par Brigitte
Duzan, 11 juin 2012,
actualisé 22 novembre 2022
Tsai Ming-Liang (蔡明亮) peut
être considéré comme l’un des maîtres de la « seconde
vague » du nouveau cinéma taiwanais,
après
Hou
Hsiao-Hsien et
Edward Yang,
mais légèrement en marge par rapport à ses aînés.
Original et
inclassable, il a su se créer un univers propre en
répétant de film en film des thèmes qui reviennent
en boucle, comme des leitmotivs soumis à de légères
variations.
Eléments biographiques
Tsai Ming-Liang (蔡明亮)
est né en 1957 en Malaisie, à Kuching, capitale de
l’Etat de Sarawak, sur l’île de Bornéo.
Enfant, déjà, le
cinéma…
Tsai Ming-liang
Son père était un modeste
fermier qui tenait aussi un petit stand de nouilles pour
arrondir ses fins de mois. Tsai Ming-Liang a vécu là pendant
vingt ans une vie tranquille, sans heurts, mais ce furent
des années formatrices qui lui donnèrent à jamais la passion
du cinéma.
Ses grands parents en étaient
fervents, et allaient voir indistinctement tous les films
qui passaient dans le cinéma local, emmenant le gamin avec
lui. Il a raconté que, comme ils devaient à tour de rôle
servir les nouilles dans le stand familial, l’un allait à la
séance de sept heures, le soir, l’autre à celle de dix
heures. L’enfant assistait ainsi aux deux. Il en acquit une
formidable culture cinématographique, nourrie des films
populaires cantonais et même philippins de l’époque, mais
surtout du cinéma de Hong Kong des années 1950/1960, voire
du début des années 1970 ; on en retrouve des références (ne
serait-ce que musicales, souvent) dans nombre de ses films.
Ce
n’est qu’à vingt ans, à l’instigation de son père, qu’il
partit à Taiwan, où il entra à l’Université de la Culture
chinoise, dans la section cinéma et théâtre. C’est là, grâce
aux archives de l’université, qu’il découvrit le cinéma
européen, la Nouvelle Vague française, le nouveau cinéma
allemand et le néo-réalisme italien ; les films de Truffaut,
Bresson, Antonioni et Fassbinder, en particulier, exerceront
sur lui une influence déterminante : Truffaut pour son
humanisme chaleureux et sa capacité à se créer un univers
bien à lui, Fassbinder pour ses préoccupations pour une
sexualité décalée, Bresson pour le style de sa direction
d’acteurs, et Antonioni pour ses paysages urbains
déshumanisés. Il en acquit une nouvelle conception du rôle
fondamental du réalisateur en tant que créateur possédant un
style propre, une voix spécifique.
Débuts à Taiwan, années
1980
Il sortit diplômé en 1982.
C’était un moment crucial dans l’histoire de Taiwan. La
République populaire, à Pékin, consolidait sa position comme
représentante du peuple chinois ; trois ans plus tôt, le
Congrès américain avait passé le « Taiwan Relations Act »
qui reconnaissait formellement la République populaire de
Chine et rompait par conséquent les relations diplomatiques
avec l’île. Cette année-là, en 1982, celle-ci répondait aux
avances de Pékin par les « trois non » (aux contacts, aux
négociations et aux compromis).
Elle continuait à être dirigée
d’une main de fer par le Guomingdang, et la loi martiale,
qui avait été décrétée dès 1947 pour réprimer les émeutes de
la population locale, ne serait levée que cinq ans plus
tard, en 1987. L’île évoluait cependant progressivement vers
la démocratie, qui serait finalement instaurée avec
l’élection en 1996 du président Lee Teng-hui au suffrage
universel. Cette situation politique, ainsi que la
croissance économique, étaient favorables à une nouvelle
génération d’artistes et de cinéastes, favorisant la
renaissance du cinéma indépendant grâce, en particulier, à
l’émergence de sources alternatives de financement.
Tsai Ming-liang et Lee
Kang-sheng
Tsai Ming-Liang fit
ses premiers pas de metteur en scène au théâtre,
puis, entre 1989 et 1991, à un moment où quasiment
toute activité intellectuelle était gelée sur le
continent à la suite des événements de Tian’anmen,
il écrivit dix scénarios pour la télévision
taiwanaise, ce qui lui offrit sa première expérience
derrière la caméra, et l’occasion de commencer à
définir son style et les thèmes que l’on retrouve
dans ses films ultérieurs.
Dans
l’un de ces téléfilms, « Boys », en 1991, il fit en
particulier jouer pour la première fois une espèce de petit
voyou qu’il avait découvert dans une rue de Taipei et qui
allait devenir son acteur fétiche et son double sur
l’écran : Lee Kang-sheng (李康生).
Il s’appelait déjà Xsiao Kang dans le film, comme il le sera
dans les suivants.
Années 1990-2000
Tsai
Ming-Liang travaillait alors au scénario de ce qui allait
être son premier long métrage, en 1992 :
« Les Rebelles du
Dieu Néon » (《青少年哪吒》),
un film qu’il voulait réaliste, sur la vie quotidienne à
Taipei. C’était le premier d’une série de longs métrages qui
n’en finiraient pas de redéfinir, avec les mêmes acteurs,
des thèmes fondamentaux récurrents, pour aboutir à un
univers ancré dans la réalité quotidienne, mais une réalité
gauchie par la vision personnelle du réalisateur, ses
souvenirs, ses fantasmes même, une réalité épurée et
stylisée, et constamment renouvelée.
Cet
univers s’est construit en huit films essentiels, de 1992 à
2006, le cinquième, « Et
là-bas quelle heure est-il ? » (《你那边几点》)
représentant un sommet et pouvant être considéré, avec le
recul, comme une œuvre charnière : Tsai Ming-Liang a créé
son univers, avec ses codes, ses symboles et ses icônes, il
revient ensuite sur les ombres de son passé… (voir
ci-dessous Filmographie).
Années 2010
Après
« Visage » (《脸》),
film de commande tourné à Paris qui n’a pas vraiment
convaincu, Tsai Ming-Liang semble être entré dans une phase
de recherche axée sur des courts métrages. Réalisé en 2012,
« Walker »
(《行者》)
apparaît comme un exercice sur la lenteur nécessaire dans un
monde moderne où tout semble au contraire s’accélérer. Ce
court métrage sera suivi de huit autres pour former la
« série des Walker ».
En
2013, Tsai Ming-Liang présente un nouveau long métrage à la
Mostra de Venise qui semble issu de cette réflexion, mais en
l’appuyant sur une peinture des bas-fonds de la société
moderne de Taipei : « Stray Dogs » (《郊遊》).
Le film
obtient le Grand Prix du Jury
à l’issue du festival, le 7 septembre, mais Tsai Ming-Liang
annonce quelques jours plus tard sur son micro-blog qu’il a
décidé d’arrêter de faire des films pour se consacrer
désormais à d’autres formes de création artistique, et en
particulier le court métrage expérimental.
En mars
2014, une rétrospective Tsai Ming-Liang est
programmée à la Cinémathèque française à Paris, avec
ses longs métrages à partir des « Rebelles
du dieu néon », des courts métrages réalisés à partir de
la fin des années 1980, et une « leçon de cinéma » le 10
mars.
Dans
un
entretien avec Thomas Sotinelpublié
dans Le Monde en marge de la rétrospective, il déclare
vouloir que ses films « soient montrés dans des musées » -
idée exprimée à diverses reprises depuis 2013, à la sortie
de « Stray Dogs » (《郊遊》). Cinéma
expérimental et sorties en galeries d’art et musées sont
donc désormais l’orientation qu’il se définit et se
concrétise peu à peu.
Années 2020
En février 2020 sort en compétition officielle à la
Berlinale un nouveau long métrage intitulé « Days »
(《日子》)
sélectionné également par le festival des Trois-Continents à
Nantes où il est en compétition en novembre 2020 dans la
section
«
séances spéciales ».
Le film est programmé en avant-première au Centre Pompidou
lors de la soirée inaugurale de la
rétrospective des films du réalisateur (25 novembre
2022-2 janvier 2023), rétrospective doublée d’une exposition
intégrant entre autres le 9ème court métrage de
la « série des Walker ».
« Days » sort en salles en France le 30 novembre, diffusé
par Capricci.
À la
Biennale de Venise 2021 est projeté un court métrage de 19’
– « The
Night » (《良夜不能留》)
- tourné fin 2019 à Hong Kong, dans les rues de Causeway
Bay.
Le film a été produit par
Homegreen Films qui en assure la distribution
internationale. Le titre est celui d’une chanson nostalgique
des années 1940 à laquelle a pensé Tsai Ming-Liang en voyant
le spectacle désolé des rues de Hong Kong :
Liang ye bu neng liu
良夜不能留La
belle nuit ne peut durer [1]
Filmographie
L’univers de Tsai Ming-Liang en huit longs métrages :
(documentaire pour la télévision sur deux jeunes
atteints du SIDA)
2001 A Conversation
with God (court métrage de 30’ sur les rituels religieux)
2002
《天桥不见了》
Le pont n’est plus là / The Skywalk is Gone
2007
《是梦》 C’est un rêve, court métrage de 3’ dans une série de trente
cinq réalisée pour le soixantième anniversaire du festival
de Cannes et intitulée « Chacun son cinéma, ou ce petit coup
au coeur quand la lumière s’éteint … »
2009
Madame Butterfly
(commande du festival de Lucca, en Italie, dans le cadre d’une série de
vingt courts métrages destinée à commémorer le 150ème
anniversaire de la naissance de Puccini)
[2]
[2]Il ne reste pas grand-chose de l’héroïne de Puccini, sinon la solitude
et l’abandon. Celle de Tsai Ming-Liang a échoué dans
un immense supermarché de Kuala Lumpur, semble-t-il,
à la recherche d’un hypothétique bus qui puisse la
ramener chez elle. Le problème est qu’elle n’a plus
assez d’argent pour payer le billet. Ceci dit, comme
on est en Malaisie, le vendeur des billets lui offre
de lui faire un prix, mais elle s’entête à appeler
l’ami qui l’a attirée dans ce guêpier pour qu’il
l’en sorte. Inutilement.
On la retrouve donc, dans la seconde partie des 35
minutes du court métrage, somnolant seule dans une
chambre d’hôtel ; la caméra la fixe en gros plan,
immobile, étreignant un instant son édredon pour
finir par le repousser… et tout est dit.
L’actrice est celle qui interprétait le
rôle de la propriétaire de bar dans « I don’t want
to sleep alone ». « Madame Butterfly » semble donc
reprendre le personnage où ce film l’avait laissé,
mais en finissant de la condamner à une solitude
irrémédiable : on ne sait pas ce qu’est devenu le
fils comateux dont elle avait la charge, mais
maintenant, elle est loin de chez elle, sans le sou,
et l’ami lointain auquel elle s’accroche encore l’a
de toute évidence laissé tomber, seule petite, toute
petite analogie avec madame Butterfly.
Le court métrage
n’apporte rien de très intéressant, ni de très
nouveau dans l’œuvre de Tsai Ming-Liang. On aurait
plutôt l’impression d’une panne d’inspiration, au
moment de devoir exécuter la commande, peut-être
trop rapidement.