par Brigitte
Duzan, 13 août 2012, actualisé 16 septembre
2016
Aujourd’hui
salué comme un grand maître du cinéma taiwanais, et
du cinéma tout court, Hou Hsiao-hsien a été l’un des
chefs de file les plus importants du mouvement du
Nouveau Cinéma taiwanais, au début des années 1980.
Exil et
quatre cents coups
Hou
Hsiao-hsien (侯孝贤)
est né en 1947 à Meixian (梅县),
dans le Nord-Est du Guangdong, région de population
Hou
Hsiao Hsien
majoritairement
hakka, à laquelle appartenait sa famille.
Mauvais élève mais
cinéphile en herbe
Officier du
Guomingdang, son père fut envoyé à Taiwan en 1948. C’est
donc là que s’établit la famille et que Hou Hsiao-hsien a
grandi, non pas à Taipei, mais dans une petite ville du sud
de l’île : Fengshan (凤山),
aujourd’hui ville satellite de Kaohsiung (高雄).
Il a raconté dans
divers entretiens (1) qu’il était loin d’être un bon élève
et faisait constamment les quatre cents coups. Il cherchait
en particulier tous les moyens possibles pour entrer en
fraude dans les cinémas à côté de chez lui.
Le camélia aux cinq
pétales
Quand il
était enfant, les cinémas de Taiwan permettaient
d’entrer sans payer regarder les cinq dernières
minutes des films, sorte d’opération promotionnelle
appelée « voir la fin des séances » (见戏尾).
Puis, quand il fut collégien, il multiplia les
ruses pour entrer gratis : en passant par-dessus le
mur d’enceinte ou en récupérant des vieux billets
pas trop déchirés.
Cela lui
permit de voir un grand nombre des films en vogue à
l’époque à Taiwan : films d’arts martiaux de Hong
Kong et films japonais, surtout des films de
suspense et d’horreur. L’un de ceux qui l’ont marqué
est le grand classique de 1964 de Nomura Yoshitaro,
« Le camélia à cinq pétales » (五辧の椿
goben no
tsubaki),
une histoire de meurtres en série signés par une
fleur de camélia, avec la jeune Iwahita Shima qui
avait alors dans les seize ou dix-sept ans.
Conscrit puis
étudiant
Après le
lycée, il a fait son service militaire obligatoire,
et continué sa cure cinématographique pendant ses
permissions. A la fin de son service, ses parents et
sa grand-mère étant morts pendant ce temps, il est
allé à Taipei préparer les examens d’entrée à
l’université en faisant des petits boulots. Comme il
n’y avait pas à l’époque d’école du cinéma, il est
entré à l’Université nationale des Beaux Arts de
Taiwan (国立台湾艺术大学),
dans le département théâtre et cinéma.
Il en est sorti en
1972. Mais, comme il était
Lee Hsing à la fin des
années 1970
difficile de trouver d’emblée du
travail dans le cinéma, il a commencé comme vendeur de
calculatrices. Au bout de huit mois, cependant, il a
décroché un job d’assistant réalisateur….. c’était en 1973,
il avait 26 ans.
Débuts de
cinéaste : assistant et scénariste
Comédies populaires
A Heart with a Million
Knots
Le
réalisateur était
Li Hsing (李行),
l’un des principaux réalisateurs des années d’or du
cinéma taiwanais, les années 1960. En 1973, après ce
qui est considéré comme son chef d’œuvre,
« Exécution en automne » (《秋决》),
il était en train de tourner « The Heart with a
Million Knots » (《心有千千结》),
une histoire d’amour typique de l’époque, avec une
chanson encore populaire aujourd’hui.
Début du film avec
la chanson
Ce genre de
films est la base da sa première expérience de
cinéaste : des films populaires, histoires d’amour
romantiques et mélodrames avec l’élément
incontournable de la musique, populaire comme le
reste.
C’est donc
tout naturellement que, quand il réalise ses trois
premiers films, après plusieurs années comme
scénariste et assistant réalisateur, ce sont des
comédies populaires, presque des comédies
musicales : « Cute Girl » (《就是溜溜的她》),
en 1980, est l’histoire d’une jeune fille d'une
famille riche, amoureuse d'un jeune homme de
condition modeste, mais forcée de se marier avec le
fils d'un industriel ; « Cheerful Wind » (《风儿踢踏踩》),
en 1981, est celle d’une jeune photographe qui
rencontre un aveugle, et « Green, Green Grass of
Home » (《在那河畔青草青》),
en 1982, celle d’un nouvel instituteur qui arrive
dans un petit village de montagne.
Green Green Grass of
Home
Ce dernier film,
bien enlevé, en parfait mandarin, avec la pop star Kenny Bee
(钟镇涛
ou
阿B),
est un succès commercial.
Le film (non sous
titré)
Premier scénario
avec Chu Tien-wen
Chen Kunhou
C’est alors
que Hou Hsiao-hsien rencontre la jeune romancière
Chu Tien-wen (朱天文)
avec laquelle il va écrire un premier scénario et
qui va devenir sa scénariste et inspiratrice pour
chacun de ses films (2). C’est un tournant dans son
œuvre comme c’est un tournant dans l’histoire du
cinéma taiwanais.
Hou
Hsiao-hsien est quelqu’un qui a toujours beaucoup
lu. En 1982, il lut dans le magazine United Daily (联合报)
une série de courtes nouvelles publiées sous le
titre « Histoires d’amour » (《爱的故事》),
dont une de Chu Tien-wen qui lui plut beaucoup. Il
avait déjà lu d’autres nouvelles d’elle, ainsi que
des œuvres de son père.
Il la
rencontra dans un café pour lui proposer d’adapter
au cinéma la nouvelle qu’il venait de lire. Chu
Tien-wen avait déjà écrit un scénario de film
télévisé avec Ding Yamin ; elle
suggéra donc de
co-écrire le scénario avec lui. Ils l’écrivirent ainsi à
trois : Chu Tien-wen écrivit la
première
partie, Ding
Yamin la seconde et Hou Hsiao-hsien les reprit pour
en faire l’adaptation cinématographique.
Le film fut
réalisé par Chen Kun-hou (陈坤厚),
intitulé « Growing Up » (《小毕的故事》),
c’est-à-dire ‘l’histoire de Xiao Bi’, et sortit en
1983. Il est considéré comme le film annonciateur du
Nouveau Cinéma taiwanais : il pose en effet les
bases d’un style nouveau et de thèmes narratifs
différents, ancrés dans la réalité quotidienne et
ses problèmes.
Le film a
par ailleurs fait connaître l’acteur
Doze Niu (钮承泽)
qui n’avait alors que 17 ans et interprétait le rôle
de Xiao Bi (3) ; il jouera dans le film suivant de
Hou Hsiao-hsien, assurant une sorte de passage de
relais. Mais le film reste quand même très
conventionnel.
Growing Up
Le film (chinois non sous-titré)
La Nouvelle Vague
taiwanaise
Les débuts
Le mouvement du
Nouveau Cinéma taiwanais est né d’une réaction contre
l’atrophie du cinéma à Taiwan et de la rencontre de
plusieurs personnalités, les unes formées à Taiwan, quelques
autres ayant fait des études aux Etats-Unis, dont Edward
Yang, bien qu’il n’y ait guère étudié longtemps.
Il faut dire aussi
que la situation du cinéma de l’île était catastrophique :
plus personne ne regardait de films taiwanais. C’est le
directeur du principal studio de l’île, le CMPC, qui prit
l’initiative de se tourner vers de jeunes écrivains et
réalisateurs pour insuffler du sang nouveau à un secteur
moribond. Hou Hsiao-hsien fut l’un des plus novateurs.
L’homme-sandwich
Le premier
film qui peut être considéré comme une sorte de
manifeste d’un style nouveau est « L’homme-sandwich » (《儿子的大玩偶》),
film collectif dont Hou Hsiao-hsien a signé la
première partie (33’), celle qui a donné son titre à
l’ensemble, littéralement « la grande poupée du
fils », adaptée d’une nouvelle de Huang Chun-ming (黄春明). Pour gagner sa vie, un jeune homme se grime en
clown pour faire de la publicité pour un cinéma ;
mais, comme cela n’attire pas les clients, il change
pour un panneau publicitaire qu’il promène à vélo.
Mais son fils ne le reconnaît pas sans son
déguisement de clown…
Le film
aborde un sujet neuf, qui va nourrir de vives
controverses, les tensions créées par le rapide
développement économique de l’île, mais traite aussi
des problèmes existentiels et identitaires ; le film
peut se lire comme une satire de la condition de
tout Taiwanais, partagé entre deux identités
conflictuelles, et même plusieurs
si l’on considère
ceux qui ont vécu sous l’occupation japonaise. C’est aussi
un thème récurrent dans l’œuvre de Hou Hsiao-hsien, qui
correspond à une quête à la fois personnelle et nationale.
Extrait de
L’homme-sandwich
Les garçons de
Fengkuei
C’est avec
« Les garçons de Fengkuei » (《风柜来的人》),
en 1983 aussi, que Hou
Hsiao-hsien non seulement poursuit ses recherches
stylistiques, mais aussi met en place avec Chu
Tian-wen la manière dont il va désormais élaborer
ses scénarios : par étapes progressives.
Il avait le
contenu : les souvenirs d’un épisode de sa vie. Le
jeune Ah-Ching et ses amis vivent dans un village de
pêcheurs ; ils ont fini leurs études et, désoeuvrés,
passent leur temps à boire et à se battre jusqu’à ce
que trois d'entre eux décident d'aller à la ville
voisine de Kaohsiung chercher du travail. Ils
trouvent un appartement grâce à un parent, et
Ah-Ching est attiré par la petite amie d’un voisin.
Ils doivent affronter en même temps la dure réalité
de la vie urbaine et celle du passage à l’âge
adulte.
Il lui
restait à trouver la forme, et c’est là qu’intervint
Les garcons de
Fengkuei
Chu Tien-wen. Elle
lui donna à lire l’autobiographie de Shen Congwen (沈从文)
(4) dont les œuvres étaient interdites à Taiwan (et le
resteront jusqu’à la levée de la loi martiale, en 1989). Ce
fut une révélation pour Hou Hsiao-hsien : bien que décrivant sa vie et ses expériences
personnelles, l’écrivain le faisait avec distanciation
froide, « comme s’il regardait tout cela du haut des
cieux », dit Chu Tien-wen.
C’est cette
approche distanciée que Hou Hsiao-hsien adopta pour traduire
ses propres souvenirs sur la pellicule, créant pour cela une
perspective spécifique, en discutant avec Chu Tien-wen. Cet
échange d’idées est ensuite devenu de façon systématique la
partie initiale de l’écriture de ses scénarios, déterminant
une atmosphère générale, complétée par un aller-retour entre
le réalisateur et sa scénariste, le scénario n’étant jamais
totalement acquis, mais au contraire constamment remanié au
cours du tournage.
Avec ce film est
amorcée la « trilogie de l’adolescence ».
La trilogie de
l’adolescence
Cette
trilogie évoque, plus qu’elle ne retrace, les
souvenirs d’adolescence de Chu Tien-wen et du
réalisateur, ainsi que d’un autre de leurs amis,
écrivain puis réalisateur, qui joua un rôle
important dans le mouvement du Nouveau Cinéma
taiwanais, Wu Nien-jen (吴念真).
C’est avec ces trois films que se précise le style
propre à Hou Hsiao-hsien.
1. « Un
été chez grand-père »
(《冬冬的假期》),
en 1984, part d’un souvenir d’enfance de Chu
Tien-wen. Un jeune garçon – le Dongdong (冬冬)
du titre – et sa petite sœur passent les vacances
d’été dans la maison de leurs grands-parents, à la
campagne, pendant que leur mère récupère d’une
maladie. Ils passent leurs journées à grimper aux
arbres, se baigner dans la rivière et partir à la
recherche d’animaux égarés ; ce pourrait être
paradisiaque, mais il leur faut aussi affronter
quelques réalités énigmatiques et vaguement
inquiétantes du monde des adultes.
Un été chez grand-père
(l’affiche japonaise)
Un été chez
grand-père, solitude
Le film
n’est pas adapté d’une nouvelle : la nouvelle de Chu
Tien-wen a été écrite après le film, comme pour
« Les garçons de Fengkuei ». L’écriture du scénario
est partie des discussions sur le sujet entre la
romancière et le réalisateur, participant à
l’élaboration d’un contexte d’idées se fixant
directement en images.
2. « Un
temps pour vivre, un temps pour mourir »
(《童年往事》),
en 1985, revient sur les souvenirs d’enfance de Hou
Hsiao-hsien lui-même. De 1947 à 1960, le film suit
la lente maturation d’un enfant qui doit affronter
l’exil et le déracinement ; l’enfant arrive peu à
peu à s’acclimater à son nouveau pays, mais cela
l’éloigne de sa famille qui conserve l’illusion
qu’ils pourront un jour rentrer « chez eux ».
Le drame
personnel du réalisateur, sa quête identitaire sont
ici illustrés par bribes de souvenirs comme des
bulles remontant du passé. On sent un effet
cathartique.
3.
« Poussières dans le vent »
(《恋恋风尘》), enfin, en 1986, est né de la rencontre avec
Wu Nien-jen (吴念真)
dont les souvenirs recoupent étrangement ceux du
réalisateur. C’est le début d’une longue
collaboration, mais la fin d’un cycle qui
Un temps pour vivre,
un temps pour mourir
constitue comme le portrait des jeunes années d’une génération, et du
pays pendant la même période.
Des bribes de
souvenirs
Hou
Hsiao-hsien a désormais trouvé son style, épuré et
réflexif, lié à un rythme lent, mené par de longs
plans séquences filmés avec une caméra fixe.
L’histoire est évoquée dans la brume de la mémoire,
avec des alternances d’images significatives
émergeant d’un flou savamment préservé.
Hou
Hsiao-hsien est alors découvert par Olivier Assayas
qui le recommande aux frères Jaladeau, organisateurs
du festival des Trois Continents, à Nantes (4).
Primés
à double reprise lors
de ce festival, les deux premiers films font brusquement
connaître Hou Hsiao-hsien
sur la scène
internationale. Le troisième est primé au festival
de Berlin.
La trilogie
de l’histoire
Avec « La
Fille du Nil » (《尼罗河的女儿》),
en 1987, Hou
Hsiao-hsien se ménage une transition, reprend son
souffle pour passer à une réflexion plus axée sur
l’histoire de Taiwan, moins directement
autobiographique, mais toujours aussi personnelle.
1. Cette
nouvelle trilogie commence par le chef d’œuvre
qu’est « La cité des
douleurs » (《悲情城市》),
Lion d'or à la Mostra de Venise en 1989. Hou
Hsiao-hsien a profité de la levée de la loi martiale
pour aborder un sujet jusque là tabou : la
répression sanglante menée par le Guomingdang pour
assurer son pouvoir dans l’île, et en particulier ce
qu’il est convenu d’appeler « l’incident 228 » ou
« massacre du 28
La cité des douleurs
(affiche officielle)
février » (二二八大屠杀) :
réponse brutale à des manifestations des anciens Taiwanais
contre les
La cité des douleurs
(projet d’affiche)
nouveaux venus ; cette explosion des tensions se
prolongea ensuite par la « terreur blanche » (白色恐怖
báisè
kǒngbù)
pendant laquelle des dizaines de milliers de
Taiwanais furent torturés, exécutés ou emprisonnés.
Le film
raconte l’histoire d’une famille décimée pendant
cette période, du grand-père au dernier des
petits-enfants. Pour la première fois, Hou
Hsiao-hsien donne un rôle à un acteur très connu :
Tony Leung Chiu-wai. Son incapacité à parler le
mandarin imposa un rôle muet, exemple type de
l’adaptation des scénarios par HHH, sous l’influence
des circonstances, et qui vient ici renforcer le
caractère dramatique du personnage.
Le film eut
un impact inespéré sur la scène politique, suscitant
un débat public et, in fine, un mea culpa du
Guomingdang….
2. « Le
Maître de marionnettes » (《戏梦人生》),
en 1993, est une réflexion sur l’occupation
japonaise de l’île à travers les souvenirs du
célèbre maître de marionnettes Li Tien-lu (李天禄),
celui qui interprète magistralement le rôle du
grand-père dans « Poussières dans le vent » (《恋恋风尘》).
Là encore,
le film a un effet cathartique, effectuant une
relecture de l’occupation japonaise et de sa
diabolisation officielle, et incitant à une
relativisation des jugements. Il s’agit d’une
poursuite de la quête identitaire,
Le maître de
marionnettes
nationale autant qu’individuelle : après l’acceptation de
l’exil, Hou Hsiao-hsien suggère une acceptation d’un passé
délicat où les individus ont été broyés par la machine de
l’histoire, racontée ensuite par les vainqueurs.
3. Adapté
des souvenirs personnels de la romancière Chiang
Bi-yu qui a participé à l’écriture du scénario, « Good
Men, Good Women » (《好男好女》)
enfin, en 1995, vient établir un pont entre passé et
présent, par le biais d’un film dans le film : une
jeune actrice est harcelée par un inconnu qui lui a
dérobé son journal intime, lui téléphone et lui en
faxe des pages ; mais elle tourne en même temps un
film qui raconte l’histoire d’un couple de jeunes
Taiwanais ayant fait la guerre en Chine
(continentale) aux côtés des communistes et sont
pris dans la terreur blanche en rentrant à Taiwan ;
elle finit par s’identifier à son rôle.
Le film
offre une subtile conclusion (provisoire) à la
réflexion de Hou Hsiao-hsien sur le temps et
l’histoire, opérant un parallèle amer entre
l’engagement de la jeunesse des années 1950 et
l’absence de valeurs doublée d’amnésie de la période
contemporaine.
Good men, good women
Cette
réflexion à cheval sur le passé et le présent
annonce la thématique des films suivants.
Passé et
présent
Deux films
tournés en 1996 et 1998 amorcent un changement
thématique, mais aussi stylistique :
1. « Goodbye
South, Goodbye » (《南国再见,南国》), en 1996, décrit la vie d’une bande de petits malfrats, genre Easy
Driver, la musique tentant de créer un effet
hallucinatoire. La caméra devient mobile, avec de
longs travellings qui suivent les personnages… mais
si les trains peuvent emmener loin, les motos, dans
ce film, confinent à un espace clos, sans espoir ni
échappatoire.
Goodbye, South,
Goodbye
Extrait de
Goodbye South, Goodbye
2.
« Les
fleurs de Shanghai » (《海上花》)
est le chef d’œuvre qui clôt le siècle en revenant
sur un grand classique chinois de la fin du 19ème.
Le film, comme le livre, se passe dans l’univers
feutré, crépusculaire et un rien baroque, d’une
maison close. Il n’était pas question d’adapter le
récit, extrêmement long, même pas d’en choisir des
extraits, mais d’en traduire l’atmosphère : il aura
fallu un an de préparation, mais le pari est gagné.
« Les
fleurs de Shanghai » se présente en fait comme la
re-création de l’univers de l’écrivain par le biais
des souvenirs de lecture et de ce qui en est resté
dans l’imagination du réalisateur et de sa
scénariste, un peu comme
Wong Kar-wai (王家卫)
recréant l’univers de Jin Yong (金庸)
dans
« Les
cendres du temps » (《东邪西毒》).
Et les parallèles avec Wong Kar-wai ne s’arrêtent
pas là…
Les fleurs de Shanghai
C’est
un chef d’œuvre intemporel qui reste à part dans la
filmographie du réalisateur, son film sans doute le
plus ambitieux et le plus profond, mais qui n’a pas
été apprécié à sa juste valeur à sa sortie. Présenté
au festival de Cannes en 1998, il n’a pas eu la
Palme d’or (elle est allée à « L’éternité et un jour
» de Theo Angelopoulos, tandis que le prix du jury
était décerné à « La vie est belle » de
Roberto Benigni), et il
n’a eu que très peu de prix par ailleurs. Il a en
outre été mal reçu et à Taiwan et à Hong Kong. Mais
c’est surtout l’échec à Cannes qui a été un
traumatisme pour Hou Hsiao-hsien. Il lui faudra
beaucoup de temps pour s’en remettre, mais c’est
resté pour lui une voie stylistique sans issue.
3. Le
tournant du millénaire est marqué par un film qui
tente d’analyser la modernité et ses illusions : « Millennium
Mambo » (《千禧曼波》)
est un film sur la Taiwan contemporaine, un film au
rythme plus rapide, qui tente de coller à une vie de
jeunes tournés vers l’action, mais perdus entre
boîtes de nuit et dérive de jour, dans une solitude
qui les condamne à l’incommunicabilité.
Le film a
fait découvrir l’actrice
Shu Qi (舒淇),
mais Hou
Hsiao-hsien ne semble très à
l’aise dans une thématique qui
lui interdit le recul qu’il privilégie. « Millennium
Mambo » reste célèbre pour sa longue
séquence introductive.
Millenium Mambo
Millenium mambo,
séquence introductive
4. Comme
s’il voulait revenir vers des sujets qui lui
permettent la distanciation nécessaire, Hou
Hsiao-hsien a ensuite tourné un film en hommage au
réalisateur avec lequel il a sans doute le plus
d’affinités, Yasujiro Ozu.
Réalisé au
Japon, sur une proposition du grand studio japonais
Shochiku pour le festival commémorant le centenaire
de la naissance du maître, « Café Lumière » (《咖啡時光》)
traite de thèmes récurrents chez Ozu qui sont
proches aussi de ceux de Hou Hsiao-hsien : les
tensions entre générations, et, partant, entre
tradition et modernité.
Encore une
fois, ce n’est pas une imitation du style Ozu, mais
un hommage à l’esprit Ozu. C’est aussi un
approfondissement stylistique : le film est
construit en séquences qui se passent dans le train,
le métro…. Les sons sont directs,
traduisant une volonté de prise sur le réel (5), mais les
personnages
Café Lumière
sont ambigus, contrairement à ceux d’Ozu.
5. En 2005,
« Three Times » (《最好的時光》)
est nominé pour la palme d’or au festival de Cannes.
Il est composé de trois histoires d'amour, en 1966,
1911, et 2005, interprétées par les deux mêmes
acteurs,
Shu Qi (舒淇)et
Chang Chen (张震).
Il
s’agissait à l’origine d’un film omnibus dont les
trois parties devaient être réalisées par trois
réalisateurs différents, mais, les producteurs ayant
échoué à réunir le financement nécessaire, c’est
finalement Hou Hsiao-hsien qui a repris la totalité
du projet, en en faisant une sorte de somme
récapitulative, ou un miroir, de son œuvre, en trois
parties qui sont présentées comme des « rêves » :
- « A
Time for Love » - rêve d’amour - (《恋爱梦》
liànài mèng) est
situé à Kaohsiung in 1966, avec des dialogues en
taiwanais ;
Three Times
- « A
Time for Freedom » - rêve de liberté - (《自由梦》zìyóu
mèng)
est situé à Dadaocheng in 1911, avec des dialogues présentés
seulement sous forme d’intertitres. La jeune courtisane rêve
de liberté en un temps où le pays est sous le joug de
l’occupation japonaise. Le rêve de liberté précède en fait
celui de l’amour.
- « A
Time for Youth » - rêve de jeunesse - (《青春梦》
qīngchūn mèng)
est situé à Taipei en 2005, avec des dialogues en mandarin.
C’est un rêve nostalgique.
Comme l’a dit Roger
Ebert, dans le Chicago Sun-Times : « Tout est photographié
avec une telle beauté visuelle que l’on retient son souffle
en regardant le film, comme l’on fait pour éviter que ne
bouge un papillon… » (ma traduction)
C’est l’un des
films préférés de Jim Jarmusch qui, le commentant, a rendu
un véritable hommage à l’un des grands maîtres du cinéma du
vingtième siècle qui a influencé tant d’autres cinéastes :
Hou Hsiao-hsien is
not only the crowning jewel of contemporary Taiwanese
cinema, but an international treasure. His films are, for
me, among the most inspiring of the past thirty years, and
his grace and subtlety as a filmmaker remain unrivaled. Film
after film, Hou Hsiao-hsien is able to adeptly balance a
historical and cultural overview with the smallest, most
quiet and intimate details of individual interactions. His
narratives can appear offhand and non-dramatic, and yet the
structures of the films themselves are all about
storytelling and the beauty of its variations…
His newest film, Three Times, is also his newest
masterpiece. A trilogy of three love stories, Chang Chen and
Shu Qi beautifully portray Taiwanese lovers in three
distinct time periods…. The first section (in 1966), just on
its own, is one of the most perfect pieces of cinema I’ve
ever seen. The second, set in a brothel in 1911, remarkably
explores dialogue and verbal exchange by almost completely
eliminating sound itself (!), while the final piece leaves
us in present-day Taipei — a city of rapidly changing social
and physical landscapes where technology has a harsh effect
on delicate interpersonal communication. The resonance of
these combined stories, their differences and similarities,
their quietness and seeming simplicity, left me in a near
dream-state - something that only happens to me after the
most striking cinematic experiences.”
6. Le film
suivant de Hou Hsiao-hsien, à l’origine une commande
du musée d’Orsay, est aussi un hommage à Albert Lamorisse :
« Le Voyage du ballon rouge »
(《红气球的旅行》).
7.
Après huit ans de gestation, et le double de
préparation, Hou Hsiao-hsien achève en 2015 le film
de wuxia qui lui tenait tant à cœur depuis si
longtemps :
« The Assassin » (《刺客聂隐娘》).
Le
film est sélectionné en compétition officielle au
68ème festival de Cannes.
Avec ce film, Hou
Hsiao-Hsienrevient aux sources
historiques et littéraires du wuxia, en
offrant sa vision personnelle de l’histoire de l’un
des archétypes les plus anciens de la nüxia.
The Assassin
Notes
(1) Dont un long
entretien avec Michael Berry en avril 2001 (voir
bibliographie)
(5) Voir son
superbe documentaire sur le réalisateur :
« HHH, un portrait
de Hou Hsiao-Hsien »,
réalisé par Olivier Assayas en 1997 dans la série
Cinéastes de notre temps. Collection conçue et
produite par André S. Labarthe & Jeanine Bazin.
Présentation de son
documentaire par O. Assayas, à l’occasion de la projection
du film au centre G. Pompidou - le réalisateur précise les
circonstances fortuites qui lui ont fait découvrir Hou
Hsiao-hsien, le choc de la découverte et, chose peut-être
moins connue, l’influence que HHH a eue sur ses propres
films (il a réalisé son premier film deux ans plus tard) :
(6) Voir la note
d’intention de Hou Hsiao-Hsien pour ce film :
« … Je suis un
réalisateur taiwanais. Même si je suis allé une vingtaine de
fois au Japon au cours de ces vingt dernières années, je n’y
habite pas, j’y suis un étranger. C’est donc instinctivement
que je remarque les particularités du pays et de ses
habitants. Dans mon observation de la vie japonaise,
j’allais prendre un risque considérable : celui de passer à
côté de la réalité. Or, je suis persuadé que la vérité du
quotidien constitue la véritable base du film… »
Filmographie
Trois premiers
films :
1980 : Cute Girl (《就是溜溜的她》)
1981 : Cheerful
Wind (《風兒踢踏踩》/《风儿踢踏踩》)
1982 : Green,
Green Grass of Home (《在那河畔青草青》)
Film de transition
:
1983 :
L'Homme-sandwich (《兒子的大玩偶》/《儿子的大玩偶》) :
film
collectif, épisode La Grande Poupée du Fils
Films
autobiographiques :
1983 : Les garçons
de Fengkuei (《風櫃來的人》/《风柜来的人》)
1984 : Un été chez
grand-père (《冬冬的假期》)
1985 : Un temps
pour vivre, un temps pour mourir (《童年往事》)
1984 : Montgolfière
d'or au Festival des 3 Continents pour « Les Garçons de
Fengkuei ».
1985 : Montgolfière
d'or au Festival des 3 Continents et Prix du jury au
festival de Locarno pour « Un été chez grand-père ».
+ Prix de la
Critique internationale au festival de Berlin pour « Un
temps pour vivre et un temps pour mourir »
1989 : Lion d’or à
la Mostra de Venise pour « La Cité des douleurs ».
1993 : Prix du Jury
au Festival de Cannes pour « Le Maître de marionnettes ».
Bibliographie
sélective
- Hou
Hsiao-hsien, sous la direction de Jean-Michel Frodon,
préface d'Olivier Assayas. Editions Cahiers du cinéma.
Paris, 1999.
- Hou Hsiao-hsien with Chu Tien-wen, Words and Images, in
Speaking in Images, Interviews with Contemporary Chinese
Filmmakers, Michael Berry, Columbia University Press, 2005,
pp. 235-271.
- Hou Hsiao-hsien par Corrado Neri, in Dictionnaire du
cinéma asiatique, sous la direction d’Alain Gombeaud,
Nouveau Monde éditions, octobre 2008.
- The Sinophone Cinema of Hou Hsiao-hsien : Culture, Style,
Voice, and Motion, by Christopher Lupke, Cambria Press 2016.
Review by Frederik H. Green :
http://u.osu.edu/mclc/2016/09/16/the-sinophone-cinema-of-hou-hsiao-hsien-review/
A lire en complément
L'enregistrement de la conférence donnée par Wafa Ghermani à
la Cinémathèque française le 3 mars 2016 sur Hou Hsiao-hsien
et sa représentation de l'histoire.
http://www.cinematheque.fr/video/799.html