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Le festival
FIRST de Xining : vitrine et incubateur du nouveau cinéma
d’auteur chinois
par Brigitte Duzan, 24 février 2019
Coorganisé par la municipalité de Xining, capitale
de la province du Qinghai, et la société des
critiques de cinéma chinois, le festival
international de cinéma FIRST de Xining (西宁FIRST青年电影展)
a lieu tous les ans pendant les dix derniers jours
de juillet.
Il a pour objectif de faire connaître les films
d’auteur hors du champ du cinéma officiel. C’est une
sorte de festival Sundance à la chinoise qui, de la
même manière, a commencé comme un petit festival
étudiant pour devenir un événement qui attire
maintenant des sponsors prestigieux |
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Le logo du festival |
comme Alibaba, Tencent et la plateforme de divertissement en
ligne iQiyi. Il peut ainsi offrir une chance à de jeunes
réalisateurs de trouver financements et distributeurs au
niveau international.
Des débuts modestes et chaotiques
Le festival a été créé en 2006, par Song Wen (宋文)
comme Festival étudiant du cinéma à l’Université des
communications de Chine (中国传媒大学),
à Pékin. L’année suivante, le festival dévoile son trophée,
un prix en forme de brique rappelant l’expression : « Jeter
une brique pour recevoir du jade en retour » (pao zhuan
yin yu
抛砖引玉),
la brique en cause symbolisant bien sûr le film, magnifié
par le travail de promotion du festival.
Les débuts n’ont cependant pas été de tout repos. En 2009,
pour la 3ème édition du festival, c’est la
comédie noire de
Cao Baoping (曹保平)
« The Troublemakers » (《光荣的愤怒》)
qui est choisie par les étudiants comme meilleur film
.
Mais il a soulevé une controverse en raison de sa violence
et de sa thématique : un village régi par une bande de
criminels, et une peinture au vitriol d’une société pourrie
par les abus commis par les autorités locales, chefs de
village et autres. Impliqué dans les controverses, le
festival est suspendu pendant un an.
Nouveaux horizons, nouveau départ
En 2011, le festival déménage aussi loin que possible de
Pékin, comme autrefois on évitait la proximité de
l’empereur : il est accueilli à Xining, par des autorités
locales désireuses de donner un peu de lustre à leur ville.
Et là, en quelques années, dans un contexte où les festivals
de « cinéma indépendant » chinois sont tous peu à peu
interdits, car soupçonnés d’offrir une vitrine à des films
potentiellement séditieux, le festival FIRST acquiert une
notoriété qui attire les cinéphiles, critiques et
spécialistes de cinéma chinois qui allaient autrefois à
Songzhuang ou à Nankin.
La localisation excentrée du festival est associée à une
vision « excentrique », marquant sa différence avec les
grands festivals institutionnels que sont ceux de Shanghai
et de Pékin, en privilégiant l’art plutôt que le commercial
(mais sans forcément l’exclure). Cette définition du
festival rejoint les changements qui interviennent en même
temps dans le cinéma chinois au début des années 2010.
En même temps, en effet, le concept de « cinéma
indépendant » (独立电影),
qui avait toujours été quelque peu ambigu, mais lié à une
volonté de rupture avec le système et à une forme de
critique socio-politique, est peu à peu remisé dans les
coulisses de l’histoire et remplacé par celui de « cinéma
d’auteur » fondé bien plus sur des exigences artistiques,
stylistiques et esthétiques. En ce sens, le festival de
Xining se distingue de celui de Sundance qui est festival
proclamé de cinéma indépendant, en rupture avec le cinéma
hollywoodien.
Ce concept de
« film d’auteur » est né en France dans les années 1950,
avec les théories de Louis Delluc, Alexandre Astruc et André
Bazin ; puis il a été le principe directeur de la Nouvelle
Vague après l’article de François Truffaut publié en février
1955 dans les Cahiers du cinéma et définissant une
« politique des auteurs »
,
reprenant la formule de Giraudoux : « Il n’y pas d’œuvres,
il n’y a que des auteurs »
.
Le festival au cours du temps
En 2011, le festival se rebaptise FIRST, pour souligner
l’accent mis sur les premières œuvres de jeunes cinéastes :
seuls les trois premiers films d’un réalisateur peuvent être
admis en compétition.
Les trois femmes du
jury de 2015, présidé par Jiang Wen :
Yan Geling et Du Yuan 2e et 3e en partant
de la dr., Dai Jinhua 2e en partant de la g. |
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La section compétition comporte un processus de
sélection en trois étapes et huit prix
différents pour les films chinois : meilleur
réalisateur, meilleur film selon les genres (long
métrage fiction ou documentaire, court métrage et
animation/expérimental), meilleure interprétation,
meilleure originalité artistique et « esprit de
liberté ».
Le premier prix du meilleur long métrage de fiction
a été décerné en juillet 2013 : au deuxième film de
Hao Jie (郝杰)
« The Love Songs of Tie Dan » ou « Sœur Mei » (《美姐》).
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Le festival, cependant, était encore peu connu : le film de
Hao Jie avait été adoubé en 2012 au festival de San
Sebastian. Mais il acquiert vite de la notoriété comme
découvreur de films et de réalisateurs.
En 2014, lors de sa 8ème édition, le
festival a fait découvrir le premier long métrage de
Xin Yukun (忻钰坤),
« Coffin in the Mountain » (《殯棺》),
couronné des prix du meilleur film et du meilleur
réalisateur décernés par un jury présidé |
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A Simple Goodbye |
par
Xie
Fei (谢飞).
Le film sera ensuite en compétition à la Semaine de la
critique à la Biennale de Venise. Le second film de
Xin
Yukun,
« Wrath of Silence » (《暴裂无声》),
sortira également en première mondiale au festival de
Xining, en 2017. Entre-temps,
« Coffin in the Mountain » aura battu des records au
box-office en Chine.
What’s in the Darkness
? |
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2015 a été l’année des femmes. Trois des jurés
étaient des femmes, et pas n’importe lesquelles : la
critique cinématographique (et littéraire) Dai
Jinhua (戴锦华),
l’écrivaine et scénariste Yan Geling (严歌苓) ,
et la monteuse Du Yuan (杜媛).
En outre, cinq réalisatrices ont été primées sur un
total de onze prix, dont le prix du meilleur long
métrage de fiction décerné au film « A Simple
Goodbye » (《告别》)
écrit et réalisé par Degena (德格娜)
et le prix du meilleur réalisateur (en l’occurrence
réalisatrice) décerné à Wei Yichun (王一淳)
pour son documentaire « What’s in the Darkness ? » (《黑处有什么》).
C’est aussi au festival de Xining, en 2016, qu’a été
découvert
« Le
rire de madame Lin » (《喜丧》)
de Zhang Tao (张涛), qui
a reçu le prix du meilleur réalisateur tandis que le
film était couronné du prix du meilleur film de
fiction. |
En 2017, le festival a fait connaître « Shaman » (《小寡妇成仙记》)
de
Cai Chengjie (蔡成杰),
version longue du film qui a ensuite été coupé et remonté,
avant de ressortir en 2018 sous le titre
« The Widowed
Witch » (《北方一片苍茫》)
au festival de Rotterdam où il a été couronné du Tiger award
et d’être programmé début mars au
Festival du cinéma d’auteur chinois
à Paris.
En 2018, c’est « Suburbian Birds » (《郊区的鸟》),
premier long métrage de
Qiu Sheng (仇晟)
qui a obtenu le prix du meilleur long métrage de
fiction lors de la 12ème édition du
festival. Le mois suivant, le film était en
compétition au festival de Locarno.
On n’en finirait pas aujourd’hui de citer les bons
films chinois que ce festival a contribué à faire
connaître ces dernières années - film qui restent
encore trop peu connus comme
« The
Summer is Gone » (《八月》)
« de
Zhang Dalei (张大磊)
ou |
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L’équipe de “Suburbian
Birds” au festival 2018 |
« The Looming Storm » /
« Une
pluie sans fin » (《暴雪将至》)
de
Dong
Yue (董越),
ou films encore à découvrir comme « Old Beast » (《老兽》)
de Zhou Ziyang (周子阳)
ou « My Heart Leaps Up » (《我心雀跃》)
de la réalisatrice Liu Ziwei (刘紫微).
Cette montée en charge progressive depuis bientôt une
dizaine d’années s’est accompagnée aussi de la création de
structures d’accompagnement des films, que le festival a
baptisées « Programmes d’incubation ».
Programmes d’incubation et de promotion
Ces programmes sont désormais au nombre de quatre :
- Un
programme de formation, sous forme d’ateliers de dix
jours organisés pour des groupes d’une dizaine de jeunes
cinéastes sous la conduite d’un réalisateur de renommée
internationale. En 2018, le tuteur était
Tsai Ming-Liang,
avec Bela Tarr comme conseiller académique.
- Un
Forum de financement qui met en relation les jeunes
réalisateurs avec les spécialistes de la profession – à tous
les niveaux, production, post-production, vente et
distribution. Nombre de films issus de ce Forum ont déjà été
programmé et remarqués dans divers grands festivals
internationaux, Tokyo, Busan, San Sebastian, Golden Horse,
etc.
- Un
programme First Lab créé en 2017 pour aider à la production
et au financement d’un à trois projets de premiers films
sélectionnés chaque année, avec une enveloppe d’environ
50 000 RMB, soit environ 6 500 €.
- Un
projet de court métrage auquel peuvent accéder les
participants des trois autres programmes.
Le festival FIRST est maintenant un véritable incubateur
pour les projets de jeunes réalisateurs qui représentent les
nouveaux « auteurs » du cinéma chinois.
Le site du festival :
http://www.firstfilm.org.cn/render/index
L’équipe
http://www.firstfilm.org.cn/render/simplePage?pageId=31
Le festival et ses différentes éditions sur baidu
https://baike.baidu.com/item/FIRST%E9%9D%92%
E5%B9%B4%E7%94%B5%E5%BD%B1%E5%B1%95
Il n’est donc pas étonnant de voir des réalisateurs
comme Rohmer faire figure de modèles pour les jeunes
cinéastes chinois d’aujourd’hui se réclamant de
cette « politique d’auteurs ». C’est le cas, par
exemple, pour la jeune réalisatrice Yuan Qing (竹原青),
et son film « Les trois aventures de Brooke » (《星溪的三次奇遇》),
choisi pour la soirée inaugurale de la deuxième
édition du Festival du cinéma d’auteur chinois de
Paris, le 1er mars 2019.
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