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« Le fusil de Lala » de Ning Jingwu : un conte initiatique en pays Miao

par Brigitte Duzan, 15 février 2009, révisé 17 mars 2012

 

« Le fusil de Lala » (滚拉拉的枪》) est un film tourné en 2006 dans un village reculé du Guizhou, dans le sud-est de la Chine.  Le fusil du titre apparaît à la fois comme enjeu et symbole.

 

Un conte coloré sur fond de traditions Miao

 

Gun Lala () est un jeune garçon de nationalité Miao (1) qui habite un village isolé de la province de Guizhou. Il va avoir quinze ans dans un mois ; or une tradition locale veut que, à cet âge, les garçons reçoivent des mains de leur père un fusil de chasse qu’ils vont dès lors porter en bandoulière, ce qui les consacre comme adultes dans la communauté villageoise. Or Lala a toujours vécu avec sa grand-mère et n’a jamais connu son père. Il décide donc de partir à sa recherche. Mais il ne sait de lui que ce que sa grand-mère lui a dit : qu’il était le meilleur chanteur et le meilleur chasseur du village, et qu’il a une envie à l’arrière du cou, en forme de griffe de dragon.

 

Le fusil de Lala, affiche internationale

 

Le jeune garçon parcourt la montagne, passant d’un mauvais chasseur à un fermier bigame qui ne peuvent se qualifier pour être le père recherché. Il tombe enfin sur un chanteur qui officie lors de funérailles en interprétant les chants traditionnels pour pacifier l’âme des disparus et qui décide de faire de Lala son héritier. Mais Lala pense toujours à son père et regrette sa grand-mère…

 

Le scénario se présente ainsi comme une sorte de « road movie » aux allures de conte initiatique. C’est original, mais l’intérêt du film va bien au-delà de l’histoire elle-même.

 

Affiche chinoise

 

« Le fusil de Lala » est en fait une plongée dans l’univers très coloré des Miao, une minorité nationale que l’on trouve en Chine essentiellement dans les provinces méridionales du Yunnan, du Guizhou et du Guangxi. Leur nom (Miáo ), qui signifie littéralement « riz cru », est une allusion à leur tradition d’irrédentisme notoire : ce sont des peuplades qui ne se sont jamais laissé ni intégrer ni siniser. Elles ont donc conservé des traditions très vivantes et des modes de vie que la modernité commence juste à effleurer. La beauté des paysages de ces régions s’ajoute à celle des costumes, chants et danses traditionnels pour en faire une zone touristique très prisée.

 

Le film a été tourné à Basha (岜沙), dans le sud-ouest de la province du Guizhou, un village de montagne particulièrement préservé qui continue à vivre sans autre lien avec l’extérieur que quelques groupes de touristes occasionnels. Les mentalités, en

particulier, n’ont guère évolué, les esprits étant encore empreints de superstitions ancestrales.

 

Ning Jingwu (宁敬武) a découvert la région en 2005. Il était alors directeur artistique sur le tournage d’un film dans la région de Leishan : « Anayi » (《阿娜依》), premier film d’une jeune réalisatrice elle-même de nationalité Miao, Chou Chou (丑丑)(2). Il s’est trouvé plongé dans un univers qui semblait ne pas avoir changé depuis deux mille ans. En regardant vivre les gens autour de lui, il a peu à peu ressenti un grand respect envers eux ; comme il l’a dit lui-même : « en face d’eux, j’ai eu le sentiment que nous leur étions inférieurs. » (在他们面前我感到了我们的卑微).

 

Alors il est revenu, à Basha, avec l’histoire de Gun Lala. Le film est donc en fait un double voyage initiatique : celui de Lala, et celui de Ning Jingwu en pays Miao.

 

Un film proche du documentaire

 

« Le fusil de Lala » reprend le genre cher à Jia Zhangke : il a réalisé son film à partir d’un documentaire ; celui-ci lui a permis, entre autres, de sélectionner ses acteurs, tous locaux et non professionnels : le jeune qui joue Lala et ses camarades, mais aussi la grand-mère, une vieille dame de 86 ans qui n’avait aucune idée de ce

 

Gun Lala

que pouvait bien être un film, et apparaît donc plus vraie que nature.

 

Il a d’ailleurs fallu des trésors d’ingéniosité au réalisateur pour surmonter les obstacles dus aux superstitions locales. Le scénario prévoyait la mort accidentelle de l’un des jeunes, dans le film : personne dans le village ne voulait jouer le rôle ; ce fut finalement un garçon qui était allé travailler à l’extérieur, donc un peu plus déluré, qui l’accepta, mais encore à la condition que les rites de prières funèbres traditionnels soient ensuite respectés.  De même, l’une des séquences comportait un incendie : une vieille maison abandonnée avait été achetée pour cela, un peu en dehors du village, mais, même ainsi, Ning Jingwu dut aller tourner la séquence ailleurs, la population s’y opposant résolument.

 

Il y a donc un véritable effort d’authenticité, qui se traduit en particulier par le choix de tourner dans la langue locale. Ning Jingwu est ainsi finalement assez représentatif d’une tendance générale chez les réalisateurs chinois aujourd’hui.

 

Un retour aux sources ?

 

Photo du film

 

« Le fusil de Lala » est à replacer dans une tendance actuelle du cinéma chinois. Après une période d’intense réflexion, dans les années 1990, sur les problèmes de société en milieu urbain nés de la modernisation et la dénonciation des déséquilibres provoqués par la rupture brutale des modes de vie traditionnels, le balancier est

revenu vers la campagne, comme si elle détenait les clés du retour à l’équilibre et au calme. D’où une vague de films, y compris des documentaires, qui se passent en général dans les provinces d’origine des réalisateurs, et qui sont comme des hommages au coin de terre qui les a vus naître.

 

Mais, comme dans le superbe film sud-coréen, « Printemps, été, automne, hiver... et printemps », le printemps que l’on retrouve n’est jamais exactement celui que l’on a quitté, et conservé en mémoire. Le temps a fait son œuvre, et la modernité est passée par là. De là vient sans doute la fascination pour des cultures que le temps semble avoir oubliées, comme dans le cas de Ning Jingwu.

 

On peut cependant se demander s’il n’y a pas chez lui l’attrait d’un passé préservé plus ou moins exotique, au sens étymologique d’extérieur et étranger, contrairement à ses confrères qui puisent dans leurs propres antécédents les sources de leur réflexion. 

 

Une observation profonde de la vie locale

 

Après avoir vu bon nombre de films chinois réalisés sur les minorités nationales, cependant, on en apprécie Ning Jingwu d’autant plus. N’appartenant pas lui-même à la minorité Miao, il a pourtant su en capter l’âme, et son film est aux antipodes des fresques artificielles qui sont la marque du cinéma dit « de minorité » habituel. Il se situe

 

Photo du film

bien dans un courant encouragé par le pouvoir chinois, mais il y apporte une voix personnelle et une sensibilité profonde que l’on ne retrouve que chez des réalisateurs, comme Hasi Chaolu (哈斯朝鲁), qui filment avec un amour quelque peu nostalgique le monde dont ils sont issus.

 

Tourné en 2006, le film nous offre une image vraie d’un monde qui se meurt, un monde qui était en harmonie parfaite avec la nature, et certains passages ont une résonance profonde. L’une des premières séquences du « Fusil de Lala » nous montre le jeune garçon coupant du bois pour aller le vendre et tenter d’amasser peu à peu les quelques centaines de yuans qu’il lui faut pour acheter le fusil nécessaire à sa cérémonie de passage à l’âge adulte – un fusil qui n’a plus aujourd’hui que valeur symbolique. Il trouve au passage une brouette qu’il emprunte prestement pour transporter ses fagots. Sur quoi il rencontre un ancien du village qui le tance vertement : le bois, lui dit-il, se porte sur l’épaule ; on ne doit couper que ce dont on a besoin pour son usage quotidien, c’est-à-dire ce que l’on peut porter sur les deux bouts de sa palanche ; si l’on commence à vouloir le transporter avec une brouette, on va le transporter avec une voiture, et pourquoi pas en train, et il n’y aura bientôt plus de forêt.

 

Photo du film

 

De même, chaque Miao du village a son « arbre de vie » (“生命树”), planté à sa naissance, qui est son double, ou plutôt son esprit. Lorsqu’il meurt, l’arbre sert à fabriquer son cercueil. Cela nous donne une superbe séquence : lorsque meurt, à son retour au village, le jeune homme qui était parti travailler à Canton - et qui

meurt étrangement sans que l’on sache trop si cette mort est due aux suites de son accident ou au traumatisme bien plus grave dû au fait qu’on lui a coupé son chignon pour soigner sa blessure à la tête – son arbre de vie n’a pas eu le temps de beaucoup pousser, il ne suffit pas à fournir le bois de son cercueil ; les anciens conseillent alors de couper l’arbre de vie de son père, et, à la mort de celui-ci, ils prendront l’arbre du fils pour faire son propre cercueil. Il n’y a pas de rupture dans l’ordre naturel.

 

La musique elle-même contribue à créer l’atmosphère et accentuer le contraste entre le monde de la forêt et celui qui lui est extérieur, celui des confins de la modernité : quand on quitte l’univers verdoyant du village avec ses chants harmonieux, c’est pour entrer dans un monde grisâtre marqué par une musique plus agressive.

 

Le film est un superbe témoignage d’admiration portée à une culture mal connue, appréhendée dans toute sa profondeur.

 

 

(1) Les Miao sont l’une des plus importantes nationalités chinoises dites minoritaires. On dit qu’ils auraient occupé le bassin du fleuve Jaune avant l’arrivée des Han. C’est au début du 18ème siècle que ces peuplades, qui habitaient donc dans les régions centrales de la Chine, ont commencé à se déplacer vers le sud, pour fuir les troubles qui parsèment l’histoire des Qing, mais aussi pour éviter la sinisation et trouver de nouvelles terres arables. Mais le terme de Miao recouvre en fait quatre groupes différents,  dont les « Hmong » que l’on trouve au Vietnam, au Laos, en Thaïlande et au Myanmar.

C’est en particulier grâce au fait que les Miao vivent dans des régions montagneuses difficiles d’accès qu’ils ont pu conserver leurs traditions ; on dit aussi qu’ils étaient de très bons guerriers…

 

 

Extrait

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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