« Et vogue le cinéma » : un court métrage tout en symboles
de Gu Xiaogang
par Brigitte Duzan, 5 novembre 2020
En 2019,
Gu
Xiaogang
(顾晓刚)
nous avait
ravis avec son premier long métrage,
« Dwelling in the Fuchun
Mountains » (《春江水暖》).
À la sortie du confinement, l’année suivante, il a tourné un
court métrage qui a les qualités et l’esthétique de son long
métrage, et qui est sorti (sur youtube), dans sa version
sous-titrée en français, sous le titre « Et vogue le
cinéma ». E la nave va, aurait dit Fellini – dont le symbole
final d’un monde artistique faisant naufrage n’est
d’ailleurs pas totalement étranger au film de Gu Xiaogang,
mais en contrepoint.
Nul besoin d’aller chercher si loin : le court métrage est
bâti sur des symboles, à commencer par celui que suggère le
titre chinois qui n’est autre que celui d’une nouvelle
célèbre de Yu Dafu (郁达夫)
citée au début du film : « Enivrantes nuits de printemps » (《夏风沉醉的晚上》)
[1]..
Yu Dafu est en effet né dans la petite ville de Fuyang (富阳),
au bord de la rivière Fuchun, comme Gu Xiaogang. Cette
nouvelle est l’une de ses plus célèbres, avec « Noyade » (《沉沦》)
également citée au début du film. C’est elle qui suggère
l’atmosphère et le premier message du film : celui prônant
la liberté pour les jeunes de choisir qui épouser, même
contre la volonté des parents. Yu Dafu est représentatif de
la période de fermentation intellectuelle des années
1920-1930 pendant laquelle ce choix a été revendiqué comme
un droit au même titre que la liberté d’expression, à
défendre dans le cadre général de la lutte contre la société
traditionnelle.
Le titre évoque en même temps l’errance nocturne du
personnage central de la nouvelle, mais en lui donnant un
autre contexte et une autre tonalité. Après la période très
dure de confinement, c’est le retour à la vie que montre le
court métrage, dans la beauté du parc le long du fleuve, où
viennent se promener deux jeunes qui soutiennent leur
liaison contre la volonté des parents, et surtout de la mère
de la jeune fille. Mais elle ne se laisse absolument pas
perturber par cette opposition et poursuit comme si de rien
n’était, dans le plus grand calme.
C’est cette image de résilience dans l’adversité que reprend
Gu Xiaogang dans la seconde partie de son film, en
l’appliquant au cinéma, et c’est dans cette double
symbolique qu’il montre toute la finesse de son écriture
filmique. De même que la jeune fille ne cède pas un pouce à
ses parents, de même le cinéma poursuit obstinément et
infailliblement son cours en dépit de tout, épidémie,
confinement, mais bien plus bien sûr.
C’est ce que suggère brillamment l’image de cet écran comme
une voile propulsant le bateau qui passe dans la nuit sur la
rivière, concurrencé par les lumières brutales des immeubles
massifs dressés sur la rive, mais emporté irrésistiblement
par le courant : et vogue le cinéma !
Et vogue le cinéma (ss-titres français)
https://www.youtube.com/watch?v=L1HlRL8LgOo
The Sail of Cinema (ss-titres chinois et anglais)
https://www.youtube.com/watch?v=JvxYICtMTaQ
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