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« The Ideal City », le roman de Han Han adapté au cinéma :
un flop…
par Brigitte
Duzan, 24 septembre 2013
Le film
« The Ideal City » (《一座城池》),
adapté du roman éponyme de
Han Han (韩寒)
publié en 2006, est sorti le 19 septembre dernier.
C’est l’un des neuf nouveaux films qui sont sortis
en Chine pour les quatre jours de vacances de la
fête de la Mi-Automne (中秋节).
C’est loin d’avoir été le succès attendu. Han Han
lui-même est resté très en retrait de l’événement.
Un roman
qui vaut par son humour
Une
histoire à la Wang Shuo
Dans « The
Ideal City », Han Han décrit, à la première
personne, les dérives d’un jeune garçon de Shanghai,
rebelle et bagarreur ; après une échauffourée qui a
mal tourné, il décide de s’éloigner de la ville et
part avec son meilleurs copain, Jianshu (健叔).
Ils débarquent dans une petite ville au bord du
Yangtse et s’installent à l’hôtel. N’ayant rien à
faire, ils sillonnent les rues sans but précis et
rencontrent un congénère local, du nom de
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The Ideal City, le
film |
Wang Chao (王超)
avec lequel ils explorent la ville. Mais les souvenirs du
passé qui refont surface à une occasion ou une autre
viennent tourmenter le jeune garçon… fuir n’est pas si
facile.
Le problème de ce
genre d’histoire sans fil narratif très serré est que le
récit devient vite ennuyeux. Han Han le résout par l’humour.
Une satire d’un
humour froid

The Ideal City, le
livre |
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Tous les
écrits de Han Han, blog ou romans, sont des satires
d’une manière ou d’une autre. Dans « The Ideal
City », le ton est froidement ironique et l’aspect
légèrement absurde de certains passages compense le
manque d’action du reste. On lit en attendant la
prochaine boutade, ce qui maintient l’esprit en
éveil et soutient l’intérêt, le plus drôle étant la
satire de l’institution pénitentiaire : on y délivre
des réductions d’amendes sous forme de bons
utilisables au prochain passage, et l’éducation
dispensée en prison se paie à prix d’or, car elle
est dispensée par des professeurs qualifiés…
Il est très
difficile de transposer ce genre d’humour dans un
scénario. Il aurait fallu un très bon scénariste.
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Acteur connu,
réalisateur obscur
Or le scénariste
est le réalisateur lui-même. Et quel réalisateur ? On
attendait quelqu’un comme
Feng Xiaogang ; pas du tout, il est
inconnu. Il s’appelle Sun Bohan (孙渤涵).
Sun Bohan
Sun Bohan a
trente ans, et il est
diplômé de l’Institut des communications de Chine,
département mise en scène (中国传媒大学导演系).
Il a
lui-même expliqué lors d’une interview (1) qu’il
est
parti de chez lui à 17 ans avec quelques centaines
de yuans en poche, bien décidé à ne plus revenir.
Au bout de quatre ans, il était devenu directeur
d’un département d’un centre commercial et avait
deux magasins de vêtements.
Mais,
a-t-il expliqué ensuite dans la même interview,
après avoir vu le film américain |
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Jaycee Chan, Sun Bohan
et le musicien Zuoxiao Zuzhou
lors de la première à
Pékin |
« The Shawshank
Redemption », il s’est dit qu’il était trop jeune pour voir
ses rêves réalisés, et qu’il avait besoin d’être sauvé lui
aussi. Il a donc laissé le commerce pour partir à Pékin
comme illégal sans hukou (“北漂”)
et se lancer dans la mise en scène. Mais, jusqu’ici, il a
surtout été acteur et producteur de théâtre, et scénariste
de films publicitaires (imprimante Hewlett Packard, la Vios
de Toyota…).
C’est pour devenir
réalisateur qu’il s’est mis à la recherche d’œuvres
littéraires à adapter et qu’un ami lui a fait lire le roman
de Han Han. Il s’est senti en phase avec cette histoire, et
en a acheté les droits. Il aurait sympathisé avec Han Han,
et partagé le même désir de voir la génération post-80 avoir
un réalisateur qui la représente vraiment.
Le film
trahit cependant son inexpérience, et d’abord au
niveau du scénario. L’un des modèles, de toute
évidence, est le film de
Jiang Wen (姜文)
« In the Heat of the Sun » (《阳光灿烂的日子》)
adapté d’un roman de Wang Shuo (王朔)
(2). Mais Sun Bohan n’est pas Jiang Wen et Han Han
n’est pas Wang Shuo.
Les
personnages, comme l’a dit un journaliste en sortant
de la première (3), sont des marionnettes :
孙渤涵没有认真塑造人物的血肉,几个提线木偶式的角色在臆造yìzào的空间里演绎所谓的底层草根青年生活。这样的挣扎、折腾非但没有生活的真实感...
Sun Bohan
n’a pas véritablement campé ses personnages en chair
et en os ; quelques rôles de marionnettes totalement
artificiels sont censés représenter la vie de jeunes
dits de milieux défavorisés. Ce genre de situation
difficile, telle qu’elle est dépeinte, ne donne pas
du tout une impression de vie authentique.
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Jaycee Chan et
l’actrice Albee Huang |
Jaycee Chan
En fait, Sun Bohan
a axé tout son film autour de la personnalité de l’acteur
principal : Jaycee Chan (房祖名),
fils de Jackie Chan. Les autres acteurs, dont Wang Taili (王太利)
dans le rôle de Jianshu, gravitent autour de lui. C’est lui
aussi qui a eu la charge d’une bonne partie de la promotion
du film, aux côtés du réalisateur.
Un échec
On a dit tout de
suite que Han Han avait cherché à se positionner sur le même
créneau que Guo Jingming (郭敬明) dont le « Tiny
Times » (《小时代》)
a connu un succès phénoménal au box office, malgré une très
mauvaise critique, et a été suivi d’un second qui a suscité
le même engouement, auprès du même public de jeunes.

Jaycee Chan, Wang
Taili (au centre) et Yang Di |
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Or Han Han,
dans « The Ideal City », ne traite pas du tout le
même sujet. Au contraire : là où Guo Jingming
dépeint de brillantes recrues de la société de
consommation, tirées à quatre épingles et dotées des
accessoires de marque adéquats, Han Han s’attache au
contraire à peindre les bas-fonds et les états d’âme
de la jeunesse post-80. Et Sun Bohan lui emboîte le
pas lourdement.
Le résultat
est là : dans une semaine qui n’était déjà pas très
favorable au niveau |
des chiffres
d’entrée, « The Ideal City » (《一座城池》)
arrive derrière
le
« documentaire »
en 3D sur la tournée
triomphale
à
Singapour en 2013 du groupe de rock taïwanais
Mayday Nowhere (《5月天诺亚方舟》),
et
même derrière le film hagiographique « Quatre jours dans la
vie de Zhou Enlai » (《周恩来的四个昼夜》).
Il est à noter le
remarquable silence de Han Han sur le sujet. Il a donné une
petite interview une quinzaine de jours avant la sortie du
film ; elle est toujours sur youku, mais bloquée. En fait,
il n’a absolument pas apporté son soutien au film ; il a
déclaré que son rôle se bornait à la vente des droits de son
roman à Sun Bohai, et qu’il n’avait pas du tout participé à
la réalisation….
Notes
(1) Interview avec
le journal Kaixian le 18 septembre 2013 :
http://www.kaixian.tv/R2/n3610262c6.shtml
(2) Sur Wang Shuo,
vieux complice de
Feng Xiaogang, voir :
http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_Wang_Shuo.htm
(3) Voir l’article
de chinanews du 21 septembre 2011 :
http://ent.people.com.cn/n/2013/0921/c1012-22980868.html
Pour Han Han écrivain et blogueur, voir :
http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_HanHan.htm
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