par Brigitte
Duzan, 19
octobre 2011, actualisé 14 mars 2024
Feng Xiaogang est généralement considéré comme un
réalisateur de films commerciaux sachant répondre
aux goûts du grand public, dans le genre dramatique
tout comme dans le registre de la comédie.
C’est une approche réductive de l’un des meilleurs
cinéastes chinois actuels. Une analyse un peu plus
poussée de son œuvre et de ses conditions de
création montre qu’il s’agit en fait d’un
réalisateur travaillant, dans le climat ambiant de
pressions tant politiques qu’économiques, à créer
une œuvre personnelle forte, tout en restant
attentif aux résultats financiers.
L’œuvre de Feng Xiaogang fait le lien entre cinéma
commercial et cinéma d’auteur, ou, si l’on préfère,
c’est un compromis pragmatique entre les deux qui
contribue à brouiller les critères usuels de
distinction.
Feng Xiaogang
Débuts de scénariste sur le tas
Zheng Xiaolong
Né à Pékin en 1958, Feng Xiaogang ressent dès
l’enfance une passion pour la littérature et les
arts. La Révolution culturelle l’oblige cependant à
interrompre ses études à la fin du collège : il
entre dans une troupe de théâtre de l’Armée, à
Pékin, où il est affecté à la direction artistique,
en charge des décors.
A la fin de la Révolution culturelle, il entre dans
une société de construction, pour s’occuper des
spectacles proposés aux travailleurs, puis, en 1985,
devient responsable artistique au Centre artistique
de la télévision de Pékin (北京电视艺术中心).
Il acquiert
ainsi une expérience pratique des productions
télévisées.
C’est en 1990 que
débute, timidement, sa carrière cinématographique :
il est coscénariste, avec Zheng Xiaolong (郑晓龙),
du second film réalisé par
Xia Gang (夏刚),
« Unexpected Passion » (《遭遇激情》),
qui remporte quatre ‘Coq d’or’,
dont celui du meilleur scénario.
Avec Wang Shuo (王朔)
et Ma Weidou (马未都),
il coécrit ensuite
le scénario d’une série télévisée en 25 épisodes
réalisée par Zhao Baogang (赵宝刚) :
« Stories from
the Editorial Board » (《编辑部的故事》).
C’est une
satire pleine d’humour et de gags qui fait figure de
précurseur : la première série télévisée qui soit
une comédie. C’est aussi le début d’une longue
coopération avec son ami, l’écrivain turbulent et
controversé Wang Shuo.
En 1991, il écrit
encore avec Zheng Xiaolong (郑晓龙)
le scénario d’un autre film de
Xia Gang (夏刚) :
« After Separation » (《大撒把》),
qui obtient
cinq
Coq d’or,
dont, à nouveau, celui du meilleur scénario. Ce film
est déterminant pour la vie et la carrière de Feng Xiaogang : le
rôle principal est interprété par Ge
You (葛优),
acteur extraordinaire
qui deviendra son acteur fétiche. Quant au principal
rôle féminin, il est interprété par l’actrice Xu Fan
(徐帆)
qui va devenir son épouse.
Affiche de Stories
from the Editorial Board
Premiers pas de réalisateur
Il
enchaîne avec une autre série télévisée, dont il est non
seulement scénariste
mais cette fois aussi réalisateur, « Un Pékinois à New
York » (《北京人在纽约》),
où le rôle principal
est interprété par
Jiang Wen (姜文).
Tâtonnements et expérimentation
C’est en 1994 qu’il
signe son premier film hors télévision, dont il a
écrit le scénario et dont il assure aussi la
direction artistique : « Gone Forever With My Love »
(《永失我爱》),
drame plein d’humour, adapté de deux nouvelles de
Wang Shuo : « Flight Attendant » (《空中小姐》)
et « Death after a High» (《过把瘾就死》).
Il traitedes
difficultés du triangle amoureux, sur fond de regret
nostalgique des vieux quartiers de la capitale où le
réalisateur et l’écrivain ont grandi.
Par ailleurs, le
film est le premier à être bâti sur un thème
récurrent dans les films de Feng Xiaogang :
il raconte en
effet l’histoire d’un chauffeur tombé
amoureux d’une hôtesse de l’air, début très
semblable à celui du film de 2008
« If
You Are The One » (《非诚勿扰1》) .
Par ailleurs,
l’histoire est d’autant plus poignante qu’elle est
raconté par un narrateur décédé qui explique se
rappeler les moments ayant précédé sa mort.
Affiche de After
Separation
Les
deux années suivantes, Feng Xiaogang revient aux séries
télévisées. Wang Shuo le quitte en 1995, et il travaille
alors avec d’autres écrivains sur des séries peu connues qui
sont autant d’expérimentations. Il réalise ainsi un drame en
dix épisodes adapté de deux nouvelles de Liu Zhenyun (刘震云)
[1] :
« Danwei » (《单位》) et « Des plumes de poulet partout »
(《一地鸡毛》).
Une
autre série en dix épisodes, « The other side of the moon »
(《月亮背面》),
est une adaptation
d’une nouvelle éponyme de
Wang Gang (王刚).
C’est une histoire d’amour pleine de dilemmes et conflits
intérieurs qui semble influencée par
Xia
Gang. Autant Wang Gang que Liu Zhenyun continueront à
collaborer avec Feng Xiaogang.
Censure et crise
Ces
séries ne sont pas des succès financiers, mais, bien plus
grave et chose qu’on évoque rarement bien qu’elle soit
importante pour comprendre le réalisateur, Feng Xiaogang est
alors frappé d’interdiction par le bureau de la censure. En
1993, il avait créé avec son ami Wang Shuo une société de
production de films et séries télévisées : Gold Dream TV and
Film Production and Consulting. Mais ses critiques de plus
en plus directes des problèmes socioculturels le mettent peu
à peu dans une situation tendue vis-à-vis des autorités de
censure.
En
1996, le tournage du film qui aurait dû être « Living a
Miserable Life » (《过着狼狈不堪的生活》)
est arrêté à mi-course[2].
Les structures qu’il avait
montées sont ruinées, Gold Dream est fermée en 1997. C’est
un échec financier pour le réalisateur qui a investi une
partie de sa fortune personnelle dans l’aventure. Il met
deux ans avant de s’en remettre et recommencer à tourner.
Ces
années auront laissé des traces : on retrouve souvent dans
ses scénarios ultérieurs des personnages de petit
businessmen aux prises avec des difficultés financières, ou
tout simplement de pauvre bougre qui n’arrive pas à joindre
les deux bouts avec ses petits boulots. Et lui-même prêtera
une attention particulière à ses résultats au box office.
Mais il tire les
leçons de l’aventure : non seulement il a acquis une
expérience de la gestion cinématographique, et en
particulier du financement, mais il a aussi fait des
expériences stylistiques, et cela lui permet
d’amorcer une nouvelle étape. Il est à deux doigts
de passer au cinéma indépendant, mais finalement, il
préfère gommer la critique sociale de ses films
ainsi que toute nuance de cynisme à la Wang Shuo,
et partir d’un nouveau pied.
1997 : premier grand
succès
Cette période de
purgatoire s’achève ainsi le 20 décembre 1997 avec
la sortie du premier grand succès de Feng Xiaogang
« Dream
Factory »
(《甲方乙方》,
c’est-à-dire ‘Partie A, Partie B’). Tourné avec un
budget de six millions de yuans, soit environ
830 000 dollars, le film a au total rapporté six
fois plus. Mais son importance va bien au-delà des
Affiche de Dream
Factory
chiffres : c’est non seulement une étape décisive dans la
carrière du réalisateur, il marque aussi la naissance d’un
genre nouveau
Le film
est le premier tourné par Feng Xiaogang avec Ge You (葛优)dans le rôle
principal, crâne rasé et regard ironique. Sorti au moment
des fêtes de fin d’année, il lance par ailleurs un genre qui
va devenir une mode et, finalement, une tradition
nationale : le hesui pian (贺岁片),
c’est-à-dire les films réalisés pour animer les soirées
familiales des fêtes du Nouvel An, des comédies légères,
réalisées avec des budgets modestes.
Bien
que ce ne soit pas mentionné dans le générique, le scénario
serait adapté d’une nouvelle de Wang Shuo, « Tu n’es pas
quelqu’un d’ordinaire » (《你不是一个俗人》),
mais ce n’est tout au plus qu’un point de départ. Dès ce
premier hesui pian,
Feng Xiaogang déploie les ingrédients qui vont faire le
succès de ses chefs d’œuvre à venir : un humour corrosif et
communicatif d’abord, des scénarios superbement bien
ficelés, et des dialogues aux répliques souvent décalées,
comme les personnages, devenus des classiques du genre.
Les deux acteurs de
Dream Factory
C’était encore en
2008 son film préféré, sans doute parce qu’il lui a
donné beaucoup de mal. Il a en particulier déployé
beaucoup d’efforts pour le promouvoir, parcourant 21
villes en 19 jours pour le présenter dans la Chine
entière. A partir de là, le hesui
pian va
devenir sa marque de fabrique jusqu’en 2003 et sa
consécration internationale avec « Le portable » (《手机》),
et sa reprise dans les chefs d’œuvres de 2008 et
2010.
1997-2003 : la grande période des ‘hesui pian’
« Dream
Factory » amorce une période de cinq comédies du même genre
qui consacrent Feng Xiaogang comme le ‘roi du box office’ (票房之王)
en Chine, titre qu’il ne fera que consolider par la suite,
au fur et à mesure qu’il affinera son style. Les problèmes
ne viendront que lorsqu’il essaiera de le diversifier.
En 1998, « Be
There or Be Square
» (《不见不散》)
reprend le
duo d’acteurs du film de
Xia Gang,
huit ans plus tôt : Ge You et Xu Fan. On
retrouve bien d’autres ingrédients des films
précédents et à venir, avec une intrigue douce-amère
fondée sur un couple qui a du mal à se stabiliser,
et encore l’avion comme élément déterminant de
l’intrigue, mais ici sans hôtesse de l’air.
Le film se passe
dans la communauté sino-américaine de Los Angeles ;
c’est le premier film de Chine populaire à avoir été
tourné aux Etats-Unis.
Après « Sorry Baby »
(《没完没了》)
en 1999, l’année suivante,
« A Sigh » (《一声叹息》)
est tourné à nouveau sur un scénario de Wang Shuo.
C’est l’histoire d’un couple au bord du divorce, le
mari, écartelé entre son attirance pour une jeune
femme et son sentiment du devoir familial et
Affiche de A Sigh
surtout
paternel, faisant son possible pour rester auprès de sa
femme afin de ne pas perturber leur petite fille.
Affiche de Big Shot’s
Funeral
Zhang Guoli (张国立)
interprète le rôle principal et Xu Fan (徐帆)celui de
l’épouse, mais Feng Xiaogang n’a encore trouvé ni le
ton ni le style qui vont faire le succès de ses
films à partir du suivant.
Fin 2001, en effet,
« Big
Shot's Funeral
» (《大腕》)
est une comédie aux accents de satire sociale. Un
réalisateur américain, interprété par Donald
Sutherland, est venu en Chine tourner un remake du
« Dernier empereur », mais, en panne d’inspiration
et en proie au doute, il se voit retirer le projet,
confié à un jeune réalisateur, son nom restant quand
même sur l’affiche, pub oblige. Se sentant mal, il
demande à son cameraman de lui organiser des
funérailles drôles, et meurt. Sur quoi commence une
affaire en or pour ledit cameraman qui se lance dans
un business juteux, en vendant en particulier des
espaces publicitaires pour les funérailles du ‘big
shot’.
Le cameraman est
interprété par un Ge You en pleine forme, la comédie
est déjantée et drôlissime, mais le film reste
inégal. Il rencontre pourtant un succès inattendu :
il récolte 37 millions de yuans au box office,
renouant avec le succès de « Dream Factory ». Mieux,
il est le favori de la critique chinoise et obtient
plusieurs prix aux
Cent fleurs.
C’est un début.
Deux ans plus tard,
en 2003, « Cell Phone » (《手机》)
est une autre
satire,
Big Shot’s Funeral, Ge
You et Donald Sutherland
celle
de l’engouement moderne pour les nouvelles technologies, et
les conséquences que leur développement entraîne au niveau
des relations individuelles ; les téléphones font
aujourd’hui un peu désuet, dans le film, mais le propos est
toujours autant d’actualité.
Affiche de Cell Phone
Pour une comédie,
« Cell Phone » fait à peine rire ; c’est encore une
fois une satire, ici des revers du progrès, un
progrès technologique qui permet à chacun de tromper
bien plus facilement son entourage, mais avec
quelques dangers à la clef pour les négligents qui
laisseraient traîner leur portable.
Les acteurs sont les
mêmes que ceux des films précédents, Ge You, Zhang
Guoli et Xu Fan, auxquels il faut ajouter Fan
Bingbing (范冰冰),
et le scénario est adapté, par l’auteur lui-même,
d’une nouvelle de Liu Zhenyun que le film contribua
à rendre instantanément célèbre (2). Mais Feng
Xiaogang a peaufiné son style, s’est interdit tout
gag exagéré, tout est apparemment lisse et sans
éclat, comme la vie des gens qu’il dépeint.
Cette
fois, les recettes dépassèrent les 50 millions de yuans, le
film rafla les trois principaux prix aux
Cent fleurs, et le film
connut le même succès à l’étranger. Il a été élevé au rang
de classique, bien qu’il ait un peu vieilli. Mais la
séquence introductive est toujours aussi percutante, qui
nous renvoie une vingtaine d’années en arrière, question de
bien apprécier les progrès parcourus par la Chine en si peu
de temps. Les entrées en matière sont une spécialité du
réalisateur.
Le film suivant, en
2004, marque l’apogée d’un style que Feng Xiaogang
ne reprendra que quatre ans plus tard :
« A
World without Thieves »
(《天下无贼》).
D’un monde de menteurs, on passe à un monde de
voleurs, mais sur un ton plus chaleureux, avec un
zest d’idéalisme et de confiance dans la nature
humaine, à travers un personnage naïf dont les
trésors de bonté candide attirent la sympathie et
déjouent les intrigues visant à le dévaliser.
Le personnage de ce
jeune paysan qui revient du Tibet, où il a travaillé
sur un chantier, pour aller se marier dans son
village, les poches pleines de l’argent gagné, est
interprété par un acteur qui se spécialisera ensuite
dans les rôles du même genre :
Wang Baoqiang (王宝强).
Acteur sans formation, il s’était fait connaître
l’année précédente par son rôle dans « Blind Shaft »
(《盲井》)
qui lui avait valu le prix du meilleur
Affiche de A World
without Thieves
nouvel
acteur aux
Golden Horse
[3].Il irradie le film de son sourire benêt. Les autres
personnages sont des rôles de composition d’acteurs
éprouvés, dont Ge You, Li Bingbing (李冰冰)
et un Andy Lau (刘德华)
méconnaissable.
Wang Baoqiang dans A
World without Thieves
Le
scénario est adapté d’une nouvelle, publiée en 1999, d’un
auteur que le film n’a pas élevé à la célébrité : Zhao Benfu
(赵本夫).
Peut-être parce que ses nouvelles sont trop enracinées dans
la culture locale ((地域文化),
mais surtout parce que le film est différent : sa réussite
tient à son humour noir, exprimé dans des dialogues ciselés
qui sont cités comme on cite en Chine des poèmes. Il a
d’ailleurs été couronné du prix du meilleur scénario aux
Golden
Horse awards en 2005.
Andy Lau et Li
Bingbing dans A World without Thieves
eng Xiaogang est
arrivé là à un sommet de sa carrière. Il est le
maître incontesté du
hesui pian, chacun de ses films est un
succès financier, il a la confiance du grand manitou
des studios de Pékin, Han Sanping (韩三平).
Mais, en 2004, les Huayi Brothers (华谊兄弟),
qui avaient créé un label musical en 1994, créent
une filiale dédiée à la production et diffusion
cinématographique, Huayi Media. C’est l’époque où le
cinéma chinois est arrivé au point de son histoire
où il a décidé de rivaliser avec Hollywood et veut
s’en donner les moyens, en le copiant.
C’est
sans doute à l’instigation de la Huayi que Feng Xiaogang se
lance alors dans une autre aventure, sans doute aussi parce
qu’il ne veut pas se laisser enfermer dans un genre et un
style. C’est un virage brutal : le passage à des films
commerciaux à gros budgets.
2006-2007 : Virage en fanfare
Feng Xiaogang va
tourner successivement deux films ambitieux, dans
deux genres totalement différents, dont le premier
se solde cependant par un semi échec commercial.
Aventure ratée : The
Banquet
Le
sigle de Huayi Media
Le
genre choisi pour le premier film, sorti en 2006, est celui
qui a conquis la planète en 2000 avec
« Tigres et dragons » (《卧虎藏龙》) :
le film d’arts
martiaux. Donc, fin des comédies de fin d’année à modestes
budgets : après le hesui pian,
voilà Feng Xiaogang investi dans le wuxia pian (武俠片).
Affiche de Le banquet
« The
Banquet » (《夜宴》)
est un film qui affiche tout de suite son ambition :
il est annoncé comme inspiré, sinon adapté, du
« Hamlet » de Shakespeare ; c’est un drame sur les
thèmes de la vengeance et du destin, situé pendant
une période troublée de l’histoire de la Chine, le
10ème siècle, celle dite ‘des cinq
dynasties et dix royaumes’.
Le film a bénéficié
de tout ce que le cinéma chinois pouvait offrir pour
qu’il soit une réussite, en lorgnant vers les succès
antérieurs du genre ; les scènes de combat, en
particulier, ont été chorégraphiées par le maître en
la matière Yuen
Wu-ping (袁和平),
celui qui
avait signé la chorégraphie de celles de « Tigres et
Dragons ». La photo, somptueuse, est signée Zhang Li
(张黎),
le directeur de la photo des deux films précédents
de Feng Xiaogang, et les acteurs sont évidemment
triés sur le volet, dont Ge You en première ligne
bien sûr.
Le rôle
de l’impératrice, cependant, est interprété par Zhang Ziyi (章子怡)
alors que des actrices plus
mûres, plus adaptées au personnage, avaient été pressenties,
Maggie Cheung en particulier. C’est sans doute pour évoquer
les rôles de l’actrice dans « Tigres et Dragons »,
justement, ainsi que « Hero », de Zhang Yimou. Mais le
scénario a dû être adapté pour « rajeunir » le personnage,
et l’actrice flotte dans son rôle.
Le film est sauvé par la pure beauté des images,
c’est un festin pour l’œil. C’est certainement pour
cela qu’il a obtenu une mention spéciale au festival
de Venise.
Feng Xiaogang et
Yuen Wu-ping recréent la magie du vrai wuxia :
l’irréalité du rêve
[4]. Le
problème est que cela ne colle pas avec le reste
d’un scénario confus qui s’attache, lui, à créer une
fiction historique d’une extrême complexité, et peu
crédible.
Si Feng Xiaogang
était allé au bout de sa
Splendeur des costumes
et des décors
tentative de stylisation du genre,
« The Banquet » aurait pu devenir un chef d’œuvre.
Tel qu’il est, il ne satisfait personne, sauf les fans
inconditionnels de Zhang Ziyi… Sorti aux Etats-Unis sous le
titre « The Legend of the Black Scorpion », il a fait un
‘flop’, comme on dit. Mais on peut se demander quelle est la
part de Feng Xiaogang dans ce film.
Rattrapage : Assembly
Feng Xiaogang a
ensuite abandonné toute stylisation pour en revenir
à un style réaliste prisé du grand public chinois.
« Assembly »
(《集结号》)est un drame
qui retrace un épisode particulièrement sanglant de
la guerre civile chinoise, intervenu en 1948.
Divisé en deux
parties, le film commence par donner une image
hyper-réaliste, à la Spielberg, des combats qui ont
anéanti une compagnie de soldats, sacrifiée pour
sauver l’arrière de l’armée. La seconde partie, plus
dans le style personnel de Feng Xiaogang, retrace la
lutte du commandant rescapé pour faire reconnaître
le sacrifice de ses soldats, et se racheter
lui-même.
Cette seconde partie
est en fait la plus importante, celle qui émeut et
fait du film autre chose qu’un énième film de
guerre. Feng Xiaogang montre là qu’il sait désormais
adapter son
Affiche de Assembly
style à
toutes sortes de scénarios, et en faire des succès auprès du
public comme de la critique.
Chef
d’œuvre :If you are the
one
En 2008, le
réalisateur est enfin revenu au genre où il est
vraiment passé maître, celui de ses premiers
succès : ces comédies dites romantiques mais tout
aussi satiriques qui restent son véritable domaine
d’élection.
« If you are the one » (《非诚勿扰》est un chef d’œuvre
qui a drainé et enthousiasmé les foules en Chine
comme ailleurs, mais le plus étonnant est que le
film a été suivi d’un second, en 2010, intitulé tout
simplement « If you are the
one 2 » (《非诚勿扰2》qui
estpeut-être encore
meilleur que le premier.
L’histoire biaisée
Entre
ces deux comédies, en 2009, est sorti un film sur le
tremblement de terre de Tangshan,
« Aftershock » (《唐山大地震》),
qui prête à controverse par la manière dont le sujet
– encore tabou - est traité : c’est un mélodrame qui
met l’accent sur le drame vécu par une femme et ses
enfants,
Affiche de If you are
the one
lors du
tremblement de terre et dans les années suivantes, en
gommant la responsabilité historique du gouvernement chinois
de l’époque dans la mauvaise gestion de la crise humanitaire
entraînée par le séisme. Le film est tellement lisse et bien
interprété que la plupart des spectateurs sont passés à côté
des défauts du scénario à cet égard.
En
2012, Feng Xiaogang a réalisé un autre film dans la lignée
d’« Aftershock »,
« Back
to 1942 » (《温故1942》),
sur une grande famine qui a ravagé le Henan en 1942, mais
restée inconnue jusqu’à ce que Liu Zhenyun, qui est
originaire de la province, en entende parler et aille
enquêter sur place. Le film est adapté du livre qu’il a tiré
de ses recherches. Là encore, cependant, le scénario est une
manière de charger le Guomingdang de la responsabilité de la
catastrophe, en soulignant sa corruption et sa
non-réactivité face à l’ampleur du désastre. Le film a même
des côtés outranciers, en particulier dans l’image donnée de
l’église catholique, en ligne avec les clichés habituels.
Retour devant la caméra
Personal Tailor
En
2013, Feng Xiaogang est ensuite brièvement revenu vers la
comédie avec « Personal
Tailor » (《私人定制》),
sorti pour les fêtes de fin d’année, mais sans avoir le
succès escompté.
En fait,
le début des années 2000 est marqué par son retour devant la
caméra, avec des rôles montrant quel merveilleux acteur il
est aussi. Ainsi, en 2009, dans « La
Fondation de la République » (《建国大业》),
il a incarné Du Yuesheng (杜月笙),
le boss du Gang vert (青帮)
de la mafia de Shanghai dans les années 1920-1930.
Dans « Let the Bullets
Fly » (《让子弹飞》),
l’année suivante, il interprète avec brio le rôle de
Tang Shiye (汤师爷),
le conseiller de Ma Bangde tué lors de l’attaque du
train au début du film.
Lao Pao'er (Mr Six)
Mais il a étonné tout le monde par son
interprétation du rôle principal dans
« Mr.
Six » (《老炮儿》)
de
Guan Hu (管虎),
rôle de vieux truand à la retraite reprenant du
service pour venir en aide à son fils qui lui a valu
le prix d’interprétation au 52ème
festival du Golden Horse en novembre 2015.
2016 : Pan Jinlian
En
novembre 2016 sort sur les écrans chinois son film le plus
original et le plus subtil dans le fond autant que la
forme :
« I’m not Madame Bovary » (《我不是潘金莲》). C’est une nouvelle satire de la bureaucratie et des mentalités dans
leur ensemble, adaptée d’un roman de 2012 de Liu Zhenyun.
Je ne suis pas Pan
Jinlian
Le film
a obtenu la Coquille d’or au festival de San-Sebastian
tandis que Fan Bingbing (范冰冰)
était couronnée meilleure actrice. Feng Xiaogang a ensuite
obtenu le prix du meilleur réalisateur au 21ème
festival de Toronto ainsi qu’au 53ème festival du
Golden Horse.
2017 : Youth
« Youth » (《芳华》)
est adapté du roman éponyme de Yan Geling (严歌苓)
originellement intitulé « Tu m’as touchée »
(《你触摸了我》).
C’est un roman en grande partie autobiographique qui relate
la vie d’une troupe artistique de jeunes pendant les années
1970 et les trente années qui suivent.
2019 : Only Cloud
Knows
« Only Cloud Knows »
(《只有芸知道》)
est sorti en Chine le 20 décembre 2019, après un
retard de tournage parce que Feng Xiaogang a subi
indirectement les conséquences des attaques contre
Fan Bingbing
[5].
La femme de Sui
Dongfeng (隋东风),
Luo Yun (罗芸),
vient de mourir, le laissant seul en Nouvelle
Zélande, où il vit. Il décide de revenir en Chine,
sur les traces de ses souvenirs et de ses rêves. Le
film est construit en flashback, montrant un jeune
Dongfeng arrivant à Auckland pour apprendre
l’anglais, et gagnant littéralement Luo Yun indécise
à la loterie. Ils se marient, ouvrent un restaurant,
adoptent un chien, la vie passe, mais le restaurant
est détruit par un incendie… Le dénouement ménage un
suspense tout en douceur dramatique.
Feng Xiaogang n’en
finit pas de revisiter le passé, le sien et celui de
sa génération (le scénario, de l’écrivaine
Zhang Ling (张翎),
est adapté d’une histoire vraie). « Only Cloud
Knows »
Only Cloud Knows
peut
être considéré, après « Youth », comme un autre travail sur
la mémoire, avec la même nostalgie. Le réalisateur a
d’ailleurs fait le lien entre les deux films en choisissant
pour son nouveau film deux interprètes du film précédent :
pour le rôle de Sui Dongfeng, l’acteur qui interprétait Liu
Feng, Huang Xian (黄轩),
et pour le rôle de Luo Yun l’actrice qui interprétait Lin
Dingding, Yang Caiyu (杨采钰).
Bande
annonce 1
Bande
annonce 2
2023 : If You
Are the One 3
Treize
ans après la sortie du n°2, Feng Xiaogang a repris
les mêmes acteurs – Ge You
(葛优),
Shu Qi
(舒淇)
et
Fan Wei (范伟)
– pour de nouvelles retrouvailles de Qin Fen (秦奋)
et Liang Xiaoxiao (梁笑笑).
L’inventeur à la
retraite Qin Fen reçoit la visite, dans sa luxueuse
demeure de Sanya, sur l’île de Hainan, de son vieil
ami Fan Wei qui est maintenant à la tête d’une
société d’intelligence artificielle. Après bien des
hauts et des bas, la société a réussi à concevoir
des robots tellement semblables à des êtres humains
qu’on ne peut faire la différence à l’œil nu. Qin
Fen n’a pas vu Xiaoxiao depuis dix ans car elle est
partie « nettoyer la planète » ; mais elle lui
envoie des cartes postales et ils sont toujours
mariés… après leur mariage en 2030 : « If You Are
the One 3 » (《非诚勿扰3》)
se passe en 2031.
Alors, pour ses 70
ans, Fan fait cadeau à son ami d’un robot qui est le
parfait sosie de Xiaoxiao et qui est programmé
If You Are the One 3
pour
lui être parfaitement obéissant, mais pas pour coucher avec
lui. Qin Fen commence à trouver le robot super ennuyeux,
mais sur ces entrefaites, Xiaoxiao rentre de son périple…
mais seulement au milieu du film. Sur cette ligne narrative
principale se « brnchent » un foule de lignes narratives
secondaires avec des personnages drôles et satiriques, mais
aussi … des robots, dont le cuisinier de Qin Fen.
Le film
n’a pas eu beaucoup de succès lors de sa sortie le 30
décembre 2023 ; il semblerait que Feng Xiaogang ait du mal à
se renouveler, dommage, ses acteurs sont toujours aussi
bons.
[2]
La mention même du titre a disparu des catalogues et
biographies du réalisateur.
On le trouve
évoqué brièvement dans « The cinema of Feng
Xiaogang: commercialization
and censorship in Chinese cinema after 1989
», Rui Zhang, Hong Kong University Press, 2008, p.
10.
[3]Sur « Blind Shaft » et l’auteur de la nouvelle dont le film est adapté,
voir :