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« A Spiritual
Land » : un film un rien rétro de Qiang Jun
par Brigitte Duzan, 21 août 2016
C’est en avril 2008 qu’est sorti « A Spiritual
Land » (《地气》)
de
Qiang Jun (强军),
adapté de la nouvelle de Ge Shuiping (葛水平)
"Diqi" ou « L’âme des lieux » (《地气》)
publiée début 2004 dans la revue Fleuve Jaune (《黄河》)
.
Pourtant, le film a un petit côté rétro qui rappelle
certains de ceux réalisésen Chine à la fin des
années 1980 et jusque dans les années 1990. Mais
c’est justement l’atmosphère qu’il veut recréer.
L’histoire d’un hameau de montagne qui se meurt
Ecrivain du Shanxi, Ge Shuiping est profondément
enracinée dans la culture rurale de sa région
natale, et ses écrits en portent la marque ; c’est
tout particulièrement le cas de "Diqi" qui se
passe dans un minuscule hameau des monts Taihang (太行山区),
au milieu des années 1990. Le scénario reprend
fidèlement la trame narrative de la nouvelle.
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Diqi, le film |

Diqi, la nouvelle de
Ge Shuiping |
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Un
jeune instituteur qui vient de décrocher son
diplôme, Wang Fushun (王福顺),
est envoyé dans ce hameau de montagne où ne restent
que deux familles, soit cinq personnes au total. La
première famille a un fils nommé Gousheng (le chien
restant
狗剩) :
c’est le seul élève de l’école. Dépité, Wang Fushun
décide de repartir, mais le lendemain, en chemin, il
rencontre son élève qui le supplie de rester.
C’est ce qu’il fait finalement, avec pour objectif
de l’aider à devenir l’un des meilleurs élèves du
district. Etranger, il perturbe la vie de ces
familles, mais se fait accepter en buvant avec eux.
Cependant, après la fin des moissons, les hommes
décident de partir travailler en ville en confiant
leurs deux femmes à l’instituteur. Et, quand les
hommes sont partis, les femmes prennent leur couture
et vont assister aux cours. |

Qiang Jun sur le
tournage de Diqi |
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Un soir, elles entraînent Wang Fushun dans la
montagne, pour voir les lumières de la ville, comme
un mirage au loin. Et à sa mère qui l’encourage à
bien étudier, le jeune élève répondpar un grand cri
qui résonne dans la montagne : je vais réussir les
examens pour aller en ville ! … Il terminera
effectivement premier du district.
Mais ce succès est amer pour Wang Fushun qui assiste
au départ des derniers habitants du hameau.
Abandonné, celui-ci |
perd aussi son âme, l’âme du lieu (地气)
– littéralement son « souffle » - étant celle des hommes qui
l’habitent.
La nostalgie du passé rural
Un film réaliste
Qiang Jun a réalisé
un film d’un grand réalisme, dans un endroit perdu
dans les montagnes du Shanxi qui correspond
parfaitement à la description et à l’esprit de la
nouvelle. Et si le style correspond à celui des
films des années 1990, c’est pour d’autant mieux
rendre l’atmosphère de l’époque. |
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Qiu Lin dans le rôle
de l’instituteur Wang Fushun
sur le tournage du
film (à dr.) |

Wang Fushun et son
élève Goudan |
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Les interprètes ne sont pas des stars, et
s’intègrent d’autant mieux dans le paysage. L’acteur
Qiu Lin (邱林),
en particulier, est parfait de vérité dans le rôle
de Wang Fushun. Ce qui frappe, c’est sa ressemblance
– comme un cousin éloigné – avec l’acteur qui
interprétait l’instituteur, aussi, dans le fameux
« Roi
des enfants » (《孩子王》)
de
Chen Kaige (陈凯歌).
Le sujet de ce film, sorti en 1987, soit vingt ans
avant celui de Qiang Jun, en est en fait très
proche, et cette proximité est particulièrement
intéressante. |
Un sentiment de nostalgie profonde
S’il est vrai que « A Spiritual Land » n’a pas la
portée symbolique ni la force esthétique du
« Roi
des enfants »,
etque le style de
Qiang Jun n’a pas
la sophistication de celui de Chen Kaige à l’époque,
il reste que le sentiment qui se dégage de son film
est très semblable à celui qui ressort du
« Roi
des enfants ».
Cependant, dans le contexte de 2008, il prend
une signification différente, plus amère : plus que
d’un idéal de symbiose avec la nature, c’est plutôt
un sentiment de nostalgie profonde et concrète qu’il
dégage, une nostalgie liée au |
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L’actrice Lei Juan (à
g.) |
regret de voir désertés les villages de montagne, ainsi
privés de leur âme.
C’est le sens du titre, expliqué à la fin par le
jeune Wang Fushun :
有人住的地方才有地气,地气也是人气,人与自然和睦相处才是天下大同。
Seuls les lieux habités ont une âme (地气),
car cette âme des lieux est celle des hommes,
l’harmonie de l’homme avec la nature étant le
fondement de la concorde universelle. |
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Sur le tournage |
Dans le contexte de 2008, le film de
Qiang Jun a malgré tout une image un peu désuète,
comme ces personnes âgées qui n’en finissent pas de
ressasser le passé, les larmes aux yeux.
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