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« Toi
et moi » de Ma Liwen : la découverte de 2005
par Brigitte Duzan,
22 mars 2009,
révisé 7 janvier 2011
Ce film,
tourné avec un tout petit budget et avec des
actrices peu connues du grand public, a rencontré un
grand succès dès sa sortie en 2005 : outre deux
récompenses aux
Golden Rooster awards
(meilleur réalisatrice et meilleure actrice), il a
remporté des prix dans pratiquement tous les
festivals où il a été présenté, dont le prix de la
meilleure actrice au festival de Tokyo, et ce avec
un score impressionnant de 31 points sur 35.
Une
histoire touchante, un scénario subtil
Le titre
chinois,
Wǒmen liǎ《我们俩》,
signifie « nous deux ». Le film retrace l’évolution
des rapports entre une jeune étudiante et la vieille
dame chez laquelle elle a trouvé une chambre à
louer. La chambre en question se trouve dans un
vieux siheyuan de Pékin, un havre de paix
camouflé derrière le mur d’une ruelle, dans un
hutong aussi anonyme que possible. Ou du moins
ce qui pourrait être un |
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Toi et moi, l’affiche |
havre de paix si
la vieille dame n’était pas acariâtre, menant la vie dure à
sa nouvelle locataire à la moindre anicroche, l’utilisation
du téléphone et les dépenses d’électricité étant en
particulier des sujets de conflit récurrents.
Cependant, au
fil du temps, la vieille dame se laisse gagner par une
certaine affection envers la jeune locataire, qui, en
retour, s’attache à elle. On suit tout au long de quatre
saisons l’évolution progressive, à peine sensible, des
sentiments de ces deux personnages, le changement graduel du
temps marquant le réchauffement sensible du lien affectif
qui les lie, jusqu’à ce que l’automne apporte comme une note
de nostalgie et que l’hiver signe le départ de l’étudiante
et annonce la mort de la vieille dame.
Un film sobre,
un style tout en finesse
L’actrice Jin Yaqin |
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Ma Liwen (马俪文)
a
elle-même vécu la même histoire lorsqu’elle était
étudiante à Pékin, et son film est un hommage rendu
à la vieille dame qui l’hébergeait et dont elle ne
s’est, dit-elle, jamais consolée de la mort ; ce
n’est certainement pas pour rien que l’étudiante,
dans le film, s’appelle Xiao Ma (小马),
la petite Ma.
Son film
est d’une remarquable retenue et d’une grande
sobriété : seules quelques échappées sur la ruelle
avoisinante et les frondaisons verdoyantes des
arbres en été viennent distraire le regard un
instant. La caméra se concentre sur l’intimité de la
vieille cour, c’est un huis clos que vient seule
rompre, de temps en temps, la visite de quelques
personnages secondaires : un neveu, ou une vieille
voisine qui apporte quelques détails, distillés au
compte-goutte, sur la propriétaire des lieux, et qui
agissent comme des révélateurs de son caractère,
mais en passant, comme si ce n’était pas là
l’important. |
L’art de
la réalisatrice a parfaitement réussi à donner vie à
ce huis clos ; on pourrait juste lui reprocher
d’avoir un peu trop fait courir la jeune étudiante,
qui est constamment essoufflée : cela accentue
évidemment le contraste avec l’immobilité de la
vieille dame, mais le procédé est un peu trop
systématique.
Deux
remarquables actrices, un excellent directeur de la
photo
Les deux
actrices sont l’une des principales clés du succès
du film. La jeune locataire est interprétée par une
étudiante en photographie que
Ma Liwen a
« découverte » par hasard devant la cafétéria de
l’Académie des Beaux-Arts : Gong Zhe (宫哲).
Elle fonctionne comme le double parfait de la
réalisatrice.
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La jeune Gong Zhe |
Les deux ensemble |
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Elle a
cependant juré qu’elle n’avait aucunement
l’intention de faire une carrière d’actrice, et
qu’elle allait continuer dans la photo ; c’est bien
dommage, comme l’a dit Derek Elley avec son humour
habituel en conclusion de sa critique du film dans
Variety : «[it] proves photography's gain is
cinema's loss » (cela prouve que ce que gagne la
photo est une perte pour le cinéma).
Quant à
l’actrice qui joue le rôle de la vieille
propriétaire, c’est elle qui a raflé tous les prix
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dans les
festivals. Elle s’appelle Jin Yaqin (金雅琴)
et elle est
plus vraie que nature. Elle avait quatre-vingts ans bien
sonnés quand elle a tourné le film ; c’était pour elle une
première, mais elle avait derrière elle une carrière de
soixante ans au théâtre et à l’opéra. Elle arrache des
larmes lorsque, le regard trouble après une attaque, après
le départ de Xiao Ma, elle y laisse percer une dernière
lueur lorsque la jeune fille revient lui rendre visite…
Il faut
saluer enfin la photographie, signée Wu Di (邬迪),
qui était également directeur de la photo, cette
même année 2005, pour le film de
Wang Xiaoshuai (王小帅)
« Shanghai
Dreams » (《青红》):
sa palette de couleurs, qui passe d’un bleu froid
pour l’hiver à un vert frémissant pour l’été, tout
autant que ses cadrages, forcément au plus près des
corps dans un espace aussi restreint, mais surtout
au plus près des visages, permettent d’éliminer
toute impression de monotonie dans des conditions de
tournage qui permettaient bien peu de fantaisie. |
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Dernière visite |
« Toi et moi » a
été l’un des meilleurs films chinois de 2005, laissant
augurer un brillant avenir pour
Ma Liwen.
Le film
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