par Brigitte Duzan,
14 octobre 2010,
actualisé 27 mars 2019
Li Shaohong (李少红) a
fait l’objet d’un véritable lynchage médiatique à
l’automne 2010 pour une série télévisée qu’elle a
réalisée, et qui est sortie en juillet 2010 sur les
chaînes de la télévision chinoise, puis en septembre
sur les chaînes satellites : « Dream in Red Mansions
».
Elle s’était pourtant
fait un nom, auparavant, grâce à des films
d’avant-garde originaux sur lesquels il est bien
plus intéressant de revenir.
Une série
conspuée par une avalanche de critiques
Ce « Dream
in Red Mansions » n’est
autre qu’une nouvelle adaptation télévisée, en
cinquante épisodes, du grand classique « Le rêve
dans le pavillon rouge » (《红楼梦》Hónglóu
Mèng). Produite par Han Sanping, c’est l’une des séries les plus chères de la
télévision chinoise : 118 millions de yuans, soit
environ 17,5 millions de dollars.
Li Shaohong
Le nouveau Hongloumeng
La série
devait initialement être réalisée par
Hu Mei
(胡玫), la réalisatrice du récent « Confucius ». Or, le principal
investisseur, Central
Motion Pictures, décida d’organiser un grand show
télévisé pour sélectionner les acteurs en faisant
voter le public. Hu Mei protesta en disant qu’elle
se réservait de revenir sur le choix qui serait
fait, sur quoi le producteur déclara que, si la
réalisatrice n’était pas contente, ils en
changeraient. Ce qui fut fait effectivement, en
octobre 2007 : Hu Mei fut remplacée par Li Shaohong.
De toute évidence, elle n’a pas eu totale liberté
d’action.
Durant
trois mois, les critiques les plus virulentes n’ont
pas cessé, en particulier de la part des
spécialistes du roman, et sur internet. Les premiers
sont outrés du traitement des personnages, de
l’inexpérience des acteurs, et des choix esthétiques
en général.
Les
critiques non littéraires se focalisent surtout sur
les costumes et les maquillages. Ceux-ci sont
accusés d’uniformiser les personnages, au lieu de
les individualiser, mais ce sont les coiffures qui
suscitent les pires diatribes ; adaptées de l’opéra
kunqu pourtant à la mode, elles font aux
actrices, dit-on, des « têtes qui ressemblent à des
pièces de monnaie en cuivre » (铜钱头).
L’atmosphère, disent aussi ces critiques, serait
plutôt celle d’un film d’horreur ou de fantômes, en
particulier à cause de la musique et des
Les coiffures dans Le
nouveau Hongloumeng
éclairages. Le roman, dit l’un d’eux, compare la vie à un
rêve, pas à un cauchemar.
Li Shaohong en pleurs
lors de la présentation de la série à la presse
On reproche
enfin au film le choix stylistique du ‘voice over’ :
une voix d’homme récite des passages entiers du
livre, d’une voix forte qui domine parfois les
dialogues. Les puristes trouvent le procédé
grossier, et néfaste car cela tue l’imagination,
empêchant de se faire sa propre image de l’œuvre.
Peut-être, ajoute un autre, est-ce la raison pour
laquelle les acteurs ne se donnent pas beaucoup de
peine pour jouer. Tout est dit…
Ployant
sous l’avalanche de critiques, Li Shaohong a
‘craqué’ lors de la présentation de la série à la
presse, le 7 juillet, jour de son anniversaire, et
s’est effondrée en pleurs.
Le problème
est que tout le monde est resté avec en tête les
images de la précédente série, réalisée en 1987, qui
a été un succès sans précédent. Mais cette
précédente adaptation avait été elle-même
fraîchement accueillie au début, avant de devenir le
succès qu’elle a été. Il faut donc peut-être
laisser
le temps faire son œuvre, et les esprits s’habituer à une
nouvelle vision de l’œuvre. Comme tous les grands
classiques, comme les grands opéras aussi, « Le rêve dans le
pavillon rouge » est une œuvre qui suscite aussitôt la
controverse dès qu’on y touche.
Les cinquante
épisodes pour ceux qui veulent ‘réviser’ leurs classiques :
Oublions
« Dreams in Red Mansions » et revenons-en aux
réussites d’une réalisatrice qui ne mérite pas autant
d’opprobre.
Réalisatrice de la cinquième génération
Li
Shaohong (李少红) est née en 1955 et s’est enrôlée
dans l’armée en 1969, à tout juste quatorze ans. En
1978, elle est entrée à l’Académie du film de Pékin,
dans le département de mise en scène et fait donc
partie de la cinquième génération de réalisateurs,
celle sortie en 1982.
Après avoir
été, en 1983 et 1984, assistante réalisatrice sur le
tournage de trois films, dont « Bao,
père et fils »(《包氏父子》)
et « Un
héritage » (《清水湾,淡水湾》),
réalisés par
Xie Tieli (谢铁骊),
elle a réalisé son premier film en 1988 :
« The Case
of the Silver Snake » (《银蛇谋杀案》).
Bloody Morning
Family Portrait
Son deuxième film, « Bloody
Morning » (ou « Un matin couleur de sang » 《血色清晨》), sorti en
1992, a remporté le grand prix du festival des Trois
Continents de Nantes. Le film est un drame villageois où la
victime est l'instituteur d’un village très pauvre du nord
de la Chine, le seul
intellectuel au milieu de
paysans dont l'existence est limitée à la lutte quotidienne
pour la survie.
Le film est annoncé comme étant adapté du roman de García
Márquez « Chronique d’une mort annoncée », mais il s’agit
plus d’une inspiration que d’une adaptation stricto sensu ;
ce que Li Shaohong a adopté du roman, c’est surtout la
construction narrative ; le meurtre est annoncé au début,
puis la réalisatrice, comme l'écrivain, cherche à en
expliquer les mobiles en reconstituant les faits à partir
des souvenirs et témoignages morcelés des villageois. Le
film devient alors une peinture de la société rurale, avec
ses coutumes et ses superstitions.
Le film (non sous-titré)
Son troisième film, « Family
Portrait » (《四十不惑》), sorti en 1993, a remporté le prix du
jury au festival de Locarno. « Blush » (《红粉》), en 1995, puis
« Baober in Love » (《恋爱中的宝贝》) en 2004 et « Stolen Life »
(《生死劫》), les deux derniers avec Zhou Xun (周迅), ont ensuite
contribué à la faire connaître du grand public.
Elle est
par ailleurs l’épouse du chef opérateur Zeng
Nianping (曾念平)
qu’elle a connu à l’Académie du film de Pékin où il
était assistant réalisateur quand elle était
étudiante, et qui a signé la photo du « Red
Elephant » (《红象》)
de
Tian Zhuangzhuang (田壮壮)
en 1982, l’un des premiers films de la cinquième
génération…
Baober in
Love
C’est
surtout « Baober in Love » (《恋爱中的宝贝》)
qui représente un tournant dans la carrière de
Li Shaohong. Avec
ce film, elle a abandonné son premier style,
esthétique et léché, pour aborder le réalisme
magique, tentant de rendre l’image d’un monde en
changement tellement rapide que tout semble en
miettes et qu’il est difficile de s’adapter en
préservant une vie spirituelle et morale.
Baober in Love
Zhou Xun et Chen Kun
Baober est
née en 1979, au début de la politique d’ouverture.
Elle a une imagination fertile et une vitalité
débordante. Adolescente, elle voit sa ville en plein
chamboulement, sa maison détruite pour construire un
immeuble. Elle découvre alors une vidéo d’un homme
qui confesse que la vie pour lui a perdu toute
signification ; elle décide de le trouver pour lui
faire aimer la vie et sauver son âme ; mais il lui
faut lutter pour préserver son idéalisme et
continuer à voir la beauté dans les endroits les
plus inhabituels.
Baober,
c’est Zhou Xun (周迅)
aux côtés
de Chen Kun (陈坤), une Zhou Xun survoltée, électrisante, qui fait croire parce qu’elle
se l’est fait croire que les lendemains seront roses
sinon rouges ; Baober, c’est une photographie
superbe et une postproduction léchée (faite en
France) ; Baober est un film étonnant.
Zhou Xun
Interviewée
à la sortie du film, la réalisatrice avouait subir
des tensions entre sa vie familiale et sa vie
professionnelle. Selon elle, la profession n’est pas
tendre envers les femmes : une réalisatrice qui ne
tourne pas pendant deux ans est oubliée… d’où la
pression ressentie, qui l’a sans doute incitée à
accepter la proposition de Han Sanping et à
remplacer Hu Mei sur un tournage difficile.
Alors que
ses pairs l’ont élue début janvier 2012 à la
présidence de l’Association des réalisateurs
chinois, la profession semble vouloir ainsi
reconnaître ses qualités et rendre hommage à sa
carrière.