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« Reign of Assassins » : un film de wuxia original, produit et coréalisé par John Woo

par Brigitte Duzan, 15 avril 2012

 

Il était une fois un producteur, en l’occurrence Terence Chang, qui cherchait, pour le faire interpréter par Michelle Yeoh, un bon scénario de film d’action avec un rôle féminin qui mette en valeur ses talents en arts martiaux, inutilisés depuis « Tigre et Dragon » (卧虎藏龙), en 2000. C’est ainsi qu’est né « Reign of Assassins » (《剑雨》), sorti dix ans plus tard, en 2010.

 

Le coproducteur, avec Terence Chang, est John Woo (吴宇森), et le scénario a été écrit par le cinéaste taiwanais Su Chao-pin (苏照彬) qui avait travaillé avec John Woo sur un scénario pour un projet de film sur l’année 1949, depuis lors avorté. John Woo est également crédité comme coréalisateur au générique, mais il se défend d’avoir cherché à imposer sa marque sur le film, se bornant, selon lui, à donner quelques conseils, en particulier pour une scène où joue sa propre fille.

 

Reign of Assassins, affiche

 

Ce qui frappe surtout, au départ, il faut bien le reconnaître, c’est la référence au film d’Ang Lee, les affiches en font foi. Pourtant, le film est original, et, malgré quelques défauts et longueurs, mérite un détour.

 

Un scénario qui revient aux sources avec humour

 

Le scénario de Su Chao-pin n’est pas toujours facile à suivre, mais ses personnages sont loin des clichés habituels du genre. Une fois admise l’idée de départ, un peu saugrenue, le reste de l’histoire est bien menée, avec des rebondissements multiples qui assurent, dans l’ensemble, un rythme soutenu.

 

Une histoire de momie miraculeuse

 

En l’an 428 de notre ère, un moine indien du

 

Su Chao-pin à la Mostra de Venise en 2010

nom de Bodhi vient en Chine où il devient un maître réputé d’arts martiaux ; à sa mort, la rumeur se répand que ses restes momifiés pourraient conférer des pouvoirs magiques à son détenteur. Or, ils sont partagés en deux.

 

Tigres et Dragons

 

Le film se passe sous les Ming. Quand il commence, le chef du gang « de la pierre noire » (黑石), Zhuang Lunwang (轮王, ou Wheel King), apprend qu’une moitié de ces restes est entre les mains du premier ministre Zhang Haiduan et envoie l’un de ses sbires s’en emparer : une experte en arts martiaux du nom de Bruine (细雨), interprétée par Kelly Lin (林熙蕾).

 

Celle-ci s’en empare, mais s’enfuit avec, après avoir tué et le ministre et son fils, Renfeng. Après avoir rapporté les restes au temple où ils devaient être, elle se réfugie auprès d’un moine, Lu Zhu (陆竹), qui tente de parfaire son éducation en lui enseignant les quatre défauts de sa technique. Mais il meurt lors d’un ultime combat  avec elle. Prise de remords, Bruine décide d’abandonner les arts martiaux et de mener une vie normale. Pour cela, elle va voir un spécialiste de chirurgie esthétique qui, à l’aide de

vers introduits par le nez, lui refait un visage. Exit Bruine, devenue Zeng Jing (曾静), interprétée par Michelle Yeoh (杨紫琼).

 

Celle-ci s’installe dans un village où elle loue une maison et gagne sa vie en vendant des tissus. Mais elle est remarquée par un jeune homme, Jiang Asheng (江阿生), messager du village ; au bout de quelques rencontres sous un auvent de maison de thé, par une pluie d’orage, ils se marient. Mais, un jour qu’ils sont allés retirer de l’argent à la banque, celle-ci est attaquée par une bande de voleurs : pour sauver sa peau et celle de son mari, Zeng Jing retrouve sa

 

Jiang Asheng

combativité et liquide les assaillants. Le bruit s’en répand, et le gang de la Pierre noire retrouve ainsi sa trace.

 

Du coup, elle ne peut qu’accepter le marché que lui propose Lunwang : contre sa vie sauve et la possibilité de continuer sa paisible vie conjugale, elle doit rapporter la moitié des restes qu’elle a volée et récupérer l’autre moitié, en possession du banquier (ce qui avait suscité l’attaque initiale, les voleurs appartenant à un autre gang en quête des restes du moine). 

 

Zeng Jing

 

Quand Zeng Jing accomplit sa part du marché, elle n’est cependant pas quitte pour autant. Après un dur combat où l’un des membres du gang est tué, elle rentre blessée, et poursuivie par les deux qui restent. C’est alors que Asheng se révèle être aussi un redoutable expert en arts martiaux, venant facilement à bout de ses assaillants. Lui aussi a changé d’identité : il n’est autre que le fils du premier ministre, Renfeng, qui a survécu à ses blessures et veut venger son père.

 

La dernière demi-heure est marquée par une série de rebondissements qui dévoilent, entre autres, la véritable identité de Lunwang et sa motivation pour s’emparer des restes du moine. Après le combat final attendu, et des morts qui n’en sont pas, le film se termine par une image de bonheur serein.

 

Le fil narratif n’est pas toujours facile à suivre, mais l’action est bien menée, et surtout les personnages sont vivants, bien brossés et originaux.

 

Les originalités

 

Il est vrai que les deux personnages féminins centraux sont, de toute évidence, conçus en référence à ceux de « Tigre et Dragon » : Michelle Yeoh, bien sûr, à laquelle le passage du temps n’a pas apporté une ride, mais aussi la jeune actrice taiwanaise Barbie Hsu (徐熙媛) dans le rôle de Ye Zhanqing, ou Turquoise  (叶绽青), qui rappelle, face à Michelle Yeoh, le côté fantasque et imprévu du rôle qu’interprétait Zhang Ziyi dans « Tigre et Dragon ».

 

Rencontre avec Asheng

 

Les personnages de « Reign of Assassins » sont cependant originaux par rapport aux modèles habituels du film de wuxia, en dépit des apparences initiales.

 

L’histoire se situe bien dans le cadre du jianghu (江湖), ce monde marginal de ‘rivières et lacs’ qui remonte à toute une tradition littéraire avant d’avoir inspiré le cinéma, et qui est indissociable du wuxiapian. D’ailleurs, le film s’intitulait au départ « Jianyu Jianghu » (《剑雨江湖》), soit ‘pluie d’épées sur les rivières et lacs – le jianghu’.

 

A l’abri le temps d’un orage

 

La pluie est d’ailleurs l’un des thèmes importants du film. C’est la pluie qui rapproche au début Zeng Jing et Asheng – une pluie d’orage soudaine, quasi magique, qui oblige plusieurs fois Zeng Jing à couvrir les tissus de son étal, avec l’aide d’Asheng, et à se réfugier avec lui sous l’auvent d’une maison de thé toute proche. Ces orages soudains qui marquent chaque fois la rencontre des deux personnages sont comme une décharge électrique au contact de ces deux êtres.

Cela participe de l’esprit du wuxia classique, qui se nourrit de rêve, de poésie et d’illusion.

 

Les personnages semblent au départ correspondre parfaitement aux types établis du genre. Cependant, il n’en est rien : le scénario abonde en éléments satiriques. Bruine n’aspire qu’à une chose : quitter le gang de la Pierre noire, et mener une vie ordinaire, solitaire et tranquille. Un autre membre du groupe, Lei Bin (雷彬), mène pour sa part une vie d’époux paisible, dont l’intérêt majeur est d’arriver à faire sécher ses nouilles sur le toit de sa maison pour qu’elles soient plus consistantes.    

 

Quant à la double identité de Zhuang Lunwang, elle est encore plus originale, et sa quête d’une cure de jouvence radicale également très imaginative. Personnage éminemment contradictoire, qui se raccroche à la magie pour lui-même, en désespoir de cause, en quelque sorte, puisqu’il fait lucidement remarquer au « magicien » dans son gang qu’il ne devrait pas mélanger magie et arts martiaux, ce qui finit d’ailleurs par le perdre – autre élément ironique et satirique.

 

Zeng Jing

 

Le scénario se rattache ainsi à la tradition classique du wuxia, tout en s’en se moquant gentiment.

 

Un film qui s’inscrit dans la tradition tout en s’en jouant

 

Le réalisateur, ensuite, a aussi repris les codes classiques du genre, au détriment des effets spéciaux et en faveur d’un style bien plus naturel que les films actuels d’arts martiaux, bien plus proche des grands classiques de King Hu, entre autres.

 

Un style classique

 

Ye Zhanqing (Turquoise)

 

Le film commence pourtant de façon totalement inattendue et originale. Et d’abord par une sorte de bande dessinée racontant l’histoire légendaire du moine Bodhi, comme une sorte de livre d’heures illustré, mais mal illustré, comme si, là aussi, il s’agissait d’une caricature.

 

Puis le film démarre en accéléré par une présentation succincte des personnages, comme un générique en images. On se prend à rêver d’un film à la Wong Kar-wai,

épuré et elliptique. Mais cela dure très peu de temps, une vingtaine de minutes tout au plus, juste le temps de se sentir pris dans l’action ; la séquence suivante, déjà, nous ramène à un tempo classique, et une narration itou.

 

Le film ralentit même énormément dans les séquences qui mènent au mariage de Zeng Jing, puis au début de sa vie conjugale. Tout semble baigner dans une douce torpeur romantique, jusqu’à la séquence de la banque, où le rythme accélère à nouveau, mais tout en conservant une facture classique de combat à la King Hu.

 

Il y a là une volonté de se replacer dans une optique de combat au sol, très peu aérien, et sans effets spéciaux, sauf dans la séquence où le magicien disparaît au somment de sa « corde magique », dans un nuage artificiel, mais là encore, avec un effet comique. De même qu’il n’y a ni héros ni vilains, mais des personnages qui aspirent à une vie ordinaire, de même les combats sont menés au ras du sol, avec élégance mais sans forcer outre mesure sur le surnaturel.

 

Mais un mélo plus qu’un wuxia

 

La chorégraphie est signée Stephen Tung (Dong Wei 董玮), le chorégraphe du film fondateur de John Woo « A Better Tomorrow » (英雄本色), en 1986. Tout est dans la rapidité des touches, avec un brin d’effets de flou au montage. Jamais combats n’ont autant ressemblé à un ballet.

 

En fait, on se rend compte vers la fin que, si le film passe autant de temps sur les débuts de la relation entre Zeng Jing et

 

Lunwang et Zhanqing

Asheng, puis sur les relations sentimentales de certains des personnages, c’est que l’essentiel est là, le film est une romance déguisée en wuxia. On attend le combat final,  mais la fin est celle d’un superbe mélo.

 

On n’en finit pas, ensuite, de se remémorer certains passages des dialogues, tel ce leitmotiv symbolique  signifiant un amour passionné, d’abord déclaré à Bruine par le moine Lu Zhu :

我愿化身石桥,受五百年风吹,五百年日晒,五百年雨淋……只为你从桥上走过

J’aimerais me transformer en un pont de pierre, subir pendant cinq cents les assauts du vent, pendant cinq cents ans les brûlures du soleil, pendant cinq cents le ruissellement de la pluie…

Quand elle demande ensuite ce que cela signifie à un autre moine, il lui répond qu’est sous-entendu :

         只为你从桥上走过 simplement pour pouvoir te voir un jour traverser ce pont….

 

Elle le répètera ensuite à Asheng… Et Lunwang le reprendra, légèrement modifié, lorsqu’il enterrera vivante Turquoise coupable d’en savoir trop :

你知道我为什么把你埋在桥下吗?我太喜欢你了,这样只要每次我从桥上走过就可以看到你了,你就把眼睛闭上。对~你就把眼睛闭上,一会儿就好了。”

Sais-tu pourquoi je t’enterre sous ce pont ? C’est parce que je t’aime tant, alors je n’aurai ainsi qu’à passer sur ce pont pour te voir ; ferme les yeux, ferme les yeux, c’est bientôt fini.

 

Le thème est repris dans la chanson finale qui accompagne le générique, comme dans un feuilleton télévisé.

 

Mention spéciale aux acteurs

 

Le film tient évidemment à l’interprétation des différents acteurs. Outre les trois actrices déjà mentionnées, citons la prestation de Wang Xueqi (王学圻) dans le rôle central de Zhuang Lunwang, chef à la voix cassée qui cache une personnalité duelle qui ne sera révélée qu’à la toute fin, dans une étonnante séquence qui tient de la comédie burlesque tout en cachant la tragédie qu’est la vie du personnage (1)

 

Jiang Asheng est interprété par l’acteur coréen Jung Woo-sung et le magicien par l’acteur/réalisateur taiwanais Leon Dai (戴立忍).Il faut dire que l’un a permis au film d’être un succès au box office en Corée, l’autre, avec Barbie Hsu et le réalisateur, ont permis au film d’être subventionné par Taiwan ; une partie du tournage s’est passé là.

 

Et John Woo ?

 

Il semble bien qu’il ne soit guère intervenu dans le tournage. On ne sent guère sa griffe, sauf peut-être dans deux éléments : d’une part, le jeu sur les changements d’identité par chirurgie faciale qui rappelle « Face/Off », film réalisé aux Etats-Unis en 1997 ; d’autre part, le combat à deux épées (en particulier A Sheng et le magicien) qui rappelle les films de John Woo où Chow Yun-fat es armé d’un pistolet dans chaque main.

 

(1) Wang Xueqi a commencé sa carrière en 1984 dans « La terre jaune » (黄土地; parmi ses derniers rôles figurent ceux de Li Yutang dans « Bodyguards and Assassins » (十月围城) et de Tu Angu dans « L’orphelin des Zhao » (赵氏孤儿) en 2010.

 

 

Le site officiel http://jianyu.ent.sina.com.cn/main.html

 

 

Le film (avec sous-titres anglais)

 

 

La demi-heure finale

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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