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« Memory of Love » : quatrième film de Wang Chao sur les
problèmes de la société moderne
par Brigitte
Duzan,
7 juillet 2009,
révisé 26 décembre 2012
« Memory of Love » (《重来》)
est venu compléter en 2006 la trilogie de
Wang Chao (王超)
sur les tensions et confllits inhérents à la société
chinoise moderne,
mais en se plaçant cette fois sous l’angle de son
élite riche et embourgeoisée.
Un scénario à nouveau original
Wang
Chao s’est tourné ici vers la nouvelle classe
moyenne urbaine chinoise, loin des préoccupations de
« L’orphelin
d’Anyang »
ou de
« Voiture
de luxe ».
Il n’est plus question de fracture sociale ou des
difficultés à vivre dans les grandes villes pour les
nouveau citadins frais émoulus de la campagne : les
problèmes abordés ici sont ceux d’un couple
ordinaire de la nouvelle élite chinoise ; ce ne sont
donc pas des problèmes d’argent qui préoccupent ses
personnages ; ils sont tout simplement confrontés,
comme tout couple, à l’usure des sentiments et à la
difficulté de vivre ensemble. Ce qui est original,
c’est la |
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L’affiche
internationale |
manière dont
Wang Chao, avec son talent habituel, a tressé les mailles
d’un scénario pourtant bâti sur le traditionnel triangle
amoureux.
L’affiche chinoise |
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Li Xun (李询)
est chirurgien dans une clinique ultra-moderne de
Hangzhou ; sa femme, Xu Chunzhi (徐春和),
est décoratrice. Ils mènent une vie de bobos aisés,
entre leur boulot et les soirées mondaines,
ennuyeuse à la longue comme tout le monde le sait.
Un jour,
Li Xun est appelé aux urgences et y retrouve sa
femme, qui vient d’avoir un accident avec un
inconnu.. Il découvre ainsi que sa femme avait un
amant. Or, elle sort partiellement amnésique de
l’accident : elle ne se souvient plus des trois
dernières années de son existence, donc a oublié son
amant. Li Xun essaie alors de rétablir sa mémoire en
lui faisant revivre les trois années occultées, mais
sans pouvoir lui cacher l’existence de l’amant, un
professeur de tango ; en revivifiant le souvenir des
trois années où ils étaient follement amoureux, il
tente de regagner son amour et de colmater les
brèches de leur vie commune, mais c’est au risque de
la reperdre à nouveau. |
C’est donc à la
fois un film sur la trahison, sur la mémoire et sur le
pardon, et sur la difficulté de faire face à des situations
qui provoquent des ruptures brutales dans le cours de
l’existence.
Un
manque de profondeur émotionnelle
On
sent que Wang Chao a voulu éviter l’écueil du film
sentimental et larmoyant. La solution pour laquelle
il a optée est, comme à son habitude, de rester
distancié de son sujet, et de demander à ses acteurs
d’en faire autant. Les images elles-mêmes sont
extrêmement travaillées, comme du papier glacé ;
certaines scènes sont des compositions virtuoses qui
valent Hitchcock, comme la séquence où Chunzhi
revient pour la première fois dans le studio de
danse, et se retrouve dans une sorte de mausolée où
son image projetée sur |
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La fête |
divers écrans
est comme embaumée et magnifiée par le souvenir.
Un couple en crise |
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Cependant,
le sujet demanderait plus d’émotion pour ne pas
rester une succession de belles images que l’on
regarde en se demandant quel peut bien être le
message profond que le réalisateur y a caché. Le
thème de la mémoire est évidemment un fil
conducteur, et l’on songe à l’importance qu’il revêt
dans la société chinoise aujourd’hui, où, justement,
on a appris à vivre en état d’amnésie. Cela aurait
pu être un sujet intéressant, mais le film glisse
dessus, en se bornant à considérer
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les ravages de la
perte de mémoire sur une femme – et indirectement son mari -
dont le seul problème est dès lors de savoir si retrouver la
mémoire signifiera aussi pour elle retrouver son amant. Et
quand on sait que c’est un prof de tango, l’enjeu est bien
mince.
L’ennui,
c’est que les problèmes affectifs des couples de
citadins modernes sont les mêmes partout ; cela peut
faire, à la limite, un téléfilm passable,
difficilement un bon film.
Wang Xiaoshuai (王小帅)
s’est également, à la même époque, attaqué au
problème, en nous livrant lui aussi un film
totalement différent de sa production habituelle :
« Une famille chinoise » (《左右》) ;
ce n’est pas un chef d’œuvre, mais son film réussit
à dépasser la problématique banale du couple en la
replaçant dans le contexte socioculturel de la Chine
d’aujourd’hui et en traitant le problème sous
l’angle complexe d’un fait de société.
Cela
manque cruellement au film de Wang Chao qui apparaît
neutre et fade à force de vouloir jouer sur
l’intemporel et l’universel. Même la musique est
ennuyeuse, un Ravel rabâché et un Piazzola qui
arrive là comme un cheveu sur la soupe alors qu’il
était probablement sensé apporter chaleur latino et
ambiance nostalgique. |
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Li Naiwen |
Yan Bingyan |
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Quant aux
deux principaux acteurs, il s’agit du duo qui jouait
dans le premier film de Zhuang Yuxin (庄宇新),
« Teeth of love » (《爱情的牙齿》):
Li Naiwen (李乃文)
et
Yan Bingyan (颜丙燕).
Ils n’ont guère changé, Li Naiwen est toujours aussi
raide et Yan Bingyan a du mal à exprimer autre chose
que des sentiments glacés, même quand elle danse le
tango.
Il est
possible que Wang Chao ait été bridé par la censure,
beaucoup plus tatillonne en 2009 qu’elle ne l’était
en 2006, l’année de
« Voiture
de luxe ».
On a l’impression d’un film |
suffisamment léché
et neutre pour qu’il puisse passer la censure sans problème.
D’ailleurs, ont été rétablies pour le public occidental
quelques scènes « de lit », comme disent les Chinois, qui
sont aussi langoureuses que la malheureuse musique de Ravel
qui va avec.
Un film qui ne
satisfait personne
En tentant de
choyer le public chinois comme le public occidental, et
surtout, sans doute, de satisfaire la censure, Wang Chao
s’est éloigné de la subtilité de ses trois premières
œuvres, et a omis de garder le supplément d’âme qui faisait
leur valeur, c’est-à-dire leur enracinement dans la culture
chinoise, leur chaleur humaine et leur préoccupation devant
l’évolution sociale actuelle.
Du coup,
les réactions sont les mêmes des deux côtés. Les
quelques critiques chinoises sont très réservées, et
les rares réactions en France, après la sortie en
salles le 19 août 2009, généralement tout aussi
dubitatives. Pourtant, l’équipe de production avait
fait ses preuves : c’est celle qui a réalisé
l’incroyable succès au box office qu’a été le film
de Ning Hao (宁浩),
sorti en 2006, « Crazy Stone » (《疯狂的石头》),
une comédie qui a fait, grâce au seul bouche à
oreille, vingt millions de yuans de recettes pour un
investissement initial de trois. |
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Leçon de tango pour
présenter le film |
« Memory of Love »
apparaît comme un élément complémentaire de la réflexion de
Wang Chao sur la société chinoise moderne entamée avec sa
trilogie initiale. S’il est une chose qu’il peut démontrer,
c’est qu’il est difficile de traiter le sujet en restant
dans les normes acceptables du système officiel.
Wang Chao a
radicalement changé son fusil d’épaule après ce film pour en
revenir aux tensions entre modernité et tradition, et dans
un milieu plus proche de ses premiers films : une petite
ville minière…
Bande annonce pour
la sortie en France
Bande annonce pour
la sortie en Chine
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