par Brigitte Duzan, 27 février
2012, actualisé 26 février 2017
King Hu (胡金铨)
est un cinéaste dont la contribution à l’art du
wuxiapian a été déterminante. Si, aux yeux d’un
public ébloui par les effets spéciaux, certains de
ses films ont aujourd’hui tendance à pâlir un peu en
comparaison d’œuvres ultérieures, ils restent
inégalés, œuvres de référence auxquels les
réalisateurs actuels ne cessent de revenir parce
qu’ils sont à la base de leur imaginaire et de leurs
codes.
Le cinéma
par hasard
King Hu (胡金铨)
est né en 1932 à Pékin, dans une famille d’officiels
cultivés dont il subit très tôt l’influence.
Culture
classique d’abord
King Hu
Il a été très jeune
imprégné de la culture classique de son grand-père,
gouverneur du Henan à la fin de la dynastie des Qing et fin
connaisseur et amateur d’opéra de Pékin. King Hu a souvent
évoqué dans des interviews des scènes de son enfance, se
revoyant plongé dans des bandes dessinées adaptées d’opéras
ou de romans d’arts martiaux, ou assistant fasciné aux
séquences d’arts martiaux lors de séances d’opéras –
fascination précoce qui transparaît dans ses films, mais qui
ne laissait bien sûr rien prévoir à l’époque.
Son père, lui,
était parti étudier au Japon, à l’université de Tokyo ; à
son retour en Chine, il fut nommé professeur dans une école
dépendant des mines de charbon du Hebei. Sa mère, elle,
pratiquait la peinture traditionnelle chinoise, et elle
initia très tôt son fils à cet art. Cet amour de la culture
classique, tôt inculqué, fut encore accru lors des études
universitaires, littéraires, du jeune King Hu, et nourri de
fréquentes visites aux diverses scènes de la capitale où il
aimait assister à des représentations d’opéras de diverses
provinces, mais également de différentes formes d’art oral
traditionnel et populaire, art de conteur dont il était
aussi féru.
Cinéma à Hong Kong
King Hu jeune, à Hong
Kong
Comme
beaucoup d’autres, King Hu part à Hong Kong en 1949.
Il a dix-sept ans, une grande culture mais peu
d’aptitudes professionnelles précises, or il faut
bien vivre : il fait des petits boulots. Il met son
art graphique au service de la conception d’affiches
publicitaires, en particulier, en 1951, pour le
studio Longma (龙马电影公司)qui venait d’être créé
par
Fei Mu (费穆).
Il passe
ensuite au studio de la Grande Muraille (长城电影公司),
grâce, dit-on, à l’appui d’un employé du studio aux
enfants duquel il donnait des cours d’anglais. Il
travaille là comme assistant de la direction
artistique sur le tournage de plusieurs films. Il
collabore en particulier avec
Wan Laiming (万籁鸣)
et ses frères en 1952, pour la conception des
accessoires et des décors de deux films. Il devient
ainsi peu à peu connu dans la profession.
Sa maîtrise
du chinois l’a sans doute aussi aidé à progresser
dans le milieu, au moment de la grande vogue des
films en mandarin. Il devient bientôt acteur, en
1954, et, suivant l’évolution des studios, entre
dans celui des Shaw Brothers en 1958. Il commence
comme acteur et décorateur, devient bientôt
scénariste, puis assistant réalisateur. En 1963,
consécration, il devient l’assistant de
Li Hanxiang (李翰祥),
et, qui plus est, sur le tournage du grand succès
qu’est « Love Eterne » (《梁山伯与祝英台》),
adaptation d’un opéra huangmei où il put
faire preuve de l’étendue de sa culture classique.
Le studio
lui confie illico la réalisation de
« L’histoire
de Su San » (《玉堂春》)
qu’il met en scène comme une comédie musicale bien
enlevée, dans le style de son mentor. Li Hanxiang
est cité comme assistant réalisateur, comme
Li Hanxiang
créditant le travail de son jeune disciple. King Hu est lancé.
Le cinéma comme
univers
Transition
King Hu acteur
C’est
cependant l’année suivante, en 1965, que sort le
premier film porté à son crédit comme réalisateur à
part entière : « Sons of the Good Earth » (《大地儿女》),
film de transition souvent oublié dans ses
filmographies. L’histoire se passe pendant la guerre
contre le Japon ; c’est King Hu lui-même qui a écrit
le scénario, et qui interprète le rôle principal,
celui d’un chef de la résistance anti-japonaise qui
meurt héroïquement en libérant un village.
Le film ayant
rencontré des problèmes avec la censure à Singapour et en
Malaisie, marché très important pour les frères Shaw, le
projet suivant, sur un sujet similaire, fut annulé deux
semaines après le début du tournage. C’est le film suivant
qui marque le début de la carrière du King Hu resté dans les
annales : le maître du wuxia.
Le wuxia comme art
opératique
1966
est l’année du grand classique qu’est « Come
Drink with Me » ou, en français,
« L’hirondelle d’or »
(《大醉侠》) (1). C’est un premier film où King Hu
révolutionne le genre du wuxia en se basant sur la
tradition de l’opéra chinois, avec tout ce qu’elle
recouvre de culture littéraire autant que
chorégraphique et musicale (2). En même temps, il
introduit l’héroïne comme personnage central, le
« L’hirondelle d’or »,
sous les traits de
Cheng Pei-pei, est à l’opposé des
héros mâles de
Chang Cheh (张彻) qui
apporte au même moment sa propre vision de l’univers
du wuxia : elle garde sa féminité même en habit
masculin, tout en en renvoyant, bien sûr, aux rôles
de wudan (武旦) à l’opéra , à Hua Mulan et aux
générales de la famille Yang (杨家将), et, en
littérature, aux héroïnes des chuanqi des Tang. Pour
bien citer ses sources et ses références,
Ang Lee fera de
Cheng Peipei la
maîtresse d’armes
de Zhang Ziyi dans
« Tigres et
Dragons », en se plaçant clairement dans la lignée de King
Hu.
Outre ce
rôle principal féminin,
« L’hirondelle d’or » est
une œuvre annonçant les thèmes et codes que King Hu
va développer et préciser dans ses deux films
suivants, et d’abord le grand classique qu’est
l’année suivante,
« Dragon
Gate Inn » (《龙门客栈》).
Dans ce film, tout en livrant une allégorie
politique camouflée, King Hu fixe brillamment ce qui
sera désormais la forme du wuxiapian que tous
les réalisateurs du genre vont reprendre :
intrigues, personnages, décors, codes et motifs,
avec la taverne au centre, comme microcosme d’un
monde en marge, au confluent de l’imaginaire et du
réel.
Seulement
ce film ne fut pas réalisé à Hong Kong au studio des
Shaw Brothers, mais à Taiwan.
Taiwan
comme espace de liberté
Dragon Gate Inn
« L’hirondelle
d’or » fut en effet un grand succès commercial qui permit à
King Hu de se sentir
Goodbye, Dragon Inn
suffisamment sûr de lui
pour claquer la porte du studio des Shaw Brothers.
Il était en mauvais termes avec eux depuis « Sons of
the Good Earth » ; il avait en effet une méthode de
travail lente et pointilleuse, et agaçait les frères
Shaw qui préféraient des réalisateurs qui grevaient
moins les budgets.
« Dragon
Gate Inn » fut un succès sans précédent et fit des
records d’entrées dans tout le Sud-Est asiatique.
Tsui Hark s’en inspirera en 1992 pour réaliser
« New Dragon Gate Inn » (《新龙门客栈》).
Et, en 2003,
Tsai Ming-liang (蔡明亮)
lui rendra hommage en réalisant
« Goodbye,
Dragon Inn » (不散),
montrant les derniers moments d’un vieux cinéma de
Taipei où, pour la dernière fois, est projeté le
film de King Hu : pour bien montrer l’impact
qu’avait eu sur lui le film, comme sur les jeunes de
sa génération, il en fait le symbole d’une époque
révolue qui va disparaître avec le cinéma.
En 1970, il
s’essaie à un nouveau thème : le bouddhisme, qui
était présent déjà en filigrane dans ses œuvres,
jusque là, mais va devenir le motif central de
« A
Touch of Zen » (《侠女》).
L’histoire est contée vue par un jeune lettré, Ku
Shen-chai, le personnage central étant Yang
Hui-ching, une jeune femme qu’un eunuque maléfique
veut supprimer avec le reste de la famille parce que
son père a tenté de mettre en garde l’empereur
contre ses agissements.
C’est un
film inclassable, qui part d’une histoire de
fantômes (adaptée de Pu Songling) pour se changer en
thriller politique, avec une fantastique scène de
bataille métaphysique dans une forêt de bambous qui
constitue le sommet du film. C’est une superbe
histoire d’amour sur fond de lutte contre la
tyrannie, C’est aussi un film très long, que King Hu
a mis deux ans à réaliser, sorti d’abord en deux
A Touch of Zen
parties à
Taiwan, avant d’être monté en un film unique, mais de trois
heures, pour sa sortie à Hong Kong.
« A Touch of Zen »
est considéré comme l’un des plus grands chefs d’œuvre du
cinéma d’arts martiaux chinois. Il a été couronné du grand
prix de la technique au festival de Cannes en 1975. King Hu
ne surpassera jamais le niveau atteint là.
Un peu trop de zen
The Valiant Ones
Il fonde
ensuite sa propre société de production, et produit
lui-même ses films suivants : « The Fate of Lee
Khan » ou « L’auberge du printemps » (《迎春阁之风波》)
en 1973, une variation sur les thèmes de
« Dragon
Gate Inn » sur fond de révolte contre les Mongols
(et non plus contre les eunuques) puis « The Valiant
Ones » (《忠烈图》),
en 1975, tous deux avec des chorégraphies signées
Sammo Hung.
« The
Valiant Ones » est sorti en France le 18 août 1976
sous le titre “Pirates et
guerriers”. Tourné
à Taiwan, dans de superbes paysages, au bord de la mer,
c’est une histoire de wuxia mettant en scène la lutte
contre les pirates japonais sous les Ming, où King Hu a
tenté d’intégrer les nouveaux styles de kung-fu à la mode
tout en restant dans son style réaliste habituel, avec des
pointes d’humour. Sammo Hung interprète le rôle du chef des
pirates japonais.
Hsu Feng revient
dans le rôle principal féminin, aux côtés de Pai Ying (白鹰).
King Hu ici ne fait
pas d’effort de reconstitution historique, les Japonais
n’ont jamais l’air japonais et le scénario n’est pas
passionnant ; en fait, pratiquement tout est dans l’action,
avec des scènes d’archives, comme la séquence où Hsu Feng
est aux prises avec un archer redoutable, mais qu’elle
parvient à vaincre sur son terrain sans arc ni flèches,
ou encore la séquence décisive du combat entre le chef des
pirates et Pai Ying.
Bande annonce de
« The Valiant Ones »
« Raining
in the Moutain » (《空山灵雨》)
et « Legend of the Mountains » (《山中传奇》),
tous deux en 1979, ne sont pas vraiment des films
d’arts martiaux bien qu’ils contiennent des
séquences de combat ; ce sont des films sur des
thèmes bouddhistes. Le premier décrit un conflit de
succession à la tête d’un monastère bouddhiste,
tandis que des fidèles tentent de dérober un texte
sacré qui y est caché.
Quant au
second, c’est une histoire de fantômes, décrivant
les efforts de deux femmes fantômes cherchant à
séduire un lettré afin de connaître les secrets d’un
sutra qu’il est en train de traduire. Les
deux films sont imprégnés d’une grande religiosité
qui semble révéler les traces d’un profond désarroi
intérieur.
Après
quelques années de retraite, il revient en 1990
pour réaliser un film
produit par
Tsui Hark, «
Swordsman »
Raining in the
Mountains
(《笑傲江湖》), mais il est en
désaccord avec
Tsui Hark et lâche au milieu du tournage ; le film
sera terminé par quelques autres jeunes
réalisateurs, dont
Ann Hui et
Tsui Hark, entre
autres).
Puis, en
Legend of the
Mountains
1993, il revient aux histoires
fantastiques de fantômes inspirées de Pu Songling,
mais « Painted Skin » (《画皮之阴阳法》)
est loin d’avoir la subtilité de son prédécesseur,
« A Touch of Zen ».
King Hu
vivait depuis une dizaine d’années à Los Angeles où
il était allé s’installer définitivement en 1992, après la
sortie de « Painted Skin ». Il
est mort en janvier 1997 à Taipei, des suites d’une
opération du cœur. Il laissait deux projets
inachevés : le documentaire « Igo Ono » sur les immigrants
chinois ayant participé à la construction du chemin de fer
transcontinental aux Etats-Unis, pour lequel il avait réussi
à réunir le financement en 1996 ; et surtout un film
d’animation sur lequel il avait travaillé pendant six ans et
qu’il avait dû abandonner faute de financement :
« Zhang Yu fait bouillir la mer »
(《张生煮海》) – ce film aurait montré la richesse de
son art du pinceau, qu’il mit toute sa vie au service de ses
films.
Notes
(1) A partir de
cette date, on est obligé de citer les trois titres,
anglais, français et chinois, de presque chaque film pour ne
pas se perdre dans des intitulés qui n’ont malheureusement
bien souvent rien à voir les uns avec les autres – à part
« L’auberge du dragon ».
Et qui plus est,
les remakes et suites diverses n’arrangent rien : ainsi,
« Golden Swallow » (《金燕子》)
est le titre d’une suite de… « Come Drink With Me »… signée
Chang Cheh (张彻),
1968. En français : « Le retour de l’hirondelle d’or ».
(2) Le scénario,
œuvre de King Hu lui-même, est basé sur un opéra chinois
ancré dans ses souvenirs d’enfance.
1983 The Wheel of
Life (épisode)
《大轮回》
(the
first life‘第一世’)
1990 The Swordsman
《笑傲江湖》
(en partie)
1993 Painted Skin
《画皮之阴阳法王》
A lire en complément :
- Stephen Teo,
“The Dao of King Hu”, in A Study of Hong Kong Cinema
in the Seventies, HKIFF/Hong Kong Urban Council, 1984.
- Hong Kong
International Film Festival catalogue, 22nd
edition, Transcending the
Times: King Hu and Eileen Chang (Hong Kong:
Provisional Urban Council, 1998).
- David Bordwell,
“Richness Through Imperfection: King Hu and the Glimpse,” in
Poshek Fu and David Desser (eds.), The Cinema of Hong Kong: History,
Arts, Identity (Cambridge: Cambridge University
Press, 2000).
Note sur les
recherches stylistiques de King Hu
Dès la préparation
de
« L’Hirondelle d’or », en 1965, King Hu mit l’accent sur
les aspects stylistiques – tout particulièrement des scènes
de combats - en simplifiant le fil narratif pour qu’ils
ressortent d’autant mieux. Il ne laissait rien au hasard ou
à l’improvisation, et il est resté célèbre pour sa
méticulosité, sa précision dans le détail, au point de
passer vingt-cinq jours à tourner la fameuse scène du combat
dans les bambous, dans
« A Touch of Zen » (1).
Il a généralement
utilisé une technique de plans moyens japonaise alliée au
montage constructif inspiré du cinéma soviétique. Mais il a
dépassé ces techniques pour créer un style totalement
novateur, en prenant un grand soin d’éviter le surnaturel et
l’artificiel.
Emprunts
Influence du cinéma
japonais
King Hu s’est
inspiré des techniques utilisées par les réalisateurs
japonais pour filmer certaines de ses scènes de combat – en
particulier dans la série des « Zatoichi » de la première
moitié des années 1960 (2) : plutôt que des plans longs
permettant de suivre la totalité de l’action, des plans
moyens suivant le combattant dans sa progression vers
une série d’assaillants défaits un à un, ce qui
permet de concentrer l’attention sur chacun des
protagonistes en mettant chacun tour à tour en relief.
Utilisation du
« montage constructif » soviétique
L’autre technique
adoptée par King Hu est le « montage constructif »
développé par les cinéastes soviétiques dans les années
1920, qui permet de décomposer une scène de combat en
éléments séparés, la reconstitution du mouvement d’ensemble
étant laissée au spectateur (3).
Innovations
En utilisant ces
techniques de façon novatrice et personnelle, King Hu a créé
un style original qui lui a permis de donner un sentiment de
réalisme dans les combats au lieu d’avoir recours aux effets
spéciaux dont l’utilisation se multipliera ensuite.
Eviter l’artificiel
Pour obtenir
l’impression de réalisme voulue, King Hu ne traite pas les
séquences de combat sur le même plan que le reste du film :
il procède à une stylisation dont les fondements viennent de
l’opéra, et fait de ces séquences des fêtes visuelles,
rythmées par les percussions et accompagnées de musique
traditionnelle. On les a rapprochées des séquences chantées
de la comédie musicale américaine, mais la source est plutôt
à rechercher dans les scènes martiales de l’opéra chinois.
Si ces séquences ne
semblent pas artificielles, c’est d’abord parce que les
héros – ou héroïnes – de King Hu n’ont rien de surhumain ou
de surnaturel ; ils arrivent à vaincre leurs adversaires
grâce à une parfaite maîtrise d’eux-mêmes, en contrôlant
leur énergie interne, leur qi (气).
Cette énergie contrôlée se traduit dans le regard – c’est
particulièrement net dans celui de l’Hirondelle d’or – et
c’est le regard qui contribue à créer la tension initiale.
Filmer par bribes
Encore fallait-il
réussir à filmer les combats sans trucage. King Hu y est
parvenu en filmant des bribes de l’action – et en utilisant
ensuite un montage qui ne laisse que deviner le mouvement
dans son ensemble. Cela lui permet de donner un rythme très
rapide aux combats en insufflant à ces séquences une
certaine note de mystère : l’œil tente de reconstituer ce
que la caméra n’a pas saisi, sans forcément y parvenir.
C’est ce que David
Bordwell a décrit en termes désormais célèbres : « We do not
see the action as much as glimpse it » - on ne voit pas
l’action, on l’entrevoit (4). C’est cette technique du
« glimpse » qui a été reprise et brillamment personnalisée
par
Wong Kar-wai – et Christopher Doyle - dans
« Ashes
of Time » (《东邪西毒》),
où l’image est traitée de façon liminale : ce n’est plus
l’esprit qui reconstruit, mais le subconscient.
Tout ce qui serait
artificiel (les trampolines, en particulier) est ainsi
éliminé de l’image « entrevue », caché par des murs ou des
arbres, camouflé par de la brume comme dans un tableau
chinois. Et, comme dans un tableau chinois encore, l’image
est souvent décentrée pour laisser une bonne partie de
l’écran vide, la caméra dirigée vers un ciel immense où
l’action est suggérée dans un coin.
Créer le rythme au
montage
Le « glimpse »,
cependant, ne serait rien sans le montage nerveux de plans
très courts qui donne un rythme rapide au film. Même les
scènes de dialogues sont montées de la sorte, selon une
structure de points de vue alternés, et les plans longs
peuvent être coupés par un plan très bref suggérant un
danger, un ennemi embusqué. De toute façon, même les plans
longs de King Hu sont relativement courts
Comme l’a souligné
David Bordwell, King Hu a raffiné à l’extrême la méthode
soviétique de montage en accentuant les discontinuités dans
les séquences d’action, afin de les rendre encore plus
dynamiques, au risque de sacrifier leur compréhension, ce
qui n’est cependant pas le cas chez lui.
Privilégier
l’action avant la narration
King Hu est le
maître de l’ellipse, tendant vers l’abstraction, mais ses
ellipses sont subtilement traitées en fonction du caractère
des personnages ; elles ne sont pas utilisées
systématiquement. C’est là que l’on retrouve le lien avec la
narration : King Hu privilégiait des histoires simples, tout
l’intérêt étant orienté vers l’action, mais, si l’histoire
est simple, son traitement ne l’est pas, King Hu ne répétant
jamais deux plans à l’identique, comme dans beaucoup de
films de kung-fu.
La part du rêve
C’est là sans doute
aussi que King Hu n’a pas vraiment de successeurs : après
lui, à part chez
Wong Kar-wai, la tendance des réalisateurs
de films de wuxia sera justement d’éliminer les
ellipses pour aller vers une lisibilité et une clarté
croissantes, en utilisant un maximum d’effets spéciaux pour
donner un effet de réalisme, en oubliant que King Hu les
avait sciemment refusés pour éviter l’artificiel et rester
dans la tradition poétique d’un genre qui tient avant tout
du rêve.
Notes
(1) Selon Tony
Rayns, « Director King Hu », Sight and Sound 45, hiver
1975-76.
(2) Exemple : le
second Zatoichi de la série, « The Tale of
Zatoichi Continues » (続・座頭市物語Zoku
Zatōichi Monogatari),
réalisé par Kazuo Mori, 1962. Zatoichi vient de masser un
personnage influent, et s’est rendu compte qu’il était
mentalement dérangé ; les membres du clan tentent de le
liquider pour éviter que le secret ne s’ébruite. Voir la
séquence à la minute 11’52, et la bataille du temple à
52’50.