« The Sun Beaten Path » : premier film prometteur de Sonthar
Gyal
par Brigitte
Duzan, 21 avril 2011,
révisé 9 octobre 2011
Sonthar Gyal (松太加)
était, jusqu’au début de 2011, connu surtout comme
directeur de la photographie de
Pema Tseden (万玛才旦).
C’est lui, en particulier, qui a signé la
photographie, du dernier film qu’ils ont tourné
ensemble,
« Old Dog » (《老狗》),
qui a été couronné du ‘Golden digital award’ au
35ème festival international de cinéma de Hong Kong,
le 30 mars 2011.
C’est à lui
que l’on doit les vastes paysages dépouillés du
film, que l’on retrouve, mais bien plus austères,
dans le film qui marque les débuts de
Sonthar Gyal
derrière la caméra : « The Sun Beaten Path » (《太阳总在左边》).
Le film a été honoré d’une Mention spéciale décernée
par le jury de la Asian Digital competition du même
festival de Hong Kong, et, le 6 octobre, couronné au
festival de Vancouver du 18ème
Dragons & Tigers award for young cinema.
Austère
quête de rédemption
Le film se
présente comme le lent périple d’un
Affiche du film
« The Sun Beaten Path »
jeune Tibétain sur
le chemin de la rédemption.
Lent périple
rédempteur sous le soleil
Photo de la cérémonie
de début du tournage, le 23 février 2010
Le jeune
Nima (尼玛) a causé la mort de sa mère dans un accident. Anéanti, il est parti avec
ses cendres en pèlerinage à Lhassa pour tenter de
trouver la rédemption. C’est ce que nous laisse
deviner le début du film qui nous le montre sur le
chemin du retour, hagard et couvert de poussière,
marchant seul sur la route sans accepter les offres
des camionneurs qui passent et s’arrêtent un
instant, car « c’est en marchant que je pourrai
trouver l’oubli ».
C’est ce qu’il
explique à un vieil homme qui apparaît régulièrement sur sa
route, descendant d’un bus ou d’un camion comme un esprit
bienveillant s’attachant à ses pas, figure emblématique de
la sagesse populaire : la caméra les filme de très loin,
silhouettes infimes à peine visibles sur le long chemin qui
semble ne conduire nulle part. Il raconte des histoires qui
remontent du fond de sa mémoire, histoires simples, voire
drôles, qui relativisent la douleur du jeune garçon et
tentent de l’en distraire.
Mais Nima
est enfermé dans le souvenir de sa faute. Si le
soleil, comme la mémoire, le brûle et l’éblouit,
c’est la neige, comme un immense linceul, qui
viendra finalement le recouvrir et le purifier. Il
pourra alors revenir chez lui, répandant au passage,
en un geste pacifié, les cendres de sa mère à
l’endroit même où s’était produit le fatal
accident…..
Images
glacées d’un Qinghai lunaire
Lent périple à pied
sous le soleil
Le film a été
tourné dans le nord-est du Qinghai, dans la région au sud
des monts Qilian (祁连山), zone montagneuse aride, en bordure du Gansu, qui forme les premiers
contreforts du désert de Gobi. On est loin des images de
prairies verdoyantes sous des ciels toujours bleus
caractéristiques du Qinghai vu par les films chinois
habituels. Ici, c’est le gris qui prédomine à perte de vue
dans des paysages sans arbre ni herbe, où le vent soulève la
poussière.
Les deux personnages
sur le bord de la route
(Nima au premier plan)
Paysage
désolé qui reflète celui de l’âme de Nima et incite
à la lenteur, lenteur indispensable pour tout
parcours spirituel, mais difficile à préserver dans
le monde d’aujourd’hui.
Sonthar Gyal a dit avoir été
inspiré par le livre de Milan Kundera « La
lenteur », mais la caméra semble suivre un rythme
naturel, quasiment imposé par son sujet.
Le film
progresse au pas de Nima, au gré de ses haltes et de
ses rencontres avec le vieil homme. La caméra laisse
les
personnages sortir
de son champ sans se préoccuper de les suivre, ils ne
peuvent guère que suivre la route sans pouvoir aller bien
loin, et la voix du vieil homme continue de résonner dans le
vide, égrenant comme du fond des temps une sagesse qui a
intégré la mort comme partie intégrante de la vie.
Un film personnel
Si paysages, les
prises de vue et les cadrages rappellent indiscutablement
celle des films de
Pema Tseden, c‘est cependant un film
personnel. Le scénario a été imaginé à partir d’une histoire
réelle que Sonthar Gyal
avait entendu raconter alors qu’il était de passage dans son
village natal et qui n’avait ensuite cessé de le hanter à
son retour à Pékin. Bien plus, l’histoire est directement
inspirée de souvenirs d’enfance : de vieux livres
bouddhistes, alors encore très rares, que lisait son père
quand il était petit et dont il lui lisait des passages.
L’une de
ces histoires a particulièrement influencé la genèse
du film : une veuve n’avait plus qu’un fils et
celui-ci fut emporté par une épidémie ;
inconsolable, elle alla demander à un moine
bouddhiste comment ramener son fils à la vie ;
celui-ci lui dit qu’elle le pourrait si elle
trouvait une herbe qui ne poussait que dans les
familles n’ayant eu aucun mort parmi elles ; la
femme se mit en quête de l’herbe miraculeuse, pour
finir par comprendre que cette herbe n’existait pas
car tout le
Les deux personnages
sur le bord de la route
monde fait
communément l’expérience de la mort...
Une symbolique
solaire
Le soleil joue dans
le film un rôle symbolique ambivalent, à la fois symbole de
vie et de mort, de la souffrance et de la mort intimement
liées à la vie. Le titre chinois du film (《太阳总在左边》),
qui signifie “le soleil est toujours à gauche”, en est une
synthèse symbolique.
Le réalisateur nous
en a donné l’explication suivante (1) :
… Le titre
[original] du film a une double signification. Selon la
coutume tibétaine, la région tibétaine constitue un ensemble
très vaste, divisé en trois zones : la région centrale
autour de Lhassa, appelée « Ü-tsang » (“卫藏”Wèizàng),
une grande partie du Sichuan, nommée « Kham » (“康巴”Kāngbā)
et la région englobant Qinghai et Gansu, nommée
« Amdo » (“安多”Ānduō).
De très nombreux fidèles bouddhistes partent du Kham ou de
l’Amdo pour aller en pèlerinage à Lhassa, périple qui dure
deux ans ; en raison de la situation géographique de Lhassa,
comme ils doivent chaque jour avancer vers l’ouest en se
prosternant pour pouvoir y arriver, ils ont tous les jours
le soleil sur leur gauche. De la sorte, sous l’effet des
rayons ultra violets torrides du haut plateau qui leur brûle
la moitié du visage,les
pèlerins sont transformés en effigies du yin et du yang.
En même temps, le
personnage principal, Nima, souffre intérieurement d’une
blessure secrète. Sa souffrance semble être aussi constante
que l’éclat du soleil dans le ciel, mais il a juste besoin
d’ajuster et sa pensée et sa direction. »
Sonthar Gyal a par
ailleurs expliqué que « The Sun Beaten Path » devrait être
la première partie d’une trilogie sur le thème de la mort,
qui s’intitulerait, justement, « Trilogie solaire
tibétaine ». Un soleil, comme dans ce premier volet, à la
fois brûlant et d’une douce chaleur, composante essentielle
de la vie.