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Trésors méconnus
des Studios d’art de Shanghai
par
Marie-Claire
Kuo (Quiquemelle), 28 juin 2015
Centre de
documentation sur le cinéma chinois de Paris
En 1957, le gouvernement chinois transforme le
département animation des Studios cinématographiques
de Shanghai en une compagnie indépendante à laquelle
son directeur, le peintre caricaturiste
TE Wei (特伟),
donne le nom de
Studios d’art de Shanghai (上海美术电影制片厂)
pour bien marquer le caractère artistique d’une
institution dont la mission est de produire, à
l’intention des enfants, des films éducatifs
susceptibles de développer leur sentiment artistique
tout en les divertissant. Les nouveaux studios sont
divisés en trois sections : le dessin animé, les
poupées et les découpages articulés, une nouvelle
technique
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Te Wei en 1962 (à
dr.), travaillant sur La Flûte du bouvier
avec son coréalisateur
Qian Jiajun |
que
WAN Guchan (万古蟾),
récemment rentré de Hong Kong, est en train de mettre au
point. Le développement est très rapide et, au début des
années 1960, les Studios d’art de Shanghai ont un effectif
de 360 personnes, comparable à celui des Studios Disney .
Désireux de se
démarque des modèles américains et soviétiques, les
animateurs chinois décident très tôt de créer un modèle
chinois s’inspirant des formes multiples des arts
traditionnels de leur pays :
- les arts du
lettré (calligraphie et peinture traditionnelle à l’encre
rehaussée de couleur)
- le dessin
moderne qui, lorsque les méthodes de reproduction des images
se sont répandues en Chine grâce à l’imprimerie
industrielle, s’est généralisé sous forme d’encarts
publicitaires, d’illustrations dans les livres et les
périodiques, de bandes dessinées, de caricatures…
- les arts
décoratifs populaires (papiers découpés, papiers pliés,
estampes, jouets de bois, bambou ou tissu etc.)
- le théâtre
d’ombres, le théâtre de marionnettes et les nombreuses
formes de théâtre chanté, que par commodité nous appelons
opéra.

Wan Guchan et ses
découpages articulés |
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Dans
le même état d’esprit, les films d’animation se
donnent pour tâche d’explorer la grande diversité
des sources d’inspiration qu’offre la culture
chinoise : la littérature classique et moderne, les
contes pour les enfants; les bandes dessinées ; les
légendes des peuples minoritaires, l’opéra et le
théâtre de marionnettes… Une grande attention est
apportée à la rédaction des scénarios, toujours
extrêmement bien écrits et mis en scène.
Particulièrement bien adaptés aux sujets traités,
les décors des films sont extrêmement soignés tandis
que l’action est soutenue par |
des musiques originales très diversifiées, généralement interprétées par
l’excellent orchestre des Studios de cinématographiques de
Shanghai.
Le point
commun de tous ces films, c’est qu’ils sont l’œuvre
d’artistes qui, non contents de pratiquer eux-mêmes la
peinture, ont souvent collaboré avec des peintres de
l’extérieur, certains très célèbres comme ZHANG Guangyu (张光宇)
et son frère ZHANG Zhengyu (张正宇),
LI Keran (李可染),
HUANG Yongyu (黄永玉),
HAN Meilin (韓美林),
CHENG Shifa (程十发),
etc. Ce qui aurait été très onéreux dans un système libéral
était beaucoup plus facile dans le système socialiste de
l’époque où les peintres, tous fonctionnaires salariés de
l’Etat, ne refusaient jamais de travailler gratuitement pour
les Studios, quand TE Wei le leur demandait. ..
Au début des
années 1950, dans leurs dessins animés et leurs films de
poupées, les animateurs de Shanghai s’efforcent de tirer le
meilleur parti des techniques qu’ils connaissent déjà. En ce
qui concerne les dessins animés, leur technique reste proche
de celle des studios Disney, même si, faute de disposer des
mêmes moyens, elle reste plus artisanale. L’originalité de
ces films repose davantage sur les histoires qu’ils
racontent et sur leur style bien chinois. Quant aux films de
poupées, si dès le début ils utilisent la méthode dite de
Stop Motion Animation, le fait qu’elle soit pratiquée
par de fins connaisseurs des multiples formes du théâtre de
marionnettes donne à ce cinéma ses caractéristiques propres,
qui s’expriment notamment dans la façon de bouger des
personnages.
A partir du
milieu des années 1950, la grande nouveauté a été d’explorer
des voies nouvelles et d’inventer des techniques originales
qui sont si complexes et nécessitent tant de savoir faire et
d’application, que personne n’a jamais réussi à les imiter.
Ces techniques
sont au nombre de quatre :
- les
découpages articulés qui s’inspirent des arts des papiers
découpés et du théâtre d’ombres
- les lavis
dans lesquels la peinture chinoise traditionnelle s’anime
- les lavis
déchirés (entre lavis et découpages articulés)
- les papiers
pliés.
Les
découpages articulés.
Les Chinois ne sont évidemment pas les seuls à avoir
fait des découpages articulés, mais ils ont
développé leur propre style en s’appuyant à la fois
sur l’art des papiers découpés qu’on collait sur les
fenêtres au moment du Nouvel An, et sur le théâtre
d’ombres dans lequel des figurines en peau d’âne
finement découpées sont manipulées derrière un écran
de soie tendue, éclairé à l’arrière. Lorsque les
personnages sont en mouvement, leur image est coulée
et légèrement floue, et c’est seulement quand le
marionnettiste les fige en les appliquant sur
l’écran, qu’on peut |
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Zhu Bajie mange la
pastèque |
pleinement en admirer le contour délicat et les couleurs
chaudes, celles-là même que l’on retrouve dans le film
Zhu Bajie mange la pastèque
《猪八戒吃西瓜》,
premier
découpage articulé, réalisé en 1958 par
WAN Guchan.
Les lavis
animés.
Plus inattendue, la deuxième
innovation des Studios d’art de Shanghai a été la mise au
point de la technique du lavis animé. En 1958, TE Wei et ses
collaborateurs (parmi lesquels Ah Da 阿达 et (Mme) DUAN
Xiaoxuan 段孝萱 ont joué un rôle essentiel) imaginent d’animer
la peinture de QI Baishi (齐白石 1869-1957), vieux peintre
d’humble origine, honoré par le régime et très populaire.
C’est un pari

Duan Xiaoxuan (1ère à
g.) lors d’un voyage d’étude
au Japon en 1981, avec
Te Wei (4ème à partir de la g.) |
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totalement fou car
animer la peinture chinoise, image par image, est à
priori impossible. Contrairement à notre aquarelle
exécutée à petits coups de pinceau sur du papier
dur, dans la peinture chinoise à l’encre rehaussée
de couleur c’est d’un geste rapide que l’on ne peut
reprendre que le pinceau trace, sur une feuille de
papier de murier qui s’imbibe d’eau, un dessin dont
les contours sont légèrement flous. Dans ce cas
d’utiliser les cellulos comme dans le dessin animé
classique. Pour arriver à leurs fins, TE Wei et ses
collaborateurs doivent surmonter beaucoup de
difficultés. Mais ils sont tellement motivés, ils
travaillent avec une |
telle passion et une telle
obstination qu’après de multiples essais et au bout de plus
de deux années d’efforts acharnés, ils réussissent
l’impossible. Comment ont-ils fait ? Difficile de le dire
très précisément car jusqu’ici le secret a été bien gardé.
Les lavis
déchirés.
Devant le succès des lavis animés, au département
des découpages articulés, HU Jinqing
胡进庆
et ses amis ont l’idée, de faire des découpages
lavis. Pour les décors, cela ne pose pas grand
problème mais, pour les personnages, les premiers
essais sont décevants : une fois découpés, leurs
contours trop nets ruinent l’effet de peinture
chinoise. Finalement, c’est seulement en 1976, après de longs tâtonnements et d’innombrables
essais, qu’ils découvrent que, une fois un
personnage peint sur un papier de murier à grain
très fin, si on mouille son contour avec un pinceau
et qu’ensuite on déchire délicatement en tirant
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Dans les années 1980,
Wan Guchan (à dr.)
avec Qian Yunda (à g.)
et Hu Jinqing (au milieu) |
des deux
côtés de la partie mouillée, cela fait apparaître les fines
fibres dont le papier est constitué. Cette méthode, parfaite
pour retrouver l’effet de flou de la peinture chinoise, en
plus, a l’avantage de reproduire à la perfection la fourrure
des animaux et le duvet des oiseaux. Une fois les
personnages articulés, il n’y a plus qu’à les faire bouger
en décomposant leurs mouvements sous le banc-titre.
Les papiers pliés

Yu Zheguang (à dr.)
dans les années 1980, avec Wan Laiming |
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Mis au point en 1960, par YU Zheguang
虞哲光,
vieux réalisateur très expérimenté du département de
poupées, et grand spécialiste du théâtre de
marionnettes, les films de papier plié sont un
fleuron des Studios d’art de Shanghai. Pourtant ils
sont presque inconnus hors de Chine et il n’y a pas
très longtemps qu’en France, les enfants peuvent
voir le programme de KMBO Les Petits Canards
de papier qui leur est consacré. Traditionnellement enseigné aux enfants, l’art des
papiers pliés est pratiqué en Chine sous deux
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formes :
dans la première, la feuille de papier, savamment pliée à
plusieurs reprises, permet de représenter des animaux ou des
objets du quotidien. C’est ce que les Japonais appellent les
origami. Dans l’autre la feuille de papier, d’abord
découpée en fonction de ce qu’on veut représenter, est
ensuite pliée en deux et collée.
A
première vue les personnages sont sans consistance et
paraissent trop rudimentaires, mais une fois mis en volume,
ils prennent vie immédiatement et se mettent à bouger avec
des mouvements vifs qui évoquent les marionnettes à gaine
dont YU Zheguang était un fin connaisseur et un remarquable
interprète.
L’animation en stop motion animation demande de la
part des manipulateurs énormément d’habileté et de patience.
Elle doit beaucoup à deux experts des films de poupées, eux
aussi férus de théâtre de marionnette,
YOU Lei (尤磊) et (Mme) LÜ
Heng (吕衡).
Certains s’en
souviennent avec nostalgie : les films d’animation avaient
une très large audience jusqu’à la fin des années 80.
Presque tous des courts métrages de 18 à 30 minutes, ils
étaient d’abord réalisés pour les enfants, mais en même
temps ils devaient être tout public du fait qu’ils étaient
projetés, à travers tout le pays, en première partie des
séances de cinéma organisées par la compagnie nationale de
distribution dans les salles de quartier, sur le site des
organisations de travail et même à la campagne grâce aux
équipes de projection itinérantes. Ces séances de cinéma où
l’on allait en famille, attiraient plis de 200 millions de
spectateurs dans les années 1980. Les rares films
d’animation de long métrage, quant à eux étaient projetés
dans le même circuit pour des occasions exceptionnelles
comme le Nouvel An ou la fête des enfants.
Aujourd’hui
tout a changé. Depuis qu’il a été privatisé, le cinéma
d’animation produit encore quelques longs métrages mais, du
fait que pour les courts métrages il n’y a plus de diffusion
possible, plus personne n’en fait. La diffusion des films
par un organisme d’état a été remplacée par un système
privatisé, qui permet également de montrer des films
étrangers, selon un quota qui est actuellement de 34 films
par an. Les anciennes salles de cinéma ont disparu et on a
construit un nouveau réseau de salles privées ultramodernes,
en multiplex. Projetés, comme par le passé à l’occasion de
quelques fêtes, les longs métrages d’animation sont alors
confrontés à la concurrence redoutable des dessins animés
américains dont le public chinois raffole. Dans le même
temps la télévision, qui s’est considérablement développée,
a monopolisé l’animation, sous formes de séries que, très
souvent, elle produit elle-même. Dans un contexte où seul
compte le profit et où il s’agit avant tout de rentabiliser
les coûts de production, le niveau artistique a beaucoup
baissé. Toujours présent dans les écoles où l’on enseigne
l’animation, le talent s’est réfugié dans les films de fin
d’étude des étudiants, mais une fois qu’ils ont quitté
l’école, il est malheureusement très rare qu’ils aient
encore l’occasion de l’exercer.
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