|
Lu Shengzhang
路盛章
Présentation
par Brigitte Duzan, 05 septembre 2014
Professeur à l’Université des Communications de
Pékin, Lu Shengzhang (路盛章)
a réalisé en 2005 un court métrage intitulé « La
Muraille » (《墙》),
qui renouait, tout en la renouvelant, avec la
tradition artistique des films d’animation des
Studios d’art de Shanghai.
Le succès du film fit un temps penser que Lu
Shengzhang amorçait là un mouvement prometteur,
capable de lutter contre la banalisation du cinéma
d’animation chinois, il n’en fut rien…
Lu Shengzhang : publiciste et professeur
Lu Shengzhang est né en septembre 1946 à Zoucheng
dans le Shandong (山东邹城).
Il sort en 1982 diplômé de ce qui est aujourd’hui
l’Ecole des Beaux-Arts de l’université Qinghua (清华大学美术学院),
section sculpture et arts décoratifs.
Il devient alors publiciste. Il est aujourd’hui directeur
général |
|

Lu Shengzhang |
adjoint de l’association des entreprises publicitaires
chinoises, et il est très actif dans le domaine.
C’est en 1993 qu’il entre à l’Université des Communications
de Chine, à Pékin (中国传媒大学),
comme professeur du département de la publicité. De 2001 à
2005, il a été, au sein de l’Université, directeur de
l’Institut du film d’animation (动画学院院长),
institut d’étude créé au sein de l’Université des
communications en 2001, avec des axes de recherche, en
particulier, sur les techniques numériques, les jeux vidéo
et les modes de diffusion sur internet. Cette promotion en
2001 lui sembla un rêve : il passait du secteur le plus
commercial imaginable, à l’art pur, dégagé des contraintes
liées au service du client.
Il est devenu une sommité dans le domaine de l’animation, et
accorde une grande importance à l’enseignement. Il participe
à de nombreux jury de festivals de films d’animation depuis
1998, et a été membre, par exemple, de celui du festival
d’Annecy en juin 2006.
Mais, s’il est devenu célèbre, c’est grâce au film qu’il a
réalisépour les Jeux olympiques de Pékin.
Le film de promotion des mascottes olympiques
|

Les mascottes
olympiques (le film) |
|
C’est lui en effet qui a été choisi pour réaliser le film de
promotion des mascottes des Jeux olympiques, les célèbres
fuwa (福娃)
– ainsi que le film
promotionnel des Jeux paralympiques, également avec les
mascottes (《北京2008奥运吉祥物宣传片》
et
《北京2008残奥会吉祥物宣传片》).
Lu Shengzhang a été désigné en juin 2005 pour diriger le
projet d’animation des fuwa; le film, et les
mascottes, ont été dévoilés en novembre : il représente donc
quatre mois de travail. Lu Shengzhang a travaillé avec son
épouse Zhou Ping (周苹),
qui est et peintre et professeur d’art à l’Institut du
cinéma de Pékin ; pour le film, leur fille est même revenue
pendant les vacances, de France où elle est étudiante à
Paris 8 ; elle aussi travaille sur les films d’animation, sa
spécialité étant les papiers découpés. C’est elle et
quelques étudiants de son père qui ont réalisé les papiers
découpés qui ont servi pour le décor du film. L’équipe
entière comprenait 53 personnes.
Le film de promotion des mascottes
Ces films ont eu un énorme succès, et ont fait du
réalisateur un personnage en vue. Mais, s’il a été choisi,
c’est grâce au court métrage d’animation qu’il a réalisé en
2005, moins connu hors des cercles spécialisés, mais bien
plus intéressant.
La Muraille : un film qui aurait pu marquer le renouveau du
film d’animation en Chine

La Muraille
(générique) |
|

La Muraille |
Ce film, c’est « La Muraille » (《墙》),
auquel il a commencé à penser dès 2000, quand il a été
assigné à la création de films d’animation au sein de
l’université. Il a voulu donner vie à un souvenir d’enfance,
et évoquer le vieux Pékin, tout en rendant hommage à sa
mère.

Les vestiges (en
partie reconstruits) de la muraille de Pékin |
|
Enfant, il habitait dans le quartier de
Dongbianmen (东便门),
où se trouve aujourd’hui un site historique
préservé, le Parc des vestiges de la muraille Ming
de Pékin (明城墙遗址公园).
Aujourd’hui il n’en reste que cette infime partie,
mais, quand il était petit, elle était encore
intacte (1) et il aimait l’escalader avec ses
camarades. Pour lui, elle était à l’image de sa
mère : elle protégeait la ville comme sa mère le
protégeait. Alors, en regardant la muraille, il a
pensé à une histoire. Il a dessiné un story board et
a écrit l’histoire du film. Une histoire dédiée à sa
mère, d’où le |
titre entier du film : « La
Muraille -- en hommage à ma mère » (《墙——献给母亲》).
|

La mère, l’enfant et
l’oiseau |
|
L’histoire est toute simple : celle d’un enfant
espiègle qui joue aux billes avec ses copains au
pied de la muraille. Passe un bel oiseau bleu :
l’enfant fasciné le pourchasse jusqu’en haut de la
muraille ; mais, une fois grimpé là, il rate une
pierre et se retrouve suspendu par les mains, sans
savoir comment se tirer d’affaire. Une enfant va
chercher sa mère qui, une fois passée sa première
frayeur, le guide patiemment de pierre en pierre
jusqu’en bas… où elle l’accueille pour lui donner
une bonne fessée. |
|

La fessée |

Jiang Anqing |
|
Lu Shengzhang a commencé la conception de son court
métrage en 2001 ; en 2004, il a dessiné quelques
esquisses, les a modifiées, a fini les peintures
avec sa femme, puis les a filmées. Ce fut un
processus long et pénible. C’était sa dernière année
de travail à l’université, il a mis deux mois à
tourner le film, en 2005. Mais le résultat est une
œuvre très personnelle, d’une grande beauté
plastique, qui est une véritable peinture animée, au
sens où l’on parle des lavis animés de
Te Wei (特伟)
qui est son maître et modèle (2).
On y retrouve l’atmosphère des ruelles du vieux
Pékin, au pied de la muraille, dans des teintes
impressionnistes qui sont celles du souvenir… Même
la musique a la douceur effacée qui convient, elle
est signée Jiang Anqing (蒋安庆),
maître de conférence à l’Université des
communications (3). |
La Muraille (10’39)
Le comité des Jeux Olympiques a dit à Lu Shengzhang: tu sais
parler du vieux Pékin, pourquoi ne parlerais-tu pas du
nouveau Pékin ? Porté par la vague, Lu Shengzhang rêva qu’il
pourrait donner un nouveau départ au cinéma d’animation
chinois, en revenant aux traditions et arts nationaux, comme
lors de ce que l’on considère comme l’âge d’or du cinéma
d’animation chinois : les années 1950 et début 1960. Un
cinéma fondé sur la culture populaire et les arts nationaux,
qui puisse lutter contre la tendance à l’imitation vulgaire
du Japon ou de l’Amérique en pensant pouvoir ainsi s’armer
contre leur concurrence :
« 不过我们不能完全学日本、学美国,我也觉得日本的动画非常好,但是我不喜欢同学们一出手全是日本的,艺术贵在有个性、差异化,文化一定要多元化。我认为文化不能够接轨,你一接轨就全一样了,经济全球化可以,但是文化艺术不可以,艺术就应该不一样。 »
« On ne peut pas totalement se mettre à l’école du Japon, de
l’Amérique ; je trouve que les films d’animation japonais
sont excellents, mais je n’aime pas voir mes concitoyens
adopter un style entièrement japonais ; la valeur de l’art
est fondée sur son originalité, sa différence, car la
culture doit préserver la diversité. Je pense qu’elle ne
peut être uniformisée ; l’économie peut être mondialisée,
l’art et la culture ne peuvent l’être … »
Au lendemain du succès fantastique de son court métrage,
dans le monde entier, il pensait que « La Muraille », malgré
sa longueur relativement brève, était un pas dans la bonne
direction, et il appelait une action de la part du
gouvernement…
L’action est bien venue, mais dans le sens diamétralement
opposé : en privilégiant des formes étrangères, sous couvert
de modernité, et la 3D à outrance. « La Muraille » est resté
un film isolé, sans suite et sans descendance.
Note
(1) Ce qui restait des murailles de la capitale à la
fondation de la République populaire a commencé à
être démantelé au début des années 1950, sous le
prétexte qu’elles gênaient la circulation. Mais,
comme il y avait une forte opposition à leur
démantèlement, il faudra attendre la fin du Grand
Bond en avant(1961) pour que le mur de la cité
extérieure soit totalement rasé et que la muraille
de la Cité intérieure soit réduite de moitié.
(2) On remarque d’ailleurs au début du film ce qui
semble être une évocation de ses têtards.
(3) Jiang Anquing est également le compositeur
|
|

Les têtards à la
recherche de leur mère (Te Wei, 1960) |
de la musique du premier long métrage de
Chen
Zhuo (陈卓)
« Song of Silence » (《杨梅洲》).
|
|