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Niu Chen-Zer
(Doze Niu)
鈕承澤/钮承泽
Présentation
par Brigitte Duzan, 06
octobre 2014,
dernière révision 10 novembre 2014
Doze Niu est soudain devenu célèbre lorsque son
second film, « Monga » (《艋舺》),
a battu des records d’audience dans les salles
taïwanaises en 2010. Il en a gardé une aura de jeune
réalisateur à succès, qu’il essaie depuis lors de
dépasser en se faisant appeler Niu Chen-Zer, Mais il
est bien possible que son nouvel avatar n’arrive
jamais à éclipser Doze Niu.
D’acteur à réalisateur
Enfance dorée |
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Doze Niu |
Doze (豆子)
est le surnom que lui ont donné ses amis. Il est né en juin
1966 à Taipei, dans une prestigieuse famille d’origine
mandchoue. Il a grandi dans une résidence de la capitale
taïwanaise où toute la famille vivait ensemble.
Doze Niu avec sa mère |
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Son père était général et avait été enrôlé dans
l’armée nationaliste à l’âge de dix-neuf ans. Sa
mère, Zhang
Qingqin (张青琴),
et sa grand-mère maternelle étaient professeurs de
chinois à l’université. Sa mère écrivait aussi des
livrets de théâtre. Son arrière-grand-père maternel
avait été gouverneur militaire de la région
Shaanxi-Gansu, et frère juré du seigneur de guerre
Feng Yuxiang (冯玉祥).
Le jeune Doze a fréquenté une école privée, puis
fait des études à l’Ecole expérimentale |
d’art dramatique Guoguang (国光艺术戏剧学校),
école qui s’est développée en intégrant la troupe d’opéra de
l’armée nationaliste.
Débuts d’acteur
Doze Niu a commencé une carrière d’acteur en 1975, à
l’âge de neuf ans. Huit ans plus tard, en 1983, il
est nominé aux Golden Horse Awards pour le rôle de
Xiao Bi (小毕)
dans « Growing Up » (《小毕的故事》)
de Chen Kun-hou (陈坤厚),
qui deviendra son scénariste quand le jeune acteur
passera derrière la caméra. Or ce film était réalisé
sur un scénario de
Hou Hsiao-Hsien (侯孝贤)
et Chu Tien-Wen (朱天文)
dont c’était la première collaboration.
Par sa thématique et son style, il annonce le
Nouveau Cinéma taïwanais. Cette même année, Doze Niu
joue aussi dans le premier des longs métrages
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Doze Niu dans le rôle
de Xiao Bi en 1983 |
autobiographiques de
Hou Hsiao-Hsien,
« Les garçons de Fengkuei » (《风柜来的人》),
qui en est l’un des films fondateurs.
Dérive
Le début des années 1980 est une période catastrophique pour
le cinéma de l’île. C’est ce qui motive le désir de changer
de style pour reconquérir le public. Mais Doze Niu ne trouve
plus de rôles. Il mène alors une existence à la Wang Shuo,
traînant dans les rues avec les hooligans du coin, et
apprenant sur le tas le langage le plus courant à Taipei, le
hokkien, qui lui servira plus tard.
C’est une période d’autant plus difficile qu’il vit depuis
l’âge de douze ans dans une situation familiale déprimante.
Son père est atteint de sclérose latérale amyotrophique. Il
a passé près de vingt-cinq ans cloué sur son lit, de plus en
plus paralysé ; quand il meurt, en 2002, il ne peut plus
guère remuer qu’un œil.
Débuts de réalisateur
What on earth have I
done wrong ? |
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C’est justement en 2002, en août, que Doze Niu crée
la société Red Bean Production (红豆制作股份有限公司)
pour produire ses films.
Le premier, une sorte de comédie satirique, n’est
cependant achevé que cinq ans plus tard, et sort en
avril 2008 : « What
on Earth Have I Done Wrong ? »
(《情非得已之生存之道》).
Doze Niu y interprète le rôle principal, ce qui
donne un ton encore plus autobiographique à son
film. Le personnage principal est en effet un
metteur en scène qui tente de réunir assez d’argent
pour pouvoir tourner un documentaire satirique, ce
que Doze Niu appelle "mocumentaire" (伪纪录片).
De même, il a lui-même initialement conçu son film
comme une satire de la politique taïwanaise, mais il
en a ensuite fait une fiction axée sur la peinture
de caractère.
Le film est a été nominé au festival du Golden Horse
et a |
obtenu un prix FIPRESCI. Doze Niu est lancé.
Monga et après
Monga
Il réalise ensuite un film basé sur ses souvenirs
d’enfance et d’adolescence, qui est acclamé quand il
sort, en février 2010, et devient un immense succès
commercialqui détrône Avatar à Taiwan :
« Monga »
(《艋舺》).
Il s’agit d’une histoire de gangs pendant les années
1980, dans l’un des plus vieux quartiers de Taipei,
le district de Wanhua (萬華區),
appelé Monga en taïwanais. Histoire de rivalités et
de luttes entre clans, c’est aussi une histoire qui
fait la part belle à la chaleur de l’amitié, avec
une nostalgie perceptible dans l’évocation des
années de jeunesse. Doze Niu y déploie son talent de
conteur, et son art de rendre l’esprit du lieu, avec
en particulier des dialogues en hokkien.
« Monga »
est interprété par de jeunes acteurs que le film a
rendus célèbres, dont Ethan Ruan (阮經天)
et Mark Chao (趙又廷).
Comme à son habitude, Doze Niu aussi joue dans le
film, le rôle du chef d’un gang de Chinois du
continent. |
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Monga |
Le film est le premier de l’histoire du cinéma taïwanais à
avoir engrangé plus de cent millions de nouveaux dollars
taïwanais en seulement six jours. Sa notoriété gagne la
Chine continentale quand il est présenté au 13ème
festival du cinéma de Shanghai, en juin 2010.
« Monga »
devient le modèle du film à budget modeste capable de lutter
contre les grosses productions, grâce à un scénario apte à
émouvoir son public en évoquant des souvenirs du passé
récent, plutôt qu’en misant sur des têtes d’affiche
prestigieuses et une pléthore d’effets spéciaux.
Love
Love |
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Après « Monga », Doze Niu réalise « Love » (《爱》)
qui a la teinte acidulée des couleurs du titre, au
générique et sur les affiches. Sorti en février
2012, le film dépeint les relations de quatre
couples, et il est interprété par Doze Niu lui-même
et ses acteurs désormais fétiches Ethan Ruan, Mark
Chao et Amber Kuo, plus des célébrités de Chine
continentale et de Taiwan, dont
Shu Qi (舒淇)
et
Zhao Wei (赵薇).
Le scénario déroule trois fils narratifs mêlant huit
personnages liés entre eux, et se veut un petit
parcours dans leurs histoires sentimentales
entrecroisées. Le jeu des acteurs a été pour
beaucoup dans le succès du film à Taiwan et en Chine
continentale. « Love » a été présenté dans la
section Panorama du festival de Berlin 2012, mais
sans éveiller un grand intérêt. |
Paradise in Service
Signant désormais Niu Chen-Zer comme pour affirmer
une personnalité différente, Doze Niu revient sur le
devant de la scène en 2014, avec un nouveau film
présenté début octobre en
ouverture du 19ème festival de Busan :
« Paradise
in Service »
(《軍中樂園》).
Il s’agit d’un nouveau volet de son évocation du
passé, cette fois celui de la génération de son
père. Le film se passe entre 1969 et 1972 dans l’île
de Quemoy, territoire que se disputent Taiwan et la
Chine communiste. Le scénario, de Chen Kun-hou,
conte l’histoire d’un jeune de dix-neuf ans qui doit
y faire son service militaire et se retrouve dans
une unité en charge de la surveillance du bordel de
l’armée dans l’île, la fameuse unité 831.
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Paradise in Service |
Le film bénéficie à nouveau d’une excellente interprétation,
avec l’acteur fétiche de Doze Niu, Ethan Ruan, dans le rôle
principal, mais sans la participation de Doze Niu lui-même :
il a juré de ne plus jouer dans ses films pour se concentrer
sur la mise en scène.
C’est Mark Lee Ping-bin qui devait en signer la
photographie, mais il dut y renoncer, le film de
Hou Hsiao-Hsien sur
lequel il travaillait ayant pris du retard. Son remplacement
par Cao Yu (曹郁)
a entraîné des complications dues aux règles de sécurité
militaire l’empêchant d’accéder à la base où était prévu le
tournage.
La tentative de le faire
passer avec des faux papiers s'est soldée par un procès
retentissant et un tollé général. Finalement, un troisième
chef opérateur a terminé le travail, et le tournage a pu
s’achever fin 2013.
Le film a sans doute souffert de ces contretemps. Il
commence à un rythme d’enfer qui rappelle « Monga » pour
s’enliser quelque peu, dans la seconde partie, dans un mélo
sentimental qui tient plutôt de « Love ». On y perd
l’évocation de la génération du père qui était le plus
intéressant et le plus profond.
Doze Niu a encore du travail à faire pour dépasser
« Monga ».
Condamnation
Finalement, on a appris le 10 novembre 2014 que le
réalisateur a été condamné par la cour de Kaohsiung pour
avoir violé la réglementation sur les Zones de haute
sécurité de Taiwan. Le verdict est assez lourd : cinq mois
de prison, avec un sursis de deux ans, plus 60 heures de
service social, et une amende de 19 600 dollars US.
Après avoir présenté son film, en octobre 2014, au festival
de Busan où il avait été sélectionné comme film d’ouverture,
Doze Niu n’est pas rentré à Taiwan ; il pourrait être arrêté
si jamais il le faisait.
Quant au film, il a souffert du scandale, et du boycott
auquel avait appelé la Marine. Pour un budget de 8,3
millions de dollars US, il n’a fait que 790 000 dollars de
recettes après sa sortie à Taiwan et il est peu probable
qu’il puisse sortir sur le Continent dans ces conditions.
Voilà une affaire qui risque bien de couper les ailes du
réalisateur et de grever sa carrière pendant longtemps.
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