Yan Xueshu est un réalisateur chinois des années
1980, connu surtout pour son film de 1986
« Dans
les montagnes sauvages » (《野山》),
adapté d’une nouvelle de Jia Pingwa (贾平凹).
C’est assez rare pour être mentionné, d’autant plus
que le film est un ovni plein de sensibilité dans
une filmographie qui recèle par ailleurs quelques
films complètement méconnus.
Un cinéaste des années 1980
Yan Xueshu est né en 1940 à Wuhan (武汉).
C’est la guerre. Il entre très jeune dans une troupe
théâtrale de jeunes qui fait des enregistrements
pour la radio; encore lycéen, il écrit le scénario
d’une pièce où il joue également, et qui obtient le
prix du public.
En 1958, il entre à l’Institut du cinéma de Pékin
dans la classe de réalisation, et en sort en 1960.Il
est alors affecté au studio de Xi’an où il devient
d’abord assistant réalisateur.
Débuts de réalisateur à la fin des années 1970
Pendant la Révolution culturelle, il est envoyé à la
campagne. Il rentre au studio de Xi’an en 1975 et
commence alors à réaliser ses propres films, très
marqués par le style un peu lourd de l’époque. Les
deux premiers, « A Yong » (《阿勇》)
en 1975 et « Seaport Village » (《蓝色的海湾》)
en 1978, sont coréalisés, le premier avec Sun Jing (孙敬),
le second avec Ai Shui (艾水).
« A Yong » se passe en 1972, dans un village de la
zone humide du Jiangnan ; c’est une saison de grande
activité pour les villageois, les enfants sont en
vacances. Le village fait un
Yan Xueshu
A Yong, 1975
Le modèle des enfants
dans A Yong :
battons-nous
jusqu’au bout 战斗到底
(collection
Landsberger)
élevage de canards. Or, le petit A Yong découvre que
l’ancien propriétaire du village projette de voler
un canard pour le vendre et qu’il vole des œufs. Il
emmène les enfants sur ses traces pour le démasquer…
Il s’agit d’un film très didactique, où les bons et
les méchants se partagent en clans opposés
irréconciliables. Les enfants en particulier sont
typés, exactement comme sur les affiches de
propagande de l’époque.
A Yong (1:25’)
Seaport Village, 1978
Sorti en 1978, « Seaport Village » se passe en 1974,
dans le port de Lan Wan (la Baie bleue),
alors que le chef de brigade entreprend de répondre
au mot d’ordre du premier ministre Zhou Enlai :
moderniser le port en trois ans
("三年改变港口面貌").
Les ouvriers doivent agrandir le quai pour permettre
l’amarrage de cargos de plus grande capacité. Mais
un responsable soudoyé par la Bande des Quatre tente
de faire capoter le projet… Histoire typique des
lendemains de la chute de la fameuse Bande des
Quatre.
Seaport Village (1:43’)
Maturité dans les années 1980
En 1980, « Love and Legacy » (《爱情与遗产》)
est le premier film que Yan Xueshu réalise seul.
C’est l’histoire des enfants d’un médecin qui ne
cesse de leur répéter de se consacrer à leurs
études, et de ne pas se laisser entraîner dans des
affaires sentimentales. Quand la fille tombe
amoureuse, cependant, elle a l’aval de son père.
Mais le fils, lui, a une petite amie plus intéressée
par l’argent de son père que par son amour.
Le film s’inscrit dans une véritable vague de films
d’amour au début des années 1980, en rupture avec
l’idéologie répressive très forte qui a dominé les
quinze années précédentes. Le seul fait de vouloir
aborder un tel sujet était considéré comme preuve de
« décadence morale » (道德败坏)
et d’« appétits vulgaires » (低级趣味).
La femme n’avait été « libérée » que pour devenir un
rouage dans la structure sociale, et dans la cause
de la Révolution. Dans les films des années 1950,
les
Love and Legacy, 1980
Along the Silk Road,
1982
femmes étaient « filles du Parti », perdant peu à
peu toute trace de féminité. A partir de 1966, les
distinctions de sexes disparaissent complètement,
pour une décennie.
Les films d’amour du début des années 1980
représentent donc un « retour du refoulé » ; en même
temps, les femmes sont souvent des rebelles à
l’ordre patriarcal, mais ce n’est pas le cas dans le
film de Yan Xueshu qui reste assez conservateur dans
son approche.
En 1982, il réalise ensuite un étonnant film
musical, qui n’est pas un film d’opéra, mais une
sorte de comédie musicale où domine la danse,
interprétée par la troupe de chants et de danse du
Gansu, sur des thèmes tirés des grottes de Dunhuang
et de l’histoire de la Route de la soie : « Along
the Silk Road » (《丝路花雨》).
C’est kitsch à souhait, et inclassable.
Along the Silk Road
Trois ans plus tard, il semble tourner une page vers plus de
réalisme, avec
« Dans
les montagnes sauvages » (《野山》),
adapté d’une nouvelle de 1984 de Jia Pingwa. En compétition
au Festival des Trois Continents à Nantes en 1986, le film y
remporte la Montgolfière d’or. C’est un film d’une
sensibilité étonnante comparé aux films précédents, qui se
teinte en outre aujourd’hui d’une nuance de nostalgie. Il
reflète l’influence de Jia Pingwa.
C’est l’apogée de la carrière de Yan Xueshu, le film
qui l’a fait connaître, et le seul de lui qui reste
un tant soit peu connu à ce jour. Pourtant deux des
trois suivants mériteraient d’être découverts, sinon
redécouverts.
Après Les montagnes sauvages
Deux ans après
« Dans les
montagnes sauvages »,
Yan Xueshu réalise « An Assassin’s Romance »
(《杀手情》),
une sorte de wuxiapian
modernisé qui s’ouvre sur une belle séquence avec
une musique qui donne tout de suite le rythme. Les
pistolets ont remplacé les épées, le film tire sur
le western, mais il a aussi des clins d’œil vers
King Hu
(séquence de l’auberge et personnages féminins).
An Assassin’s Romance,
1988
An Assassin’s Romance
Stepping into
Prosperity, 1994
A Dumb Woman and Bomb,
2000
Au début des années 1990, Yan Xueshu revient ensuite
à la tradition des films de guerre chinois, mais
sans la lourdeur idéologique et esthétique des films
du studio du Premier Août.
Sorti en 1994, l’histoire de« Stepping into
Prosperity » (《步入辉煌》)
se passe dans le Dongbei, pendant la guerre de
résistance contre le Japon. C’est une coréalisation
qui n’a pas l’originalité des deux films précédents.
Il faut attendre 2000, pour retrouver un scénario
original, avec ce que l’on pourrait traduire en
français par « Femme et bombe muettes » (《哑巴女人哑巴弹》)
Le film se passe à nouveau pendant la guerre de
résistance, dans un petit village isolé du Hebei où
personne ne sait que les Japonais ont envahi la
Chine. Un jour, des avions japonais lâchent deux
bombes sur le village ; l’une explose, mais pas
l’autre, qui devient ce que l’on appelle une « bombe
muette » (“哑巴弹”).
Deux jours plus tard, un villageois parti ramasser
du bois dans la montagne trouve une femme évanouie ;
il la ramène au village, mais elle a perdu la parole
et ne peut plus qu’ânonner « ha haha » : elle est
devenue une « femme muette » (“哑巴女人”).
Il s’ensuit une histoire un peu loufoque, pleine de
rebondissements.
C’est filmé dans un style traditionnel, mais le
scénario est original et c’est bien joué, avec en
particulier Liu Xin (刘欣)
dans le rôle principal de la "muette".