par Brigitte Duzan,
18 mars 2012, actualisé 30 juin 2016
Depuis
2008, Ning Jingwu (宁敬武)est
connu comme le réalisateur du
« Fusil de Lala » (《滚拉拉的枪》).
Comme souvent, cette notoriété soudaine est au
détriment de son œuvre antérieure, mais ce film, et
« Le Nid d’oiseau » (《鸟巢》) réalisé aussitôt après,
dans le contexte des Jeux olympiques de Pékin en
2008, marquent l’apogée de sa filmographie.
Peintre de la réalité sociale
Ning
Jingwu esrt sorti en 1988 avec un diplôme de
littérature chinoise de l’Ecole normale de Huaibei (淮北师范大学),
dans la province de l’Anhui. Il a ensuite fait des
études de mise en scène à l’Académie du cinéma de
Pékin, dont il est sorti en 1996.
Ning Jingwu
Growing up
Il a alors
réalisé un film télévisé, mais son premier long
métrage date de 1998 : « Growing up » (《成长》).
Produit par le
Children Film Studio, le film a tout de suite attiré
l’attention, obtenant, entre autres, un prix Huabiao (华表奖)
et un prix de la critique au festival de Shanghai.
L’année suivante, c’est le China Film Group qui a
produit son second film, « The Drummer’s Glory »
(《鼓手的荣誉》),
mais c’est en 2000 qu’il a réalisé le film qui a
vraiment commencé à le faire connaître : « Silent
River » (《无声的河》).
C’est l’histoire, contée sur un mode poétique, d’un
groupe de jeunes étudiants sourds et de leur
relation avec le professeur qui les encadre.
Son film suivant, en 2003, « Running for son »
(《夺子》),
raconte le retour d’une femme qui était partie aux
Etats-Unis trois ans auparavant en laissant son
enfant en Chine et qui
revient pour le récupérer. Le film dépeint
l’évolution de ses rapports avec la femme qui l’a
adopté et s’en est occupée entre temps, rapports
rendus délicats par la différence de
statut social et de conditions économiques.
En 2004, il réalise encore deux films sur des sujets
sociaux semblables, puis, en 2005, un film tourné
dans le cadre du programme de commémoration des
cents ans du cinéma chinois, mais surtout « Encounter
with RuanLingyu » (《遭遇·阮玲玉》),
sur un scénario original qui met en parallèle d’une
part la vie de deux jeunes femmes tentant de mener
une vie indépendante dans la Shanghai moderne, et
d’autre part celle de l’actrice disparue
tragiquement en 1935, après s’être suicidée.
C’est l’année suivante, en 2006, que sort le film
qui constitue l’apogée de cette première période de
son œuvre : un film qui traite toujours de la
réalité sociale, mais cette fois par le biais
Silent River
Running For Son
d’une comédie satirique : « L’anniversaire » (《磨剪子抢菜刀》).Le
scénario est l’œuvre de l’écrivain ouvrier Li Ming (李铭) et l’adaptation de son second roman.
Le succès rencontré par le film incite alors Ning
Jingwu à poursuivre dans cette voie : il tourne,
l’année suivante, l’adaptation du premier roman de
Li Ming : « Pluie sur Lihua » (《梨花雨》). Le film décrit l’histoire d’un apiculteur qui arrive dans un
village du nord-est de la Chine où ne restent que
les femmes, les hommes étant partis travailler à la
ville : même le chef de village est une femme,
endurcie par les épreuves, mais dont la vie va se
trouver bouleversée par l’arrivée de l’étranger.
Ning Jingwu atteint là une parfaite maîtrise de la
peinture non seulement de la vie dans le village,
mais aussi des sentiments de ses deux personnages.
Mais il va alors se tourner vers une
autre réalité, découverte au hasard du tournage
d’une autre réalisatrice, au Guizhou.
Découverte de l’univers des Miao
C’est en
2005 que Ning Jingwua découvert le monde
des Miao, nationalité du sud-est de la Chine. Il
était alors directeur artistique sur le tournage
d’un film dans la région de Leishan (雷山) :
« Anayi » (《阿娜依》),
premier film d’une jeune réalisatrice elle-même de
nationalité Miao, Chou Chou (丑丑).
Il s’est senti plongé dans un univers qui semblait
ne pas avoir changé depuis deux mille ans, à
l’opposé de la réalité qu’il avait dépeinte jusque
là, marquée par des changements accélérés.
Trois ans plus tard est sorti le film qui reflète
cette expérience, et la profonde symbiose qu’il a
réussi à développer avec cette culture mal connue :
Encounter with Ruan
Lingyu
Rain on Lihua
« Fusil de Lala » (《滚拉拉的枪》),
tourné à partir d’un documentaire et sans doute son
film le plus réussi à cette heure.
Il a
ensuite réalisé
« Le nid d’oiseau » (《鸟巢》)
qui
forme comme un diptyque avec le précédent. Ning Jingwu a
repris le même garçon qui jouait Lala, appelé ici
Xiangma (响马),
et le même village, pour une histoire inspirée par
le fameux stade pékinois construit pour les Jeux
olympiques.
Le jeune Xiangma reçoit un jour une lettre de son
père, parti travailler à Pékin, qui lui raconte
qu’il construit le « nid d’oiseau ». Stupeur au
village où personne n’a la moindre idée de ce que
cela peut bien signifier… Xiangma décide de partir à
Pékin voir de quoi il retourne, et pouvoir revenir
au village l’expliquer à tous ses copains.
Si « Le fusil de Lala » était un conte initiatique,
« Le nid d’oiseau » est un autre conte, celui de la
découverte du monde, voyage au long cours plein
d’imprévus, de bons et de
méchants, où le héros finit, comme dans les contes,
par avoir raison des embûches dressées sur son
chemin. L’argument central va cependant au-delà de
l’histoire du « nid d’oiseau ». Xiangma part avec
une mission confiée par sa mère, celle de ramener
son père avec lui ; en effet, lui fait-elle
apprendre par cœur, une maison sans homme est un
foyer incomplet, rien ne sert de gagner beaucoup
d’argent si la famille est séparée.
L’idée a été suggérée à Ning Jingwu par l’histoire
réelle d’une femme Miao qui avait emprunté une
caméra vidéo pour filmer sa vie quotidienne, pour
montrer la beauté de cette vie simple, et inciter
son mari à revenir. Ceci dit, lorsque Xiangma récite
la leçon apprise de sa mère, son père lui répond
avec
Bird’s Nest
réalisme qu’il n’a pas les moyens de faire du
romantisme, et qu’ils crèveront de faim s’il rentre
au village (traduction personnelle).
« Le fusil de Lala » était une
fable, « Le nid d’oiseau », en quittant le monde des
Miaos, confronte l’univers de la fable à la réalité
du monde moderne, et cette confrontation est sans
appel
[1].
Au passage, le propos de Jing Ningwu perd la grâce
qu’il avait au départ, en accord avec l’univers
magique qu’il dépeignait, et incite à penser dans
les termes de la controverse entre Rousseau et
Voltaire
[2].
Ces deux œuvres restent magistrales, la seconde
faisant penser à Kiarostami. Mais on sait gré au
réalisateur d’en être resté là, alors qu’il avait
annoncé vouloir tourner six films en pays Miao.
Les années 2010
My best Friend Jiang
Zhuyun
Lift to Hell
Left Behind Children
Migration
Son film suivant, en 2011, est un hommage à
l’héroïne
communiste Jiang Zhujun (江竹筠), morte à 29 ans en 1949.
L’année suivante, Ning Jingwu a réalisé un thriller, mais sans grand
succès, puis il
est ensuite revenu vers le Hebei et la peinture
sociale pour trouver le sujet de son film suivant,
sur la vie des enfants laissés à la garde des
grands-parents dans un petit village de montagne
isolé : « Les enfants laissés au village » (《阳光留守》)
ou « Dans ce lointain village de montagne » (《在那遥远的小山村》),
dont le style rappelle celui de « L’anniversaire ».
Le film est sorti en 2013.
Pendant ce temps, Ning Jingwu a aussi réalisé un
film promu dans le cadre du grand
Projet des films de minorités (中国少数民族电影工程)
lancé en 2013 : « Migration » (《迁徙》).
Il s’agit d’un film adapté du roman éponyme de
l’écrivain de nationalité qiang (羌族)
Gu
Yunlong(谷运龙).
C’est un
témoignage mi-fictionnel, mais réalisé avec des
acteurs non professionnels locaux, en langue locale,
sur le déplacement d’un village qiang de
Wenchuan après le terrible tremblement de terre de
2008 qui a affecté de plein fouet la communauté.
D’abord extrêmement divisés, les villageois
finissent par tomber d’accord, et, avec l’aide du
gouvernement, déménagent dans les monts de Nanbao (南宝山).
Présenté
comme un « poème épique » à la gloire du peuple
qiang, c’est un film très didactique qui n’a
rien à voir avec « Le fusil de Lala ». Le
descriptif de ses objectifs sur le site officiel est
explicite :
深度提炼与展现千年羌族文化,成为羌族文化人类学研究宝贵纪录
Faire
ressortir et illustrer profondément la culture
qiang
millénaire, et devenir ainsi un document
précieux de
recherche anthropologique sur la
culture qiang.
Sur le
site du Projet, l’affiche du film, très travaillée,
en dit long sur le contenu : les deux
tiers supérieurs sont occupés par le visage souriant
de l’actrice Ermayina (尔玛依娜)
portant la coiffe traditionnelle des femmes Qiang,
et dans le tiers inférieur se déroule la longue file
des villageois, silhouettes noires sur fond de
montagnes enneigées – avec en haut de l’affiche le
slogan mélodramatique : pays natal, où es-tu ? (故乡,在何处?).
Tomb Mystery
Ning Jingwu semble avoir
définitivement opté pour le cinéma commercial, sinon
gouvernemental. Son film suivant, sorti en 2015,
s’inscrit dans la vogue des films « de pilleurs de
tombes »
[3] :
« Tomb Mystery » (《墓穴迷城》),
avec
Lü Yulai (吕聿来)
dans le rôle principal d’un jeune garçon que son
père a empêché de faire des études d’archéologie,
mais qui en garde la passion et rêve de revenir au
temps de la dynastie des Tang. Le film pêche d’abord
par un scénario insipide.
Le film (avec
sous-titres mandarin/anglais)
Filmographie
(1996
《我的长城 你的海》My
Great Wall, Your Sea
1998
《成长》Growing
up
1999
《鼓手的荣誉》The
Drummer’s Glory
2000
《无声的河》Silent
River
2003
《夺子》Running
for son
《我要做个好孩子》I Want to Be a
Good Child
(adapté du
livre pour enfants de 1996 de Huang Beijia
黄蓓佳)
2005
《遭遇·阮玲玉》Encounter
with Ruan Lingyu
《随风而去》Gone
with the wind
[réalisé pour le
centième anniversaire du cinéma chinois]
2012
《地下18层》/《电梯惊魂》Huit
étages sous terre / ou : Lift to Hell
2013
《阳光留守》/《在那遥远的小山村》Left
behind Children
(ou : Dans ce lointain village de montagne)
2013
《迁徙》 Migration
2015
《墓穴迷城》 Tomb
Mystery
[1]
La mort du jeune parti travailler à Canton à son
retour au village peut être lue sous un angle
doublement symbolique : il meurt d’être allé à la
ville, - il y a été accidenté, et y a perdu, avec
son chignon, une partie de son être profond -, mais,
s’il meurt en arrivant, c’est aussi qu’il est
désormais inadapté à la vie ancestrale.
[2]
La controverse entre les deux hommes, en plein
siècle des Lumières, a quelque chose de très
moderne : Voltaire, dont le projet éminemment
pragmatique est d’aménager le présent et de
favoriser le progrès, s’opposant à un Rousseau
rêveur et idéaliste, répondant : « Le pays des
chimères est en ce monde le seul digne d'être
habité. » (La Nouvelle Héloïse)
On ne peut s’empêcher de la transposer dans le
contexte du film…
[3]
Sur la grande vogue des romans de pilleurs de tombes
et leurs adaptations, voir :