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Xu Xing 徐星

Présentation

par Brigitte Duzan, 25 mai 2016, actualisé 8 juin 2016

 

Xu Xing s’est d’abord fait connaître comme écrivain dans les années 1980 [1]. Puis il est parti à l’étranger à la suite des événements de Tian’anmen, et il n’est rentré en Chine qu’en 1993. Il s’est alors consacré à témoigner de la Révolution culturelle, mais, après un dernier recueil de nouvelles en 2004, il a délaissé l’écrit pour le documentaire.

 

Souvenirs personnels

 

Xu Xing sur le tournage de “Ma Révolution culturelle”

 

Il a d’abord réalisé deux documentaires sur ses souvenirs personnels de la période de la Révolution culturelle.

 

Portrait de femme artiste

 

Le premier, rarement mentionné dans ses biographies, est un portrait de femme : « Peindre les prisonniers » (《画囚》). C’est une artiste dont il a découvert les œuvres en feuilletant un album : une paysanne qui peignait des motifs traditionnels, très colorés, sans avoir appris à peindre. Xu Xing est revenu en 2002 dans le Shaanxi, et l’a filmée alors qu’elle était déjà très âgée. Le titre vient d’un chant populaire de la région : « Si je ne vois pas ton visage pendant trois jours, grand frère, je le peindrai sur la terre qui borde la maison. » (三天没见哥哥的面,碱畔上画着你眉眼).

 

La Révolution culturelle comme traumatisme et le documentaire comme catharsis

 

Le titre anglais au générique

 

Son second documentaire, achevé en 2007, est celui le plus souvent cité : « Ma Révolution culturelle » (我的文革编年史). C’est son histoire personnelle, l’histoire de son premier amour dans les années 1970, alors qu’il était lycéen : il est tombé amoureux d’une de ses camarades de classe, et lui a innocemment écrit une lettre dans laquelle il critiquait la politique menée par le gouvernement. La camarade

affolée a montré la lettre à leur professeur d’instruction politique, et Xu Xing a écopé de quarante jours de prison. La jeune fille, elle, a émigré plus tard aux Etats-Unis d’où elle est revenue pour revoir Xu Xing à l’occasion du documentaire.

 

Celui-ci, cependant, n’est pas seulement le récit de cette histoire traumatisante ; elle est contée sur fond de récits d’exactions et atrocités commises au même moment : une femme décrit comment elle a trouvé le directeur de son école battu à mort et éviscéré, un homme raconte comment sa mère a été abattue sous ses yeux…

 

Le film a été salué comme une

 

Ma Révolution culturelle, l’un des témoins

peinture réaliste des traumatismes infligés aux enfants et adolescents par la Révolution culturelle, à l’encontre de films comme le premier de Jiang Wen (姜文), « In the Heat of the Sun » (《阳光灿烂的日子》), qui présente la Révolution culturelle comme une période bénie pour les enfants, période de liberté totale en l’absence des parents, incarcérés ou envoyés dans des camps.

 

Xu Xing, lui, a douloureusement vécu sa solitude imposée, faisant chaque année, comme un pèlerinage, le voyage au Gansu pour aller voir sa mère qui y était internée. Son film a un effet cathartique, mais pas seulement pour lui. Son expérience est celle de milliers d’autres enfants laissés à eux-mêmes dans des villes plongées dans le chaos [2]

 

Analyse : http://news.takungpao.com/special/wgbns/

 

Vies d’artistes

 

5+5, la vie d’artiste

 

Xu Xing a délaissé la Révolution culturelle pour son documentaire suivant, achevé en 2013 et coréalisé avec Andrea Cavazzuti, qui en a également été le coproducteur : « 5+5 » (《五加五》).

 

Il s’agit d’une peinture satirique de la vie d’artiste aujourd’hui à Songzhuang (宋庄), le célèbre « village d’artistes » dans la banlieue de Pékin. Cette vie

d’artiste est vue à travers le regard d’un chauffeur de taxi au noir, Lao Jin (老金), dont les artistes locaux

sont les clients attitrés. Beaucoup – dont certains devenus célèbres - ont laissé leur signature sur la carrosserie. L’un d’eux avait écrit « 1+1= Lao Jin », ce qui n’a pas eu l’heur de plaire à l’intéressé qui a corrigé : « 5+5= Lao Jin ». D’où le titre du film…

 

Et comme Andrea Cavazutti se fait appeler « Lao An » (老安), on a dit que c’était le film « des deux Lao ».

 

Contre-révolutionnaires paysans

   

Lao Jin (le chauffeur de taxi)

 

Summary of Crimes, un formulaire d’enregistrement des prisonniers

 

Son documentaire suivant, « Summary of Crimes » (《罪行摘要》) [3], est une approche radicalement différente et inédite de la Révolution culturelle : il la présente vue du côté des paysans. En effet, la Révolution culturelle est généralement et presque exclusivement celle des intellectuels, politiciens et artistes dont on a maintenant largement décrit et documenté les persécutions. En revanche le sort réservé aux paysans est resté une page blanche jusqu’ici : après tout, ils étaient le modèle révolutionnaire par définition, on leur a envoyé étudiants et intellectuels pour les « rééduquer ».

 

Et pourtant, comme il l’explique en introduction au documentaire, en 2011, Xu Xing est un jour tombé par hasard surdes formulaires d'enregistrement de prisonniers condamnés pendant la Révolution Culturelle comme " contre-révolutionnaires" : des paysans du Zhejiang, incarcérés au

camp de travail agricole de Shilifeng, près de la ville-préfecture de Quzhou (衢州) [4]

 

Ce qui est intéressant, c’est que tous ces prisonniers ont une histoire de détention qui remonte pour beaucoup au milieu des années 1950, car beaucoup de paysans se sont opposés d’une manière ou une autre au pouvoir communiste dès les débuts de la collectivisation. Mais ils ont souvent été l’objet d’accusations faussées.

 

Comme le note Jean-Luc Domenach dans l’ouvrage cité ci-dessus (p. 1911), en évoquant le sort des détenus après 1978 : « La quasi-totalité des victimes du maoïsme

 

Xu Xing sur le tournage

ont été libérées ; l’archipel ne compte plus que quelques centaines de milliers de détenus politiques. Dans leurs rangs, certains semblent des cas hérités du passé. Ainsi, sur 100 « contre-révolutionnaires » du camp de laogai de Shilifeng (Zhejiang) en 1984, 10 avaient été incarcérés avant 1966, et 39 de 1966 à 1976. Parmi eux, 54 paysans, 7 soldats et seulement 19 étudiants et cadres. Ce sont apparemment surtout des victimes d’affaires locales dont la faute a reçu une présentation politique (divulgation de secrets d’Etat, atteinte à la propriété de l’Etat, etc…) ou qui ont commis des délits d’opinion plus ou moins affirmés… »

 

Xu Xing avec la femme de l’un des paysans

 

Les paysans retrouvés et interrogés par Xu Xing apportent des témoignages concrets sur ce genre de détention pour « délits d’opinion ». Ce n’est pas tant la Révolution culturelle en soi qui est en cause, mais tout l’appareil de délation, accusation et détention mis en place dès les débuts du régime communiste pour contrôler tout risque de dérapage mettant en danger la « construction socialiste ». Et, dans une certaine mesure, toujours en place, ou peut-être plus que jamais en place, ce qui

donne une actualité particulièrement effrayante à son documentaire.

 

C’est d’autant plus effrayant que, trente ans après leur « libération », on sent encore la peur derrière les propos de ces paysans : certains s’arrêtent net dans leur récit, en se demandant s’ils n’ont rien dit de choquant, voire réclament d’effacer ce qu’ils viennent de dire… C’est toujours l’ère du soupçon, la crainte diffuse d’une nouvelle arrestation n’a pas disparu.

 

Trois « contre-révolutionnaires »

 

Interview : http://history.people.com.cn/n/2014/0414/c372327-24893294.html

 

Summary of Crimes, avec sous-titres chinois et anglais 

 

Xu Xing se place ainsi au rang des grands documentaristes chinois actuels qui se veulent témoins de l’histoire récente, dans un esprit très proche de Hu Jie (胡杰), en particulier. Comme lui, il a fait de sa vie une croisade, dans le but ultime de filmer les gens, recueillir leurs souvenirs, leurs témoignages, dans un esprit documentaire de conservation de la mémoire populaire ; et il déclare faire ces documentaires pour les Chinois (我拍片的最大目的是给中国人看), pour les préserver de l’oubli.

 

Le documentaire est devenu sa seconde existence. Son principal hobby est de travailler au montage de ses films.

 

Voir sa page weibo (intitulée Le studio de Xu Xing徐星工作室) :

http://www.weibo.com/gaomizhe1949?is_all=1

 

 

Documentaires

 

??  Peindre les prisonniers 《画囚》

2007 Ma Révolution culturelle我的文革编年史

2013 5+5 《五加五》 avec Andrea Cavazzuti - 110’

2014 Summary of Crimes 《罪行摘要》 - 135’

 

 

A lire en complément

 

Longue interview de Xu Xing, par Justine Rochot et Aël Théry, réalisée le 7 juin 2016 lors de son passage à Paris pour présenter Summary of Crimes

http://www.debordements.fr/spip.php?article494

 

 


 


[2] Expérience traumatisante semblable relatée avec poésie et sensibilité dans la superbe nouvelle de Wang Xiaoni « La Locomotive » (《火车头》):

http://www.chinese-shortstories.com/Nouvelles_de_a_z_Wang_Xiaoni_locomotive.htm

[3] également intitulé « Chefs d’accusation » en français.

[4] Site d’un grand « camp agricole » recensé par Jean-Luc Domenach dans son ouvrage « L’archipel oublié », Arthème Fayard 1992, p. 1931.

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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