« Deep
in the clouds » : quand Liu Jie fait dans l’éco-idéologie…
par Brigitte
Duzan, 2 juillet 2010,
révisé 25 septembre 2011
Troisième film de
Liu Jie (刘杰),
« Deep in the clouds » (《碧罗雪山》)
a été couronné de quatre prix au 13ème festival
de Shanghai, le 20 juin 2010 : prix du jury et prix du
meilleur réalisateur, prix de la meilleure musique au
compositeur taiwanais Giong Lim (ou Lin Chiang
林強)
et prix d’interprétation aux deux jeunes acteurs qui
interprètent les rôles principaux.
Le titre chinois《碧罗雪山》
signifie ‘le mont enneigé Biluo’. Cette chaîne de montagne
se trouve dans la préfecture autonome lisu de Nujiang
(怒江傈傈族自治州),
à l’ouest du Yunnan, et c’est là que se passe l’histoire.
L’affiche, avec
l’actrice Na Zhiye
Les lisu
sont une des nombreuses ethnies minoritaires que l’on trouve
dans la province. Ils vivent souvent dans des villages très
isolés en pleine montagne, et ont ainsi préservé leurs
croyances ancestrales et leur mode de vie. Mais ceux-ci sont
aujourd’hui menacés par la vie moderne, et c’est l’un des
sujets du film.
Liu Jie présentant son
film
Le personnage
principal, Di’ALu ((迪阿鲁),
est amoureux de la jeune Jini (吉妮).
Celle-ci, cependant, est la sœur d’un certain Mupa ((木扒)qui
s’est fait prendre à couper une plante protégée par les lois
chinoises sur la protection des espèces rares (2) ; pour
payer les frais du procès, son père veut donc marier Jini
avec un riche ivrogne du village. Le jour du mariage, la
jeune fille disparaît en tenue de noce dans la brume de la
forêt, préférant se sacrifier en se faisant tuer par les
ours, car le gouvernement paie des dédommagements aux
familles des victimes des ours…
Di’Alu, de son
côté, est poussé par son grand-père à épouser, selon la
coutume locale, la femme de son frère qui a disparu depuis
plusieurs années en partant au Myanmar voisin chercher du
travail. Il est évidemment poussé à la révolte, et ce
d’autant plus que son grand-père résiste aux pressions
gouvernementales pour transférer le village au pied de la
montagne, dans un endroit plus facile d’accès où
les habitants devraient
avoir une vie plus sûre, car ils sont de plus en plus
menacés par les ours qui descendent de la montagne.
Le film est basé
sur un roman éponyme de l’écrivain du Yunnan Cun Wenxue
(存文学)dont
les écrits sont profondément ancrés dans la culture locale,
étant lui-même né dans un petit village près de Pu’er et
ayant vécu toute sa
vie dans la région. Il a fait de son récit une sorte de
fable pleine de poésie dans laquelle les croyances et les
superstitions prennent un sens profond qui rejoint la
légende (1).
Le nouveau discours idéo-écologique
Liu Jie a choisi,
pour renforcer le caractère réaliste du propos, des acteurs
non professionnels dont les deux principaux ont bien mérité
le prix décerné à Shanghai. Le film est en outre entièrement
en langue lisu, mais il manque dans l’ensemble
singulièrement de finesse.
Photo des deux jeunes
acteurs
Il tourne au
documentaire ethnologique dans
la longue séquence initiale du mariage et les scènes de vie
quotidienne, puis vire carrément à l‘idéologie écologique
moderne. Ceci n’est malheureusement pas
propre à la Chine. Ce qui
lui est propre, cependant, c’est que le film glorifie au
passage le gouvernement pour son action : action pour la
protection des essences rares, action pour la protection des
espèces menacées (l’ours en l’occurrence), et enfin, comme
la protection de l’ours a entraîné la prolifération de
l’espèce et qu’ils en viennent à menacer les hommes, leurs
Le paysage
cultures et leurs
moutons, action en faveur du déplacement des populations en
danger.
Le grand père priant
les montagnes
Le seul à s’opposer
à ce déménagement est le vieux doyen du village qui répète
inlassablement que l’ours est leur ancêtre. Mais c’était
avant que le gouvernement se mêle de le protéger en
confisquant leurs armes aux braves lisu qui n’ont
plus qu’à laisser égorger leurs moutons et piétiner leurs
champs, en allant ensuite réclamer les compensations
légalement
prévues par le même
gouvernement.
Il fait vraiment
figure de vieillard obstiné et obsolète, le vieux doyen,
perdu dans l’éternelle fumée de sa pipe. Il doit finalement
s’incliner devant les forces du progrès : le gouvernement
leur a construit en bas de la montagne des maisons neuves
avec "l’eau au robinet et des porcheries propres".
« Deep in the
clouds » semble détonner dans la filmographie de
Liu Jie, surtout après
« Judge »
(《透析》),
présenté au 66ème festival de Venise et Lotus
d’or du festival du film asiatique de Deauville en 2010.
Il suffira
d’ajouter pour mieux comprendre que le film a fait partie du
lot programmé en 2008 pour le 60ème anniversaire
de la fondation de la République populaire, l’année
suivante. Il a été produit par le studio du Guangxi, en
association avec
Cun Wenxue
le Comité
préfectoral de la Préfecture autonome Lisu de Nujiang, au
Yunnan.