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Jia Zhangke 贾樟柯
Né
en 1970
Présentation
par Brigitte
Duzan, 10 novembre 2013,
actualisé 15 juillet 2021
Jia Zhangke
est l’un des cinéastes favoris du public et des
critiques occidentaux, qui en ont fait une figure
iconique du cinéma indépendant chinois, couronnée de
prix aux grands festivals internationaux.
Figure
historique de ce mouvement, il est cependant amené à
se redéfinir, aujourd’hui que le cinéma indépendant
chinois, menacé de tous côtés, est au bord de
l’asphyxie. Il garde un rôle influent, en
particulier grâce à ses activités de production,
mais il conserve surtout une aura maintenant
soigneusement médiatisée.
Le cinéma
par hasard
Jia Zhangke
est né en 1970 à Fenyang, une petite ville du Shanxi
qui n’était encore qu’un district rural (汾阳县)
et dont il fera le cadre récurrent de ses films.
Mais sa famille n’en était |
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Jia Zhangke (juin
2013) |
pas originaire :
honnie parce que le grand-père avait été chirurgien en
Europe, elle avait été envoyée là pendant la Révolution
culturelle. Rien ne prédestinait le gamin de Fenyang à faire
une carrière de cinéaste.
Un mauvais élève
ébloui par « La terre jaune »
Il n’a pas pu
poursuivre d’études universitaires après le lycée parce
qu’il a raté le concours d’entrée à l’université Nankai (南开大学)
où il s’était présenté. Mais c’est justement parce que ses
résultats scolaires étaient mauvais qu’il fut dirigé vers un
cursus artistique : une école d’art fut la solution adoptée
par ses parents parce que les critères d’admission étaient
bien moins sévères. En 1991, Jia Zhangke est donc entré dans
une classe préparatoire à l’école d’art de l’université du
Shanxi (山西大学美术学院),
à Taiyuan, la capitale provinciale.
Or, près du studio
de peinture de l’université se trouvait un cinéma, appelé
"cinéma des routes" (公路电影院)
parce qu’il faisait partie du club des employés du
département des travaux routiers de la province. Le cinéma
donnait toutes sortes de vieux films chinois, et, un soir,
il projeta « La terre jaune » (《黄土地》).
Le jeune Jia
Zhangke n’avait aucune idée de ce que représentait ce film,
ni du réalisateur qui l’avait fait, il n’avait vu jusque là
que des films lourdement formatés pour la propagande
officielle : il fut subjugué. Il aimait la littérature et
l’art, et avait même écrit quelques poèmes et nouvelles qui
avaient été publiées dans des feuilles de chou locales ; il
décida alors de se consacrer au cinéma.
En 1993, il réussit
le concours d’entrée à l’Institut du cinéma de Pékin, dans
la section littérature (北京电影学院文学系).
En fait de littérature, il s’agissait de littérature
cinématographique (电影文学),
c’est-à-dire de théorie. Mais c’était une manière d’entrer
dans un établissement prestigieux dont l’accès était devenu
extrêmement concurrentiel.
En fait, ce que
l’Institut lui apporta ne fut pas tant des connaissances
théoriques, mais, comme pour ses camarades, la possibilité
de voir une quantité de films – chinois les mardis,
étrangers les mercredis - qui étaient alors interdits en
Chine au commun des mortels, ainsi que l’accès à une
bibliothèque qui possédait une riche collection de livres
sur le cinéma publiés à Hong Kong et Taiwan, eux aussi
introuvables ailleurs – les réflexions de Tarkovski sur le
cinéma ou des interviews de
Hou Hsiao-Hsien (侯孝贤)
qui devint ensuite l’une de ses sources d’inspiration
majeures, un modèle de référence esthétique et stylistique
(1).
Premiers courts
métrages
L’Institut offrait
beaucoup de latitude aux étudiants, une fois qu’ils y
étaient entrés ; il fonctionnait comme une véritable
pépinière de jeunes talents. Dès sa seconde année, en 1994,
bien que n’appartenant pas à la section de réalisation, Jia
Zhangke forme avec quelques camarades un « groupe
cinématographique expérimental de jeunes » (“青年电影实验小组”)
et commence à réaliser des courts métrages.
Xiaoshan Going Home |
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Son premier
essai est un documentaire de dix minutes réalisé sur
la place Tian’anmen, une sorte de galerie de
portraits filmée en Betacam, en un jour et demi : « Un
jour à Pékin » (《有一天,在北京》).
C’était une première approche très instinctive, mais
déjà, parmi tous les gens rencontrés sur la place,
il se sentit attiré surtout par les touristes venus
de la campagne. Et c’est un jeune campagnard venu
chercher du travail à Pékin (en lequel il devait
sans doute se reconnaître un peu) qui sera, tout
naturellement, le sujet de son premier court
métrage, l’année suivante, en 1995 :
« Xiaoshan
Going Home » (《小山回家》).
Ce court
métrage d’une heure marque le début de sa carrière
et préfigure les thèmes et le style des films à
venir. Il est essentiellement linéaire, suivant
Xiaoshan dans sa quête de quelqu’un pour faire avec
lui le voyage jusqu’à son Henan
natal,
pour la fête du Printemps. C’est l’occasion de faire
|
défiler toute une
série de personnages en dépeignant les difficultés
rencontrées dans la capitale, y compris par les travailleurs
illégaux et les prostituées.
Il reste un premier
film un peu maladroit, mais c’était le premier pied à
l’étrier. C’est un film, aussi, qui marque le début d’une
longue collaboration avec l’acteur
Wang Hongwei (王宏伟),
récurrent dans sa filmographie, comme une sorte d’alter ego
masculin, et une icône culturelle de son plein droit.
« Xiaoshan » sera
complété en 1996 par un autre court métrage intitulé « Dudu »
(《嘟嘟》),
sur une jeune étudiante sur le point de terminer ses études,
donc confrontée à une diversité de choix déterminants pour
sa vie à venir, y compris à des pressions multiples pour se
marier. Le style, ici, est très différent, car le film a été
réalisé sans scénario, avec une seule actrice, en
improvisant au fur et à mesure du tournage. En outre, il a
été tourné avec du matériel emprunté à l’Institut,
disponible seulement le week-end, ce qui a imposé un
tournage sur deux jours par semaine pendant quatre semaines
– autant de conditions rendant difficile une continuité
narrative. Cela a donc été une expérience très instructive.
Au total, ces trois
courts métrages étudiants représentent une trilogie
dont chaque volet constitue une expérience particulière de
la pratique cinématographique, y compris la production et le
financement. C’est l’un des leitmotivs des conseils donnés
par Jia Zhangke aux jeunes réalisateurs : l’art de réaliser
un film s’acquiert sur le terrain, dans la pratique et non
dans la théorie.
« Xiaoshan » fit le
tour des grandes institutions universitaires de Pékin, puis
fut envoyé au Hong Kong Independant Film Festival. Le film y
fut primé, et ce fut l’occasion pour Jia Zhangke de faire la
connaissance des deux personnes qui allaient devenir ses
proches collaborateurs et amis : le directeur de la photo Yu
Lik-wai (余力为)
et le
producteur Chow Keung (周强).
Ils décidèrent de faire des films ensemble.
L’aventure du
cinéma indépendant
1997-2008 : De
Xiaowu à 24 City, la décennie merveilleuse
1. Le
premier long métrage issu de cette collaboration
sortit en 1997 : c’est « Xiaowu,
artisan pickpocket »
(《小武》),
qui s’imposa tout de suite comme une œuvre
novatrice, volontairement en rupture avec la
"cinquième" génération. Chen Kaige avait dit que le
cinéma devait « raconter une légende ». Jia Zhangke
voulut raconter la réalité de son temps. Et ce
d’autant plus qu’elle était en mutation rapide et
qu’il voulait la capter sur l’écran avant qu’elle
disparaisse.
Il était en
effet rentré chez lui, à Fenyang, pour la fête du
Printemps, au début de 1997, et avait été sidéré de
la rapidité du changement intervenu en une année,
dans cette petite localité aux confins du Shaanxi.
Une rue entière, près de chez lui, allait être
détruite. Les bars karaoké s’étaient multipliés,
beaucoup de ses anciens camarades s’étaient mariés,
certains étaient en train de divorcer, tous avaient
des problèmes relationnels avec leurs parents ou
leurs amis. |
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Xiaowu (affiche
française) |
Xiaowu (affiche
chinoise) |
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C’est cela
qu’il a transcrit dans « Xiaowu » : les changements
dans les relations personnelles de chacun avec son
environnement, physique et humain, en construisant
son film en trois parties, relations entre amis,
relations amoureuses et relations familiales. Tout
le monde semble porter un masque offusquant sa
véritable personnalité, comme Xiaowu, le petit
voleur, comme Mei Mei, employée de karaoke mais de
fait prostituée, comme Xiao Yong, ancien voleur
devenu entrepreneur, mais faisant de la contrebande
de cigarettes… les identités de chacun sont en voie
de redéfinition, et, en attendant, évoluent dans un
flou incertain et malsain.
Tourné en
16 mm, avec un budget d’à peine 50 000 dollars,
« Xiaowu » amorce un processus de réflexion et de
réinvention du cinéma chinois qui se poursuit avec
« Platform »
(《站台》),
sans doute l’un des films les plus profonds et les
mieux maîtrisés qu’il ait réalisés. |
2. Pour
« Platform », Jia Zhangke est parti d’un scénario
écrit en entier ; il l’a même terminé en 1995, avant
« Xiao Wu ». Mais il ne disposait alors que de
200 000 RMB, ce qui était insuffisant pour le
travail de reconstitution des années après la
Révolution culturelle qui étaient le cadre de son
histoire. Il a donc d’abord tourné « Xiaowu » et
c’est le succès de ce premier long métrage qui lui a
permis d’obtenir le budget dont il avait besoin, en
partie grâce à l’aide du
Pusan Promotion Plan et du fond Humbert Balsan, et
surtout
grâce à
l’apport de la société de production de Takeshi
Kitano.
« Platform » est une étude sur les années 1980, les
années de jeunesse du réalisateur, et plus
particulièrement l’émergence en Chine, avec la
politique de réforme et d’ouverture, d’une culture
visant à répondre au désir de biens matériels
frustré pendant la période maoïste antérieure, mais
surtout une culture populaire qui évacue le
collectif et place l’individu en première position. |
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Platform |
Ce que décrit Jia
Zhangke dans son film, à travers l’évolution d’une troupe de
chants et danses populaires qui se retrouve sans subvention
de l’Etat, obligée de modifier son répertoire pour survivre,
c’est cette mutation culturelle, qui laisse l’individu
dépourvu du soutien du collectif, et seul face à lui-même,
sans recours contre la solitude.
C’est le film le
plus personnel de Jia Zhangke, comme il l’a reconnu
lui-même, certaines scènes dérivant de scènes similaires
vécues ou observées dans son enfance. C’est aussi le premier
de ses films où joue Zhao Tao (赵涛),
découverte dans une école de danse de Taiyuan où elle était
professeur, ici aux côtés de Wang Hongwei. Elle va devenir
un autre alter ego du réalisateur, féminin cette fois, et ne
le quittera plus, jusqu’à leur mariage à Venise, en 2006,
après un Lion d’or…
3. En 2002,
« Plaisirs
inconnus »
(《任逍遙》)
poursuit la réflexion du réalisateur sur les ravages
d’une modernisation accélérée qui déséquilibre les
individus. Cette fois-ci, le film aborde les
problèmes identitaires des jeunes de la génération
après la sienne – des jeunes isolés dans une société
où ils n’arrivent pas à réconcilier la réalité terne
et triste de leur environnement, et l’image d’un
monde brillant en pleine mutation qu’on leur montre
à la télévision et dont on leur chante les miracles
dans la presse.
Le
contraste est d’autant plus déprimant pour des
jeunes qui n’ont guère d’espoir de pouvoir sortir de
leur isolement. Créant des pressions énormes sur
eux, l’impuissance ressentie, doublée de l’ennui
d’un quotidien morne, les incite à un réflexe de
refuge dans le rêve et l’inaction. |
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Plaisirs inconnus |
Le livre La trilogie
du pays
natal de Jia Zhangke |
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Comme le
court métrage documentaire
qui lui est lié,
« In
Public » (《公共场所》),
tourné un an auparavant,
« Plaisirs
inconnus »
a été
tourné en numérique. Cela donne un style très
réaliste au film, qui, situé dans des sites sans
charme du Shanxi, accentue par ce moyen le caractère
désolé des situations.
Ces trois
premiers films forment une sorte de trilogie.
D’ailleurs, ils ont fait l’objet d’une publication,
signée Jia Zhangke/Zhao Tao, portant le titre du 3ème,
mais sous-titrée « La trilogie du pays natal de
Jia Zhangke » (贾樟柯故乡三部曲) ;
le livre est une réflexion sur les trois films, et
plus largement sur le travail et les idées du
réalisateur.
Tournés
sans autorisation, ces trois films n’ont pu être
montrés en Chine. La situation a changé en 2004,
année qui marque une offensive des autorités de
tutelle du cinéma auprès des réalisateurs
indépendants pour essayer de les faire
|
rentrer dans les
rangs officiels. La manœuvre réussit à rallier bon nombre
d’entre eux, et des meilleurs.
4. « The
World » (《世界》)
est donc le premier film de Jia Zhangke à sortir
avec le visa de la censure. Le film fut même bien
reçu par le gouvernement chinois. C’est aussi le
premier de ses films tourné hors de sa province
natale, en l’occurrence à Pékin.
Zhao Tao y
interprète une danseuse qui travaille dans un parc
d’attractions du sud de Pékin, où sont érigées des
répliques des monuments les plus célèbres du monde
entier. C’est donc un monde complètement factice, où
l’illusion d’un moment est anéantie par la réalité
urbaine dès qu’on en sort, un film fait de
va-et-vient entre ces deux mondes, entre lesquels
les protagonistes semble flotter dans des identités
aussi floues que celles des personnages qu’ils
jouent dans les pantomimes montées pour les
touristes.
Les thèmes
de solitude et de monde sans espoir débouchent ici
sur celui de l’aliénation urbaine.
C’est un
film extrêmement |
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The World |
complexe, qui joue
sur des images suggérées de façon presque liminale, et sur
la musique, comme toujours chez Jia Zhangke.
Un personnage
secondaire du film, interprété par
Han Sanming (韩三明),
qui jouait déjà dans « Platform », fait une sorte de lien
avec le film suivant, où il tient le rôle principal. Toute
la filmographie de Jia Zhangke, jusqu’en 2006, est tissée de
liens, dont une partie est constituée par les acteurs ; ces
liens formels, ajoutés à la grande homogénéité thématique
des films, créent une œuvre qui frappe par son unité.
5. 2006
est sans doute un sommet de la carrière de Jia
Zhangke, et pas seulement parce que
« Still
Life » (《三峡好人》)
obtient cette année-là le Lion d’or au festival de
Venise ; plutôt parce que ce Lion d’or couronne une
œuvre qui parachève et vient comme conclure les
thèmes traités précédemment, depuis « Xiaowu », avec
une parfaite maîtrise du style, le fameux
docu-fiction.
« Still
life »
nous montre une vaste entreprise de destruction :
destruction de bâtiments promis à un engloutissement
prochain sous les eaux du lac de retenue du barrage
des Trois-Gorges, engloutissement symbolique d’une
culture, d’un mode de vie, et d’une idéologie qui a
fait son temps. Les gens ne retrouvent leur passé
que sur les images obsolètes qui perdurent,
imprimées sur les billets de banque
Le
réalisateur traite son thème avec une certaine
ironie, et un certain laconisme, comme un œil qui
observe sans prendre |
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Still Life |
position : on
construit, on détruit, la vieille culture traditionnelle
comme le communisme plus récent, tout cela dans un temps
très rapide puisque c’est à l'échelle d'une vie ; cela
semble un processus cyclique inéluctable, parfaitement
conforme à la pensée chinoise.
Mais c’est
ce caractère même qui laisse songeur, et au bord de
l’effroi, dans la moiteur palpable des bords du
fleuve : la Chine semble avancer dans un équilibre
instable et fragile, tel le personnage de la
dernière séquence du film, traversant l’abîme sur un
frêle filin, sans trop savoir ce que l’avenir
réserve…
6. Après
« Still Life », avec
« Useless
/ Wuyong
»
(《無用》),
en 2007,
Jia
Zhangke explore l’impact de la modernisation
économique sur la vie en Chine, et il le fait en
choisissant un thème original : la confection des
vêtements – à partir d’une figure emblématique de la
haute couture chinoise, opposée à la confection,
|
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Wuyong |
industrielle et
artisanale. Le documentaire souligne le lien ténu mais
profond entre une styliste qui se veut « inutile », et
l’artisan de chez lui, à Fenyang, qui meurt de la
concurrence de l’autre extrême, la fabrication industrielle
sans âme.
7. En
2008, c’est à Chengdu qu’il va tourner
« 24
City » (《24城记》),
qui prolonge sa réflexion sur l’histoire, en
étudiant celle d’une usine qui va disparaître pour
faire place à une résidence de luxe – dans un style
où la fiction est tellement bien imbriquée et
intégrée au réel que le passage de l’un à l’autre
relève du grand art. C’est certainement l’un de ses
films les plus complexes, où la forme est aussi
importante que le fond.
1998 et
après : incertitude
Après « 24
City », Jia Zhangke a annoncé qu’il préparait un
film sur la période de son enfance, un film
original intégrant des séquences d’arts martiaux qui
devait s’appeler
« The age
of Tattoo » (《刺青时代》),
et qui serait, pour la première fois de sa carrière,
adapté d’un roman, en l’occurrence de |
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24 City |
Su Tong (苏童).
Les premières annonces, en août 2008, aiguisaient la
curiosité.
Le projet a
cependant été mis de côté pour répondre à une commande
officielle et réaliser un film
destiné à être
projeté en ouverture de l’Exposition universelle de
Shanghai, le 30 avril 2010. Cela a donné « I
Wish I Knew » (《海上传奇》),
réalisé très vite, et monté encore plus vite.
C’est une
formidable galerie de portraits des grandes figures,
quasiment légendaires, de l’histoire de Shanghai, et en
particulier des cinéastes et acteurs qui ont fait une grande
partie de la gloire de la métropole ;
Jia Zhangke
en a retrouvé
certains, ou leurs enfants, dont il est émouvant de
retrouver le visage et la voix, témoignant du passé. Le film
reste cependant une œuvre de circonstance qui, sur un sujet
aussi riche, aurait mérité plus de temps, et sans doute plus
de liberté.
A Touch of Sin |
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A partir de
là,
Jia
Zhangke s’est retrouvé dans une impasse. Dans
l’impossibilité de mener à bien le projet sur lequel
il travaille depuis 2008, il a tourné un autre film,
« A Touch of Sin » (《天注定》)
qu’il dit dérivé d’un même thème : la violence
latente dans la société chinoise, mais traité au
présent, à partir de faits d’actualité qui ont fait
la une de la presse chinoise ces derniers temps.
Le film
a
été présenté en première mondiale au festival de
Cannes en mai 2013 et y a obtenu le prix du meilleur
scénario. Le scénario avait en effet la tâche
difficile de lier quatre histoires différentes,
tirées de faits divers sanglants de l’actualité
récente, et s’en acquitte assez bien. Le film
intègre des traits récurrents de la filmographie de
Jia
Zhangke, aspect documentaire (2), éléments
symboliques, extraits d’opéra pour ponctuer le
propos, acteurs des films précédents - Zhao Tao,
Wang Hongwei, Han Sanming… Pourtant, on ne sent
|
pas le réalisateur
à l’aise dans un sujet qui semble l’inquiéter plus que le
toucher profondément.
Aujourd’hui bridé
dans ses possibilités de réalisateur, Jia Zhangke s’est
ouvert un nouveau champ d’action en se tournant vers la
production, en soutenant des jeunes cinéastes.
L’aventure de la
production
Jia Zhangke a formé
une première société de production en 2003 pour produire ses
propres films : Xstream Pictures, fondée avec ses
deux complices Chow Keung et Yu Lik-wai. Elle a produit ses
films à partir de « The World », en association avec la
société de Takeshi Kitano, Office Kitano.
En 2008, Xstream
Pictures s’est cependant ouverte sur la production d’autres
films que ceux de Jia Zhangke. Elle a produit celui réalisé
par
Yu Lik-wai,
« Plastic City »
(《荡寇》), et celui d’Emily
Tang Xiaobai (唐晓白) « Perfect Life » (《完美生活》).
En juin 2012, Jia
Zhangke a ensuite créé une seconde société de production,
Yihui Media (意汇传媒),
plus spécialement dédiée à la production de films de jeunes
réalisateurs, qui a déjà d’intéressantes réalisations à son
actif.
Dans un domaine
difficile, où beaucoup semblent avoir baissé les bras, Jia
Zhangke s’affirme ainsi comme un mentor et parrain de la
génération montante du cinéma chinois après avoir fait
figure de chef de file de la sienne, la sixième.
Un jianghu
symbolique
En 2018, un
nouveau film de Jia Zhangke figurait dans la
sélection des films en compétition pour la Palme
d’or au festival de Cannes :
« Ash
is Purest White » (《江湖儿女》),
dont le
tournage a débuté en août 2017.
Si le titre chinois rappelle le roman « Au bord de
l’eau » (《水浒传》),
l’histoire - qui se déroule sur une période de
quinze ans, de 2001 à 2017 - ne se réfère à celle
bandits, rebelles et maraudeurs de ce roman que
symboliquement : c’est une histoire d’amour tragique
dans le monde du crime, une sorte de jianghu,
effectivement, violent et dangereux.
Le film est
passé quasiment sous silence à Cannes, il est
redonné au festival de Toronto en septembre
2018 dans la section « Masters ». |
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Ash is Purest White |
Un
festival et un documentaire littéraires
En
2019, Jia Zhangke a créé un festival littéraire destiné à
promouvoir la valeur socio-culturelle de la littérature en
particulier dans le monde rural : la
« Saison littéraire de
Lüliang » (吕梁文学季).
Une première édition a eu mieux du 6 au 9 mai, dans le
village « de la famille Jia » ou Jiajiazhuang (贾家庄村),
dans le district de Fenyang (汾阳).
Dans ce
contexte, il a tourné un documentaire qui est sorti à la
Berlinale le 21 février 2020, dans la section Berlinale
Special, sous le titre « Swimming Out Till the Sea Turns
Blue » (《一直游到海水变蓝》). Ce documentaire est basé sur des
discussions entre des écrivains chinois de trois
générations, originaires de trois régions différentes : Jia
Pingwa (贾平凹), du Shaanxi, Yu Hua (余华), du Zhejiang, et Liang
Hong (梁鸿), du Henan.
Sur le
festival et le documentaire, voir :
http://www.chinese-shortstories.com/Actualites_187.htm
Notes
(1) A lire : son
propre témoignage sur sa découverte des films de Hou
Hsiao-Hsien -
Hou Hsiao-Hsien réalisateur
(2) Tout au long de
sa carrière, Jia Zhangke a manié le documentaire comme un
genre particulièrement adapté à la recherche, recherche de
style ou recherche de techniques nouvelles, le numérique par
exemple. Ses
courts métrages
documentaires
méritent un développement à part.
Filmographie
Courts métrages
étudiants
1994 Un
jour à Pékin
《有一天,在北京》
1995
Xiaoshan Going Home 《小山回家》
1996 Dudu
《嘟嘟》
Fiction et
docufiction
1997
Xiaowu, artisan pickpocket
《小武》
2000
Platform
《站台》
2002
Plaisirs inconnus
《任逍遙》
2004
The World《世界》
2006
Still Life 《三峡好人》
2008
24 City
《24城记》
2013
A Touch of Sin
《天注定》
2015
Mountains May Depart 《山河故人》 (ou : Au-delà
des montagnes)
2016
The Hedonists 《营生》 (26’)
2018
Ash is Purest White
《江湖儿女》
Documentaires
Courts/Moyens métrages
2001 La condition canine 《狗的状况》
2001
In Public
《公共场所》
2006
Dong
《东》
2007 Our Ten Years
《我们的十年》
2008
Cry Me a River
《河上的爱情》
2008 Black Breakfast (segment de Stories on Human
Rights)
Longs métrages
2007
Useless / Wuyong
《無用》
2010
I wish I knew 《海上传奇》
2020
Swimming Out Till the Sea Turns Blue 《一直游到海水变蓝》
Notes sur ses
influences stylistiques
En 2011, lors de la 68ème édition de la Biennale de Venise,
Jia Zhangke était président du jury de la section Orizzonti.
A cette occasion, il a réalisé une rétrospective de dix
films qui avaient à ses yeux une importance primordiale dans
l’histoire du cinéma, avant 1990. Cette sélection est
révélatrice des influences qu’il reconnaît en matière de
style et d’esthétique :
Robert Flaherty « Nanook of the North» 1922
Sergei Eisenstein « Le cuirassé Potemkin » 1925
Yuan Muzhi 袁牧之
« Les anges du boulevard » 《马路天使》
1937
Vittorio de Sica « Le voleur de bicyclette » 1948
Yasujiro Ozu « Late Spring » 1949
Federico Fellini « La Strada » 1954
Robert Bresson « Un condamné à mort s’est échappé » 1956
King
Hu 胡金铨
« Raining in the
Mountain » 《空山灵雨》 1979
Hou Hsiao-hsien 侯孝贤 « Les
garçons de Fengkuei » 《风柜来的人》 1983
Chen Kaige 陈凯歌 « La Terre jaune » 《黄土地》 1984
A lire en
complément
Réflexions de Jia Zhangke sur la
sixième génération et les défis à surmonter :
traduction
personnelle d’un exposé fait au MOMA à pékin le 25 juillet
2010, publié ensuite sous le titre « Propos poétiques sur la
sixième génération » (诗话第六代).
L’interview
réalisée par Michael Berry en septembre 2002 : Jia Zhangke,
Capturing a Transforming Reality, in Speaking in Images,
Michael Berry, Columbia University Press, 2004, pp 182-206.
Dits et
écrits d’un cinéaste chinois 1996-2011, recueil de
traductions d’essais, entretiens et discours de Jia Zhangke,
traduction François Dubois et Ping Zhou, éditions Capricci,
février 2012.
Le premier article
de cet ouvrage, daté de 1996 et consacré à des réflexions à
partir du film « Xiaoshan Going Home », est à lire sur le
blog ci-dessous :
http://cinemadocumentaire.wordpress.com/2012/02/24/dits-et-ecrits-du-cineaste-chinois-par-jia-zhang-ke/
Le documentaire de Walter Salles : «
Jia Zhangke : un gars de Fenyang »
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