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« The Age of Tattoo » :
un projet de Jia Zhangke très attendu
par Brigitte
Duzan, 10 novembre 2013
On a beaucoup
parlé de ce film, en 2008. On entendait dire de tous côtés
que ce serait un « film de kungfu », et cela
alimentait la rumeur et la curiosité : on ne voyait pas trop
bien
Jia Zhangke réaliser un film de ce genre.
The Age of
Tattoo : Suzhou fin des années 1970
Le film
est annoncé en fait depuis la sortie de « Still
life » (三峡好人),
en 2006. C’est alors qu’il tournait ce film que
Jia Zhangke
a acheté les droits d’une nouvelle de Su Tong (苏童)
intitulée, comme le film en projet : « L’époque des
tatouages » (《刺青时代》).
La nouvelle est tirée d’un recueil publié en janvier
2008, intitulé « Les histoires de la rue des
cédrèles » (《香椿树街故事》),
qui dépeint l’existence difficile de jeunes vivant
dans cette rue, et dans le voisinage, à la fin de la
Révolution culturelle; ce sont des histoires de
violence et de destins brisés qui viennent des
souvenirs d’enfance de l’auteur.
L’histoire
de la nouvelle se passe à la fin des années 1970, à
Suzhou, ville natale de Su Tong (1). Elle retrace la
vie mouvementée d’un jeune garçon du nom de Xiaoguai
(小拐),
sur fond de luttes de gangs. Toute la violence de
l’époque se reflète dans la dépravation d’un groupe
de jeunes délinquants dont la nouvelle décrit le
caractère émotionnel et brutal, influencé par leur
environnement. |
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Les histoires de la
rue des cédrèles |
Le choix des
acteurs a été assez difficile. Le film comporte trois
personnages principaux, deux masculins et un féminin, et les
producteurs japonais, entre autres, ont insisté pour avoir
une star mondialement connue comme tête d’affiche. C’est la
pop star Jay Chow (周杰伦),
qui a été
choisie, mais il semble que son agenda était tellement
chargé qu’il a été en grande partie responsable d’un premier
retard du tournage. Cependant, il n’aurait pas le rôle
principal, celui de Xiaoguai, mais celui de son grand frère
(de la même manière qu’il jouait le rôle du frère aîné dans
le film de Zhang Yimou « Curse of the Golden Flower »).
C’est une figure emblématique ; dans « The world » (《世界》),
son image apparaît sur un poster, sur le mur d’une chambre,
comme une sorte de symbole des goûts d’une époque…
Xiaoguai lui-même
serait interprété par un jeune garçon de quatorze ans que
Jia Zhangke a trouvé à Fengjie, près de Chongqing, sur le
lieu du tournage de « Still Life » (《三峡好人》) ;
il était élève d’arts martiaux dans une école de sports
locale, et le réalisateur, en le voyant s’exercer, a trouvé
qu’il ressemblait exactement au personnage de la nouvelle,
“够狠,够猛”:
un gamin qui avait toute la violence nécessaire, qui « avait
la haine », comme on dit dans nos banlieues. Quant au
personnage féminin, la sœur aînée de Xiaoguai, Jinhong (锦红),
elle serait interprétée par Zhao Tao (赵涛).
Surtout, le film a
connu pas mal de problèmes qui expliquent le retard qu’il a
pris. D’abord c’est une production assez lourde, nécessaire
pour recréer l’atmosphère de l’époque, qui combine trois
sociétés de production de nationalités différentes. Ensuite
l’adaptation de la nouvelle n’a, de toute évidence, pas été
des plus faciles. La nouvelle touche une période délicate de
l’histoire chinoise récente, et un sujet qui ne l’est pas
moins, ce qui pose le problème de la censure.
On a demandé à Jia
Zhangke s’il en avait fini avec la peinture et l’analyse des
bouleversements socio-économiques de la période actuelle :
« 24 City » (《24城记》),
son précédent docu-fiction, présenté au 61ème
festival de Cannes en mai 2008, était déjà une réflexion sur
un processus historique, couvrant trois époques différentes.
Le réalisateur a répondu qu’il continuait en fait dans la
même voie (2), en cherchant à expliquer le présent par un
retour sur le passé.
Il a ajouté que,
si « The Age of Tattoo » était bien une grosse production,
contrairement à son habitude, le style et le contenu en
feraient néanmoins une œuvre originale et personnelle. « Je
veux mettre en lumière les menus aspects de la vie
quotidienne, pour montrer tout ce que le peuple a subi, et
comment les gens ont fini par être engloutis par les
événements. »
La rencontre de
deux héros : Hong Kong années 1950
Parallèlement, Jia
Zhangke aurait un second projet du même ordre (budgétaire et
historique) : un film intitulé « La rencontre de deux
héros » (《双雄会》),
qui se passerait dans la Hong Kong des années 1950, époque
pendant laquelle cette ville, plus cosmopolite que jamais,
servit de refuge aux officiers du Guomindang, et vit affluer
des espions du monde entier. Le film raconterait justement
l’histoire de deux personnages amenés là par le hasard des
événements : une hôtesse de l’air qui veut partir aux
Etats-Unis et un ex-officier nationaliste qui tente de
passer à Taiwan.
Ces deux projets
apparaissaient comme un tournant dans la filmographie de Jia
Zhangke. En mai 2013, c’est cependant un autre film,
« A Touch of Sin » (《天注定》),
sensé né d’une réflexion menée à partir de « The Age of
Tattoo », qui a été présenté au festival de Cannes. Le thème
est devenu celui de la violence au quotidien dans la société
actuelle. On en attend d’autant plus « The Age of Tattoo »,
même si, avec le retard pris, le projet a dû prendre une
autre configuration.
Notes
(1) Sur Su Tong,
voir
:
www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_SuTong.htm
Su Tong s’est
déclaré honoré de voir son récit adapté par Jia Zhangke,
soulignant qu’il y trouverait certainement des
« résonances » personnelles. Et Jia Zhangke, de son côté, a
dit qu’il espérait réussir le film pour que « Su Tong, au
moins, n’y trouve rien à redire »…
(2) On peut
d’ailleurs remarquer que, fidèle à sa méthode habituelle,
combinant le tournage d’un film et d’un documentaire sur le
même lieu, il a tourné en 2008 à Suzhou, le documentaire
« Cry me a river » (《河上的爱情》),
commande de l’exposition parisienne « Dans la ville
chinoise » (cf
courts métrages
documentaires).
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