avait épousé son professeur, Su Guanlan s’est marié. Quand Ding Jieqiong rentre en Chine, elle est désespérée, mais trouve le bonheur dans ses recherches.

 

 

La seconde poignée de mains

 

 

Les rôles principaux sont tenus par deux grands interprètes du cinéma chinois de la fin des années 1950 et du début des années 1960 : l’actrice Xie Fang (谢芳), interprète des rôles emblématiques de Lin Daojing (林道静) dans « Le Chant de la jeunesse » (《青春之歌》) en 1959 et de Tao Lan (陶岚) dans « Février, printemps précoce » (《早春二月》) en 1963 ; et d’autre part l’acteur Kang Tai (康泰) qui jouait, justement, aux côtés de Xie Fang dans « Le Chant de la jeunesse ». Les acteurs renvoient donc aux références des rôles qui leur sont restés attachés, en apportant un sous-texte au film de Dong Kena.

 

 

Dong Kena avec ses acteurs sur le tournage de « La seconde poignée de mains »

 

 

2. En 1982, elle tourne « Cerf d’or » (Jin Lu’r 《金鹿儿》). Jin Lu (Cerf d’or) est le surnom de Jin Minglu (金明露), une jolie et séduisante vendeuse dans une boutique détenue par l’Etat ; quand le patron désigne la désigne comme vendeuse modèle, les rivalités s’exacerbent, le secrétaire du comité de la Ligue de la jeunesse communiste est envoyé enquêter. Le film est adapté d’une nouvelle éponyme de l’écrivaine Hang Ying (航鹰), comme le film suivant.

 

3. Ce film, sorti en 1984, est « La jeune Ming » (《明姑娘》). On y retrouve l’actrice Xie Fang (谢芳), mais plus dans le rôle principal, celui de Mingming, jeune aveugle qui sauve du suicide un jeune sportif qui a perdu la vue dans un accident. Le film se termine malheureusement comme un mélo typique : les deux jeunes aveugles ont l’espoir de retrouver la vue.

 

 

La jeune Ming

 

 

4. Sorti l’année suivante, en 1985, « L’auberge des femmes » (《相思女子客店》) est une histoire typique de la période d’ouverture et de réforme : une auberge « de travailleurs-paysans-soldats » où s’arrêtent des chauffeurs routiers est reprise en mains par le secrétaire local du Parti quand les chauffeurs se plaignent de la mauvaise gestion de l’affaire. Il commence par remplacer la gérante Qiao Sanxi (乔三腊), la fille du secrétaire du comité du district… et sa propre femme, par l’ancienne comptable, Zhang Guanyin (张观音), et embauche comme serveuses des jeunes pleines d’allant qui viennent de réussir leurs examens. Qiao Sanxi va bien sûr ourdir toutes sortes de manœuvres pour se venger…

 

 

L’auberge des femmes

 

 

5. Après un film en coréalisation en 1986, Dong Kena revient vers sa thématique personnelle, centrée sur les personnages féminins, avec « Qui est la tierce partie » (《谁是第三者》), sorti en 1987. L’histoire est celle d’une relation entre un professeur et une étudiante des Beaux-arts, mais considérée du point de vue de la femme du professeur. Pour que son étudiante puisse obtenir la seule bourse existante pour aller étudier en France, le professeur la fait travailler d’arrache-pied, mais la relation est mal interprétée par sa femme. Leur mariage était un mariage arrangé, et la crise finit par décider le mari à mettre fin à cette relation sans amour.

 

 

Qui est la tierce partie ?

 

 

6. Sorti en 1988, « Les femmes du village de Huangtupo » (《黄土坡的婆姨们》) est aussi un film inscrit dans l’actualité, et en l’occurrence la mise en place de la culture par contrat (承包). Dans le village, les hommes partent travailler ailleurs, restent les femmes, les enfants, les malades et les vieillards. Le paysan Le Datong (乐大同) a confié 5 000 yuans qu’il a gagnés à sa femme Chang Lüye (常绿叶) pour construire une nouvelle maison. Mais elle persuade ses beaux-parents d’acheter à la place un petit tracteur. Avec les autres femmes du village, elle forme une petite coopérative pour pratiquer une agriculture moderne avec l’aide d’un technicien. Le mari est furieux et veut revendre le tracteur, mais les femmes font une moisson record. Le problème est que la grange a une fuite…

 

 

Les femmes du village de Huangtupo

 

 

7. Sorti en 1990, « The Lost Dream » ou « Le rêve envolé » (《失去的梦》) est aussi une histoire inscrite dans les problèmes sociaux de l’époque, mais ici un fait divers dramatique : dans une ville du nord, une femme a tué son fils. La mère d’un de ses camarades mène l’enquête. Cette femme, Li Mengqiu (李梦秋), était une paysanne venue travailler en ville qui adorait son fils et se tuait à la tâche pour qu’il puisse réussir dans ses études et changer de condition sociale. Mais le fils n’a pas eu de bons résultats et l’a caché à sa mère. Celle-ci, furieuse, l’a battu à mort.

 

 

The Lost Dream / Le rêve envolé

 

 

8. « Un monde de femmes » (《女性世界》), en 1991, est le reflet d’un monde urbain moderne où les femmes ont acquis des situations professionnelles qui leur donnent un nouveau statut social, au détriment de leurs relations conjugales. Il s’agit de trois femmes d’âge moyen qui soupçonnent leurs maris de liaisons cachées, mais finalement tout se termine par des réconciliations. C’est bien l’une des faiblesses du film.

 

 

Un monde de femmes

 

 

9. Sorti en 1992, « Les joyeuses femmes du mausolée de l’Impératrice » (《女皇陵下的风流娘们儿》) est une comédie de mœurs dont le titre rappelle les « Joyeuses commères de Windsor » de Shakespeare – les joyeuses femmes de Dong Kena se traduisant avec le même adjectif que les commères de Shakespeare : fengliu furen 风流妇人. Il s’agit d’une satire de la mentalité arriviste de la Chine lancée dans la croissance à deux chiffres, vue du point de vue féminin : quand un homme prend trois maîtresses comme signe de son succès en affaires, sa femme le quitte et devient, elle aussi, chef d’entreprise florissante. Cette approche relativement libérée correspondait à la femme moderne telles qu’elle était idéalisée à l’époque.

 

 

Les joyeuses femmes du mausolée de l’Impératrice

 

 

Une galerie de personnages féminins

 

Ces personnages féminins ont valu à la réalisatrice plus d’un millier de lettres de spectatrices la félicitant d’avoir créé des femmes dans lesquelles elles se reconnaissaient et dont elles se sentaient proches émotionnellement. Comparées aux héroïnes « révolutionnaires » de Wang Ping (王萍), par exemple, les femmes des films de Dong Kena sont plus modernes, bien que le village de Huangtupo ne soit pas tellement différent, dans le fond, du « Village des acacias » (《槐树庄》) ; la différence est dans les mentalités qui reflètent leur époque. Les femmes chez Dong Kena  ont une conscience féminine qui les marquent comme femmes « modernes », en prise sur leur temps : ses films permettent de mesurer les changements sociaux intervenus en Chine à travers l’évolution des mentalités féminines durant toute la période des années 1960 jusqu’au début des années 1990.

 

Si les scénarios de ses films pèchent parfois par des accents mélodramatiques, surtout dans leurs conclusions, le parcours de Dong Kena est jalonné de personnages féminins mémorables :

 

1962 : l’aubergiste Hui Sao (惠嫂) dans « Une herbe des monts Kunlun » (《昆仑山上一棵草》)

1980 : la physicienne Ding Jieqiong (丁洁琼) dans « La seconde poignée de mains » (《第二次握手》)

1982 : la vendeuse Jin Minglu (金明露) dans « Cerf d’or » (Jin Lu’r 《金鹿儿》)

1984 : la jeune aveugle Mingming dans « La jeune Ming » (《明姑娘》)

1985 : la gérante d’auberge Zhang Guanyin (张观音) dans « L’auberge des femmes » (《相思女子客店》)

1987 : l’étudiante peintre Sang Yuchen (桑雨晨) dans « Qui est la tierce partie » (《谁是第三者》)

1988 : la villageoise Chang Lüye (常绿叶) dans « Les femmes du village de Huang Tupo » (《黄土坡的婆姨们》)

1990 : la mère dans « Le rêve envolé » (《失去的梦》)

1992 : la femme devenue chef d’entreprise Yue’r (月儿) dans « Les joyeuses femmes du mausolée de l’Impératrice » (《女皇陵下的风流娘们儿》)

 

Dong Kena est décédée le 22 mars 2016 à Pékin, à l’âge de 86 ans. Ses films sont pour la plupart à (re)découvrir.


 


[1] Auxquelles on peut ajouter deux autres réalisatrices moins connues, dont : Yan Bili (颜碧丽), coréalisatrice de « Chunmiao » (《春苗》) en 1975 et Wu Guoying (吴国英), née 1921, entrée au studio du Nord-Est en 1949.

[2] Les premiers films sont donnés selon les titres anglais de référence.

[3] D’après le Historical Dictionary of Chinese Cinema, Tan Ye & Yun Zhu ed., p. 47.

[4] Au Studio de Pékin, la production de films de fiction a repris à partir de 1973. Voir :
http://www.chinesemovies.com.fr/reperes_Annees_1960_1970_La_Revolution_culturelle_2.htm

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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