Mi Jiashan est un réalisateur essentiellement connu
pour son film de 1988 « The Trouble-shooters » (《顽主》)
qui, adapté d’un roman de Wang Shuo, annonce les
films de la décennie suivante ironisant sur les
débuts de « l’économie culturelle » et de la
recherche du profit dans un secteur dont l’objet
essentiel n’est pas forcément d’en réaliser.
Etudes pendant la Révolution culturelle
Mi Jiashan (米家山)
est né en mai 1947 dans le Shanxi. En 1968 il va
travailler dans une
Mi Jiashan
ferme dans le Sichuan et, pendant les années 1970 de la
Révolution culturelle, est admis à l’université
Song in the Whirlpool
du Shanxi, dans la section des Beaux-arts. A la fin
de ces premières études, en septembre 1975, il est
affecté au studio Emei (峨眉电影制片厂),
au Sichuan, comme directeur artistique assistant. Il
y coécrit avec Liu Zinong le scénario d’un film
sorti en 1981, « Song in the Whirlpool » (ou « Chant
dans le tourbillon » (《漩涡里的歌》),
coréalisé par Liu Zinong et Wu Lan (刘子农、乌兰).
Puis, de 1983 à 1985, il étudiela réalisation à
l’Institut du cinéma de Pékin et, à sa sortie,
revient au studio Emei où il commence par réaliser
deux films télévisés.
Il fait ensuite ses véritables débuts de
réalisateuren coréalisant avec Han Sanping (韩三平)
le film « Horizon sans fin » (《不沉的地平线》)
sorti en 1987.
The Trouble-shooters
L’année suivante, son premier film réalisé seul le
rend célèbre: c’est « The Trouble-shooters » (《顽主》)
qui arrive comme un ovni dans le paysage
cinématographique chinois de l’époque.
« The Trouble-shooters » est sans doute le plus
fidèle des quatre films adaptés de Wang Shuo (王朔),
tous en même temps, fin 1988-début 1989, ce qu’on a
appelé la « fièvre Wang Shuo »
[1].
Le succès du film tient d’abord à un scénario qui
reprend jusqu’aux expressions typiques de l’auteur,
basées sur l’argot des rues de Pékin, l’autre atout
du film étant ses interprètes: les acteurs
Zhang Guoli (张国立),
Ge You (葛优)
et Liang Tian (梁天),
et les actrices Wang Xiaoqing (马晓晴)
et
Pan Hong (潘虹)
[2].
L’histoire est celle d’un trio de jeunes qui montent
une société pour faire de la promotion d’œuvres
littéraires populaires, et commencent pour cela par
créer un prix, en organisant pour le lauréat un show
digne du gala de fin d’année de CCTV.
The Trouble-Shooters,
avec Zhang Guoli
(en haut), Ge You (à
dr.), Liang Tian (à g.) et l’actrice Wang Xiaoqing
en bas
Ce que le film annonce, en s’en moquant, c’est le début, en
Chine, de « l’industrie culturelle » qui va se développer
dans les années 1990 mais émerge déjà à la fin des années
1980. L’épisode du prix littéraire, dans le film, est une
satire de la distinction entre haute et basse culture, la
seconde étant montée en épingle pour les profits que l’on
peut en escompter – ce qui est doublement ironique, car Wang
Shuo est l’un de ceux, justement, qui ont promu une
littérature dénoncée comme vulgaire et en ont profité.
Mi Jiashan à la sortie
du film avec quatre
des interprètes de
Trouble-Shooters
Dans le film, l’auteur n’en a pas du tout honte de
ce qu’il écrit, mais il rêve de la reconnaissance
des pouvoirs en place, et des critiques en premier
lieu. Son nom même – Zhiqing (知青)
- évoque ironiquement les « jeunes instruits » de
retour en ville dont les œuvres s’inscrivent dans le
très sérieux mouvement de « recherche de racines » (寻根文学)
alors à la mode.
Les pseudo trois entrepreneurs brouillent encore les
frontières et les pistes en organisant un défilé de
mode – typiquement
consumériste et nouveau à l’époque - dans le cadre de la
cérémonie du prix littéraire, en faisant défiler des
personnages d’opéra traditionnel et du théâtre moderne.
Après quoi ils s’intéressent au cinéma. Yu Guan (于观),
interprété par Wang Xueqi, prend un job de stuntman, en
risquant sa vie pour faire un film « aussi bien que ceux de
Hong Kong ». Autre clin d’œil, vers le cinéma populaire
cette fois.
Mais - contrairement à Wang Shuo – les trois
trublions (d’où le titre) n’arrivent pas à tirer des
profits de leurs entreprises. Ils font faillite et
finissent sans emploi. Tout rentre dans les normes.
La résistance aux changements de modes de vie est
soulignée dans la chanson du film, par le chanteur
de rock et futur producteur Wang Di (王帝):
je rêvais d’une vie urbaine moderne, mais je ne
sais plus où j’en suis // il y a de plus en plus de
gratte-ciel, il est difficile de vivre ici…
Mi Jiashan emprunte à Wang Shuo ses personnages,
leur langue déliée, leur attitude rebelle, mais on
ne sent pas chez lui la sympathie du romancier pour
ces jeunes qui sont ses alter
Mi Jiashan avec Pan
Hong
ego. Mi Jiashan ne vient pas du même milieu, son ironie est
grinçante.
The Trouble-shooters
Le film a catapulté Mi Jiashan au rang des réalisateurs
pleins de promesses, comme il a également propulsé
Ge Yousur le devant
de la scène, mais, un peu comme dans le film, ce n’est pas
Mi Jiashan qui va profiter de ses retombées. C’est
Feng Xiaogang (冯小刚)
qui va reprendre le thème, et l’association avec Wang Shuo:
son « Dream Factory » (《甲方乙方》),
en 1997, reprend les principaux éléments du scénario de
« Trouble-shooters », de même que
« Big
Shot’s Funeral » (《大腕》),
en 2001, est une version actualisée et transposée en
funérailles du grand show du prix littéraire, avec un Ge You (葛优)
éblouissant, devenu emblématique.
Finalement, « The Trouble-shooters » apparaît comme l’image
même de la carrière de Mi Jiashan : une bonne idée dont il
n’a pas su, ou pu, profiter. Le film semble même avoir été
désastreux pour son mariage….
Un réalisateur à la recherche de lui-même
Cradle on Wheels
En 1990, il réalise un film policier, « Enigma at St
Paul’s Hospital » (《圣保罗医院之谜》),
puis, l’année suivante, crée une société de
publicité tout en continuant à travailler au studio
Emei.
En 1994, il sort un autre film qui le fait
remarquer : « Cradle on Wheels » (《带轱辘的摇篮》),
avec Wang Xueqi (王学圻)
dans le rôle principal. Mais, après ce film, il se
tourne vers la réalisation de films pour la
télévision, puis, à partir de 1998, vers le film
publicitaire.
Il revient vers le cinéma en 2005 pour tourner une
coproduction sino-coréenne, « L’amour à 30° de
latitude nord » (《爱在北纬30度》).
Il poursuit en 2009 avec le tournage d’une série
télévisée en trente épisodes, diffusée en novembre
2011, « Fleurs jaunes sur le champ de bataille » (《战地黄花》).
Il a 70 ans aujourd’hui (en 2017) ….
Eléments bibliographiques
sur Mi Jiashan et « The Trouble-shooters »
Culture in the Contemporary PRC, Michel Hocks, Julia
Strauss, Cambridge University Press 2005, p. 34
Young Rebels in Contemporary Chinese cinema, par Zhou Xuelin,
Hong Kong University Press
2007,p. 61-62
[1]
Sur Wang Shuo et les adaptations de ses
récits, voir :