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« Paradise in
Service », de Doze
Niu, en
ouverture du festival de Busan
par Brigitte Duzan, 05
octobre 2014
Quatrième film de
Niu
Chen-Zer (鈕承澤/钮承泽),
plus connu sous le nom de
Doze Niu,
« Paradise in Service » (《軍中樂園》/《军中乐园》)
a été le film d’ouverture de la 19ème
édition du festival de Busan, le 2 octobre dernier.
Doze
Niu est devenu soudain célèbre après le succès
inattendu de son second film, « Monga » (《艋舺》),
sorti fin 2010. « Paradise in Service » est un film
ambitieux
où il a voulu évoquer la génération de son père. Le
tournage lui a valu un procès retentissant ; il faut
espérer que ce ne soit pas la seule chose qu’on en
retienne.
Un film qui se veut un témoignage sur l’histoire
Les îles Quemoy entre 1969 et 1972
Le film conte l’histoire d’un jeune Taïwanais qui, à
19 ans, doit faire son service militaire ; le tirage
au sort l’affecte à l’un des endroits les plus
dangereux pour le faire : les îles Kinmen, ou
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Paradise in Service |
Quemoy (金门),
non loin de Xiamen, sur la côte sud du Fujian.
Intégrées à la province du Fujian en 1912, les îles ont été
cédées par la République de Chine aux Japonais, et occupées
par eux de 1937 à 1945, puis ont été disputées par Taiwan et
la République populaire. Elles ont été au centre de deux
crises dans les années 1950, confrontation provisoirement
résolue par le soutien des Etats-Unis à Taïwan. Mais la
tension est restée vive.

Doze Niu à la
conférence de presse
en ouverture du
festival de Busan, le 2 octobre |
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Le jeune Pao arrive là en 1969, en pleine guerre
froide. A quelques kilomètres du Fujian, l’île est
soumise à d’intenses tirs d’obus. Déjà désorienté,
Pao est assigné à une unité d’élite amphibie où les
soldats sont traités en sous-humains. Il se lie
cependant d’amitié avec son commandant, qui,
originaire du nord de la Chine, a lui-même été
enrôlé de force dans les armées du
Guomingdang pendant la guerre civile (1945-49) et n’a
jamais revu sa famille.
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Cependant, Pao a une véritable phobie de l’eau qui le rend
inepte au service dans son unité ; il est donc reversé dans
« l’unité 831 », nom de code de l’unité qui gère les bordels
de l’armée taïwanaise. A partir de là, le film délaisse la
fresque historique pour devenir l’histoire de la maturation
d’un jeune garçon et son passage à l’âge adulte, où la
peinture historique passe en lointaine toile de fond.
Evocation autobiographique de toute une génération
Né en 1966, Doze
Niu avait trois ans en 1969. Ce n’est pas de sa génération
qu’il est question dans ce film, mais de celle de son père,
la génération aussi du commandant de l’unité amphibie du
film, campé comme une sorte de figure paternelle symbolique.
C’est une génération de déracinés qui, après leur arrivée à
Taiwan, ont longtemps conservé l’espoir de reconquérir la
patrie perdue, et en ont gardé l’éternelle nostalgie.
En outre, le père de Doze
Niu était atteint de sclérose
latérale amyotrophique. Il est resté paralysé
vingt-cinq ans, avant de mourir en 2002. Ces circonstances
ont certainement avivé encore l’émotion ressentie par son
fils en songeant aux peines subies par son père et sa
génération lorsqu’ils ont été coupés de leurs racines.
En ce sens, on peut voir dans « « Paradise in Service » un
pendant de « Monga », revisitant le passé du père comme
« Monga » revisitait l’adolescence du fils.
Un tournage problématique
La production du film a été retardée lorsque Doze
Niu a été reconnu coupable d’avoir violé les lois
taiwanaises interdisant l’entrée de certaines zones
militaires à des citoyens de Chine continentale.
Le chef opérateur qu’il avait initialement choisi, Mark Lee
Ping-bin,
a dû renoncer au tournage parce que le film de
Hou Hsiao-Hsien (侯孝贤)
sur lequel il travaillait avait pris du retard (1). Doze
Niu a alors engagé Cao Yu (曹郁)
(2).
Or celui-ci est un ressortissant de Chine continentale, il
n’a pas eu l’autorisation de se rendre sur le lieu de
tournage, une base militaire. Doze
Niu l’y a introduit en fraude, en juin 2013, en le faisant
passer avec les papiers d’une autre personne.
Cette histoire rocambolesque a causé un scandale. Doze
Niu a reconnu ses torts en juillet, et risque cinq ans de
prison. En attendant, il a engagé un autre chef opérateur,
le Hongkongais Charlie Lam, et le tournage a été terminé en
décembre 2013.
Le choix du film pour l’ouverture du festival de Busan, en
première internationale, est un soutien de taille. Le film
est sorti en salles à Taiwan, le week-end des fêtes de la
Mi-Automne, et a connu un succès appréciable, bien que
moindre que les attentes du principal producteur, la Huayi
Brothers… Il va sortir à Hong Kong le 9 octobre.
Bande annonce
Note
(1) Le film de wuxia très attendu : “The Assassins” (《聶隱娘》)
(2) Cao Yu a été, entre autres, le directeur de la photo de
Lu Chuan (陆川),
pour « Kekexili » (《可可西里》)
et
« The
City of Life and Death » (《南京! 南京!》).
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