|
Yang Lina
杨荔钠
Née en 1972
Présentation
par Brigitte
Duzan, 5 avril 2013, actualisé 23 septembre 2019
D’abord
danseuse et actrice de théâtre, Yang Lina a commencé
presque par hasard à tourner des documentaires, mais
elle est devenue l’une des réalisatrices les plus
prometteuses de la génération « post-70 », avec un
premier film de fiction primé au
festival de Hong Kong en avril 2013.
De la danse
au documentaire
De son vrai
nom Yang Tianyi (杨天乙),
Yang Lina (杨荔钠)
est née en 1972 à Changchun
(长春),
dans la province du Jilin (吉林),
au
|
|
Yang Lina (photo
Hollywood Reporter) |
nord-est de la Chine. Elle a d’abord fait partie d’une
troupe de danse de la ville de Jilin, puis a intégré
l’institut d’enseignement artistique de l’Armée de
libération ; diplômée en 1995, elle est entrée dans la
troupe de théâtre parlé
du département
politique (总政话剧团).
Old Men
En tournage |
|
Les
représentations de la troupe ne l’enthousiasmaient
guère, cependant, car d’un langage rigide et
artificiel : elle avait conscience de faire partie
d’un système étatique qui ne permettait aucune
liberté d’expression. Quand elle passa ensuite à un
travail à la télévision, où elle a produit des
documentaires, ce ne fut guère différent. L’ennui
menaçait…
Or, en
rentrant chez elle, un jour de 1996, elle remarqua
en passant dans la rue un groupe de personnes âgées
rassemblées sur le bord du trottoir, qui bavardaient
là, assis sur des tabourets en rotin ou carrément
sur une pierre. Ils sortaient ainsi tous les jours
devant chez eux, et passaient l’après-midi à
discuter entre eux. Cela attira son attention.
Comme elle
en parlait à un ami, il lui suggéra de les filmer.
Elle prit ses économies, alla s’acheter une petite
caméra |
numérique amateur
et commença à tourner, sans idée préconçue. Et comme elle ne
pouvait s’y consacrer pleinement qu’en abandonnant son
travail, elle démissionna. Elle termina le tournage au bout
de trois
ans, en 1999, après s’être parfaitement intégrée
dans le groupe, et se retrouva avec deux cents
heures de rushes qu’elle réduisit au montage à
environ cent minutes de film.
Intitulé « Old
Men » (《老头》),
le documentaire fut primé en 2000 dans divers
festivals, dont celui du Cinéma du Réel, à Paris, en
mars, et celui de Yamagata, au
Japon, en
octobre. C’était une expérience
totalement
nouvelle pour elle, mais elle a dit qu’elle
conservait le sentiment d’avoir volé quelque chose… |
|
Old Men : le petit
groupe sur le trottoir |
Platform
Dans le rôle de Zhong
Ling dans « Platform » |
|
Sur ces
entrefaites, elle a été recrutée par
Jia Zhangke (贾樟柯)
pour jouer dans le film qu’il tournait fin 1999,
« Platform » (《站台》),
qui relate, justement, l’évolution d’une troupe
provinciale de théâtre et de danse des années 1970
au début des années 1990. C’est Yang Lina, mais
toujours sous le nom de Yang Tianyi, qui tient le
rôle de la danseuse Zhong Ling (钟玲),
celle qui, dans le film, interprète des danses
espagnoles.
C’est une
expérience qui l’a profondément marquée et lui a
aussi énormément appris, |
elle qui n’était pas passée par une
école de cinéma. Aussitôt après, elle s’est lancée dans un
second projet documentaire, concernant sa propre famille.
Home Video
Elle a été une
pionnière dans le genre du documentaire familial, débutant
son film cinq ans avant que ne sorte « Oxhide » (《牛皮》)
de Liu Jiayin (刘伽茵).
Elle a filmé son père et son petit frère avec elle et a
baptisé son documentaire
« Home Video »
(《家庭录像带》).
Elle a eu cependant
énormément de problèmes quand le film a été terminé. Son
père a réagi négativement, et elle a dû subir un feu nourri
de critiques de toutes sortes, surtout parce qu’elle avait
enfreint un tabou très fort de la société chinoise qui
refuse que l’on étale sa vie privée sur la place publique,
et encore plus que les enfants y étalent celle de leurs
parents. Le film a été considéré comme quelque chose de
monstrueux, entre la trahison et l’hérésie (大逆不道).
« Home Video » n’a
été projeté que deux fois en Chine, et Yang Lina a
finalement décidé de ne pas le diffuser. Elle en est sortie
« complètement effondrée » (很崩溃)
et a mis plusieurs années à s’en remettre.
Du documentaire à
la fiction
Elle avait
entrepris un autre documentaire qu’elle va mettre douze ans
à terminer et qui va se révéler une expérience tout aussi
difficile. Mais, avant de l’achever, elle en tourna un
autre, dans sa ville natale de Changchun.
Le temple Wanshou
Elle y revint au
début de 2008 et se rendit dans un temple que sa famille
fréquentait régulièrement : le temple Wanshou (万寿寺).
Situés au bout d’une petite rue, ses deux bâtiments de
couleur ocre lui semblèrent un cadre idéal pour le tournage
d’un film. Mais ce sont surtout les moines, d’une part, qui
suscitèrent son intérêt - ils étaient tous très jeunes, et
d’un très bon niveau d’éducation – et, d’autre part, les
habitants qui venaient s’y recueillir et prier.
Finalement, son
film est un document sur la vie religieuse et spirituelle
des habitants de Changchun en ce début de millénaire.
Monsieur An et Les
herbes sauvages
L’autre
documentaire qu’elle termina alors a demandé une douzaine
d’années de gestation. C’est
« Wild Grass », ou
« Les herbes sauvages de Qingdao » (《野草》),
par référence au recueil de textes en prose de Lu Xun (鲁迅)
publié en 1927.
C’est un
documentaire sur les enfants d’un orphelinat de Qingdao dont
certains avaient été abandonnés parce qu’ils étaient
handicapés. Elle a commencé à le tourner en 1997, filmant
les enfants encore bébés, pour terminer en 2008, avec des
interviews de certains des enfants arrivés à l’âge adulte, à
jamais traumatisés par leur passé.
C’est un
film extraordinaire : coproduction de l’INA, de la
société de production d’Isabelle Glachant et d’Arte,
il a été monté par Mary Stephen qui en a en fait
réécrit un scénario à partir des rushes, ménageant
des allers retours entre le passé et le présent qui
maintiennent le rythme et l’intérêt.
Pendant
que Mary Stephen travaillait sur « Les herbes
sauvages », Yang Lina a terminé un quatrième
documentaire, intitulé « Les amours de monsieur
An » (《老安》),
qui reprend l’idée de « Old Men » (《老头》),
jusque dans le titre. Monsieur An fait partie d’un
groupe de personnes âgées qui se rassemblent pour
danser dans le parc du Temple du Ciel (天坛公园),
à Pékin. Cette fois-ci, en représentant les
sentiments de ses personnages, Yang Lina a voulu
approcher au plus près de leur réalité profonde.
En 2010,
« Les herbes sauvages » fut parmi les films
remarqués à la Viennale. Elle a ensuite conçu un
projet de |
|
Lao An |
film de fiction qui a
obtenu le soutien du fond Hubert Bals du festival de
Rotterdam.
2013 : Premier
film de fiction, premier volet d’une trilogie
« Longing
for the Rain » (《春梦》)
a été présenté en première mondiale au festival de Rotterdam
en février 2013, avant d’être couronné le premier avril de
la « mention spéciale » du festival de Hong Kong.
Longing for the Rain,
entre rêve et réalité |
|
Si Yang
Lina en a fait un film de fiction, c’est que le
sujet ne se prêtait pas à un documentaire. Mais
« Longing for the Rain »
est en
fait un étrange hybride de drame érotique et de
documentaire social étayés par une histoire de
fantôme, grande tradition chinoise, mais ici revue
et corrigée pour donner corps à une réflexion très
personnelle.
L’histoire
est celle d’une jeune Chinoise d’aujourd’hui, jeune
épouse d’une classe moyenne émergente sans problèmes
|
matériels, mais
dont la vie est réduite à s’occuper de son unique enfant et
à faire des courses avec ses amies. Sa frustration affective
et sexuelle et son vide existentiel sont comblés par des
rêves où lui apparaît un amant magnifique, apparitions
fantomatiques qui en font un être partagé entre rêve et
réalité, que son entourage finit par soupçonner d’être
possédé….
Yang Lina s’attaque
ici aux tabous qui s’opposent à la représentation du désir
féminin et de ses pulsions dans le cinéma chinois, et, en
général, à tout discours sur le sujet dans la société
chinoise, confinant la femme à des illustrations relevant
d’un autre âge ou de la peinture sociale contemporaine
superficielle. Au-delà de cette peinture de la psyché
féminine, c’est tout le malaise de la nouvelle société
chinoise, affluente mais à la recherche de son âme, qui
apparaît en filigrane.
Yang Lina rejoint,
aux marges du cinéma chinois, une petite cohorte de
réalisatrices du même âge, ou même plus jeunes, qui ont
décidé de faire entendre des voix différentes, leurs voix.
« Longing for the Rain » était annoncé comme le premier
volet d’une « trilogie des femmes ».
2019 : Deuxième
volet de la trilogie
C’est au festival
de Shanghai, en juin 2019, qu’est sorti le deuxième volet de
cette trilogie :
« Spring
Tide » (《春潮》),
dont le titre chinois, chunchao, marée de printemps,
est un rappel du premier, chunmeng, rêve de
printemps.
Il s’agit d’une peinture des relations tendues entre trois
générations différentes de femmes : une journaliste, Guo
Jianbo (郭建波),
sa mère et sa fille, qui vivent ensemble, mais comme
séparées par un mur invisible d’incommunicabilité car elles
sont marquées et façonnées par les différentes époques de
leurs existences.
Le rôle principal est interprété par Hao Lei (郝蕾),
actrice dont le premier rôle important a été celui de Yu
Hong (余虹)
dans « Summer Palace » (《颐和园》)
de Lou
Ye (娄烨),
en 2006, mais qui n’avait guère pu jusqu’ici faire la preuve
de son talent. Yang Lina lui a confié le rôle pivot de
Jianbo, forcée par les contraintes économiques de chacune,
de vivre avec sa mère, extrovertie et dominatrice, tandis
que sa fille de neuf ans s’adapte aux tensions familiales.
Filmographie
1999 Old Men《老头》
2002 Home Video《家庭录像带》
2008 The Love
Story of Lao An / Les amours de monsieur An《老安》
2008 Wanshou
Temple《万寿寺》
2009
Wild Grass
/ Les herbes sauvages de Qingdao
《野草》
2013 Longing
for the Rain / Chunmeng
《春梦》
2019
Spring
Tide / Chunchao
《春潮》
|
|