par Brigitte Duzan, 15 février 2020, actualisé 25 février
2023
Cinéaste au carrefour de différents médias, à la
fois scénariste, réalisatrice, photographe,
monteuse, Zheng Lu Xinyuan a remporté le Tiger Award
au festival de Rotterdam en janvier 2020 pour son
premier long métrage, « The
Cloud in Her Room » (《她房间里的云》), produit par
Blackfin.
Formation et début de carrière
Originaire de Hangzhou, elle a dès son plus jeune
âge été attirée par l’image. Enfant, avant de savoir
lire, et sous l’influence de parents artistes, elle
regardait les illustrations dans les livres. Elle a
commencé à prendre des photos quand elle a eu son
premier smartphone, mais c’est parce que la
photographie ne
Zheng Lu Xinyuan avec
Tsai Ming-liang
la satisfaisait pas, qu’elle voulait aborder l’image en
mouvement, qu’elle s’est intéressée au cinéma.
Running in a Sleeping
River
Elle a commencé à filmer au lycée quand elle a
réalisé qu’on pouvait le faire avec un iPhone : elle
a réalisé un premier court métrage en 2012. Puis, en
2014, elle est partie aux Etats-Unis et a participé
à un projet de la Tisch School de NYU à Paris sur
les arts urbains et documentaires. C’était la
première fois qu’elle collaborait avec d’autres
étudiants sur un même projet. Elle a ensuite
multiplié les courts métrages, en réalisant deux par
an à partir de 2016.
En 2017, elle obtient un master en production
cinématographique de l’Ecole d’arts
cinématographiques de l’USC (University of Southern
California) à Los Angeles. Son court métrage « Niu
in the Last Day of Fall » (《在死海里醒来》),
tourné dans un style documentaire avec un iPhone,
est présenté en juillet au 11ème Festival des
premiers films de jeunes cinéastes à Pékin (第11届FIRST青年电影展),
et programmé au Festival du film indépendant de
Rome.
En 2018, dernier court métrage réalisé à l’USC,
« Feverish » (《低烧》)
est sélectionné au Festival queer de Shanghai (上海酷儿影展).
C’est une autre manière de réfléchir sur les normes
imposées aux émotions de chacun. Les interprètes
sont un acteur professionnel, deux musiciens et un
de ses camarades de promotion.
Courts métrages
2012 Dinner
Niu in the Last Day of
Fall
2014 Women on Islands
2015 We Will Not Die Together
2016 Running in a Sleeping River
2016 5’ Funeral in the Rain
2017 Niu in the Last Day of Fall
《在死海里醒来》
(court métrage documentaire, 24’)
2017 Smokers Die Slowly Together
《然后》12’
2018 Feverish
《低烧》
Retour en Chine
Puis, en 2018, elle revient en Chine, chez elle, à Hangzhou.
Elle tourne alors un court métrage où elle poursuit ses
recherches stylistiques, puis un premier long métrage.
A White Butterfly on a Bus
Défini comme « portrait intime », le court métrage – « A
White Butterfly on a Bus » (《公车上的白色蝴蝶》)
- a été conçu dans le cadre d’un programme de formation d’un
mois du
festival FIRST de Xining–
programme visant à développer des modes d’expression
créatrice non conventionnelle, à la croisée d’arts visuels
différents, incluant aussi la musique. Le programme était
sous la direction de
Tsai Ming-liangdont
Zheng Lu Xinyuan a retenu une leçon : rechercher « le
souffle de vie dans l’image » (“影像中的生活的气息”)
[1]…
« A White Butterfly on a Bus » a été présenté au festival de
Xining en 2018, ainsi qu’au festival international du court
métrage de Pékin.
La ligne narrative évoque la rencontre quelque part en Chine
d’une jeune actrice chinoise et du cinéaste belge Matthias
Delvaux, et l’évolution de leurs relations sur une période
d’une dizaine de jours. Filmé comme une performance, entre
fiction et réalité, le court métrage juxtapose des plans
statiques, comme des pans de souvenirs émergeant dans la
mémoire d’un témoin qui se trouve être la réalisatrice.
C’est à Hangzhou qu’elle tourne alors son premier
long métrage, « The Cloud in Her Room » (《她房间里的云》),
où elle tente d’exprimer les sentiments confus d’une
jeune femme revenue comme elle à Hangzhou, à la
recherche des traces de son passé. C’est évidemment
le reflet de sa propre expérience d’expatriée aux
Etats-Unis considérant son pays d’un autre œil, et
confrontée au retour à une ville où elle ne
reconnaissait rien de ce qui lui était familier.
Elle a commencé en filmant la ville, pendant un peu
plus d’un mois, à son retour à Hangzhou. Mais elle
n’a pas voulu en faire un film nostalgique ; il est
résolument au présent, en interaction avec les
acteurs, pour la plupart non professionnels, faisant
de chaque rôle une création interactive.
C’est aussi un film d’une esthétique particulière, qui mêle
interviews partiellement scénarisés, rushes documentaires,
images inversées, comme autant d’éléments reflétant
différentes facettes de la réalité, le tout en noir et blanc
comme des flashbacks mémoriels. C’est la postproduction qui
a pris le plus de temps.
Un cinéma en devenir
Zheng Lu Xinyuan fait partie de ces jeunes cinéastes chinois
de plus en plus nombreux qui ont fait des études à
l’étranger et tournent leur premier film en rentrant en
Chine, avec un regard et un style propres. Ils ont un grand
potentiel car il y a en Chine beaucoup de petites sociétés
de production à la recherche de nouveaux talents dans le
créneau en plein essor du cinéma « d’auteur » - « The Cloud
in Her Room » a été produit par
Blackfin.
La plus grosse difficulté est
bien sûr la disparition des festivals de cinéma indépendant
en Chine ou, à quelques exceptions près, de toute autre
possibilité de montrer les films réalisés. C’est l’étranger
qui offre une ouverture et un relais.
Comme beaucoup de ses contemporains,
Zheng Lu Xinyuan explore un
cinéma à la croisée de divers arts visuels : vidéo,
installations, photographies. Le texte devient aide à
conceptualisation de l’image. Elle envisage de créer un
album photos car elle voit là une autre manière de montage,
mais sans la logique narrative inhérente au film, plutôt
comme création d’atmosphère où replacer les photos.
Elle a d’ailleurs déjà exposé ses photos,
et coécrit deux livres…
Souvenirs en confinement
L’épidémie de covid lui a offert une occasion inattendue de
faire un film en plein confinement, en revisitant des
souvenirs sur le mode d’un journal intime, sans que ce soit
un « journal de confinement » comme tant d’autres. Début
2020, elle s’est trouvée coincée dans une chambre d’hôtel à
Vienne, en Autriche, avec sa petite amie Zoé, tous les vols
vers Pékin étant annulés.
Elle se met à filmer, avec sa petite caméra
numérique. Elle filme d’abord le temps arrêté, les
corps à l’horizontale dans l’intimité des quatre
murs de la chambre,. Puis elle profite de ce temps
suspendu pour fouiller dans son ordinateur, son
téléphone, elle retrouve des images d’un voyage
familial de 2018 à Mandalay, au Myanmar, sur les
traces d’un arrière-grand-père parti de Chine dans
les années 1940 et qui a disparu. Elle était partie
au printemps avec sa grand-mère pour assister au
mariage d’un parent. Elle parcourt les images en les
commentant pour Zoé, et par là-même pour nous aussi.
C’est donc un documentaire, qu’elle a intitulé « Jet
Lag » (《错落斑驳的》),
décalage temporel et spatial. Il s’inscrit dans la
vogue actuelle chez les réalisateurs chinois de
partir, chacun à sa manière, à la recherche du passé
familial en parcourant les vieux albums photos, les
films amateurs,
Jet Lag
les
images trouvées sur internet… Zheng Lu Xinyuan livre en fait un
autoportrait en marge du monde, un corps à corps avec le
présent aussi bien qu’avec le passé.
Le
film était en compétition fin 2022 au festival des
Trois-Continents à Nantes. Il est sorti sur les écrans
français le 22 février 2023.